LUTTER CONTRE LES VSS

Camille Bardin

Bonjour à toutes et tous, j’espère que vous allez bien. Je suis ravie de vous retrouver aujourd’hui pour le troisième épisode du hors-série “Féminismes intersectionnels et territoires artistiques” produit en partenariat avec l’association Contemporaines… Aujourd’hui vous allez découvrir une nouvelle voix puisque m’accompagne sur cet épisode une nouvelle membre de l’association, il s’agit de Florie Bavard. Toutes les deux on s’attaque aujourd’hui à un sujet difficile, celui des violences sexuelles et sexistes dans les mondes de l’art. Pour cela on a choisi de s’entourer de la journaliste Magali Lesauvage et d’une des bénévoles de l’association Les Mots de Trop. (Jingle)

PRÉSENT.E est un podcast dans lequel je souhaite porter au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contemporain. Mes questions portent donc rarement sur les œuvres en elles-mêmes mais davantage sur toutes les réflexions et les doutes qui gravitent autour de celles-ci. Car ici je m’intéresse d’abord à la manière dont la vie de mon invité.e impacte son travail puis à l’inverse à la façon dont son travail vient impacter sa vie. Dans PRÉSENT.E j’essaie de mener les conversations comme j’ai l’habitude de le faire en tant que critique d’art dans les ateliers d’artistes ou à la terrasse des cafés. Sauf qu’ici nous sommes enregistré.e.s et vous avez la possibilité de tout écouter.

Ça c’est ce que vous avez l’habitude d’entendre si vous êtes des auditeurices assidues de ce podcast. Mais aujourd’hui, je vous propose de changer un peu… Vous écoutez actuellement le hors-série “Féminismes intersectionnels et territoires artistiques” produit en partenariat avec l’association Contemporaines et dans lequel nous tentons de comprendre les dynamiques qui poussent à la minorisation des femmes et minorités de genre dans l’art contemporain. Contemporaines, c’est une association composée d’une trentaine de membres qui lutte pour offrir les mêmes opportunités, une meilleure représentation et une rémunération équivalente pour les artistes contemporaines dans un cadre bienveillant. L’association se déploie entre Paris et Marseille et propose des accompagnements, des formations, des tables rondes ou encore des expositions. Dans chaque épisode de ce hors-série je partage mon micro avec des bénévoles de l’association. Aujourd’hui je suis ravie d’être aux côtés de Florie Bavard, doctorante en anthropologie et sociologie à l’Université Paris Cité et membre de Contemporaine Sud ! Bonjour Florie ! 

Florie Bavard

Bonjour Camille.

Camille Bardin

Aujourd’hui on s’attaque donc au sujet des violences sexuelles et sexistes dans les mondes de l’art contemporain, à l’absence du Me Too dans notre secteur et aux recours qui s’offrent aux personnes victimes et témoins… 

Florie Bavard

Exactement, Camille, le monde de l’art contemporain pose la question de l’écart entre d’une part les représentations collectives (qui l’érigent en un lieu de liberté, de créativité, d’engagement, d’expression de soi) et d’autre part, la réalité des pratiques (qui, dans les faits, perpétuent des formes de dominations et des rapports de pouvoir source de tabous, de peurs, voire de traumatismes). Les violences sexuelles, les violences sexistes et les violences de genre, qui parcourent le monde de l’art forment des continuum, qui s’étendent de la blague sexiste, homophobe, transphobe, jusqu’à la violence physique. Ce continuum englobe le harcèlement, les agressions sexuelles, les viols, parfois commis sur des mineurs. Plusieurs initiatives dénoncent depuis des années maintenant ces pratiques, notamment sur les réseaux sociaux. Pourtant le monde des arts visuels n’a pas vécu le #MeToo qu’il aurait mérité. La situation de précarité – qui caractérise la vie de bien des artistes, des travailleurs et des travailleuses du monde de l’art – est encore davantage marquée pour les personnes s’identifiant comme femme ou pour les minorités de genre : dans ce contexte parler de violences sexuelles et sexistes, expose à de conséquences lourdes celles et ceux qui dénoncent ce qui est su, ce qui est vu ou ce qui est vecu. Le peu de condamnations effectives ou de licenciements des agresseurs et agresseuses, ainsi que le coût matériel et immatériel de telles procédures pour les victimes ou pour les témoins, impactent leurs perspectives de carrière, comme leur santé mentale. L’effet dissuasif d’un tel constat participe parfois d’une autocensure et d’une peur du discrédit de la part des victimes ou des témoins, rendant difficilement quantifiable le nombre de cas de violences sexuelles et sexistes.  Pour lutter contre ces violences sexuelles et sexistes, et pour déjouer les mécanismes de silenciation qui les entourent, plusieurs personnes œuvrent individuellement ou collectivement, afin que la honte continue à changer de camp. Elles mobilisent différents modes de diffusion pour faire entendre les témoignages de victimes ou de témoins : certaines de ces initiatives renouent avec la tradition littéraire contestataire du journalisme d’investigation, d’autres s’inscrivent dans la continuité de la longue histoire du militantisme associatif féministe, et ce tout en utilisant, les outils numériques du XXIème siècle, afin de diffuser leurs articles, leurs affiches ou leurs guide de ressources.

Camille Bardin

C’est donc pour toutes ces raisons que nous avons souhaité échanger avec deux personnes qui chacune à leur manière luttent contre ces violences, il s’agit de la journaliste Magali Lesauvage, co-autrice avec Michel Deléan de l’enquête sur l’artiste Claude Lévêque accusé de pédocriminalité et Louna Maurice-Amisse, l’une des bénévoles de l’association Les Mots de Trop. 

Florie Bavard

Bonjour Louna, bonjour Magali, merci d’être avec nous aujourd’hui. Louna tu es une des cofondatrices de l’association Les mots de trop. En 2019, durant ton cursus à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, tu as monté ce projet, avec deux autres étudiantes – Agathe Delrue et Sophie Vela. Cette initiative se transforme en 2021 en une association, aujourd’hui portée par une dizaine d’étudiant·es et de jeunes diplomé·es du domaine culturel. L’objectif de ce projet est de lutter pour – et je vous cite ici – : “briser le tabou autour des violences systémiques en écoles d’art”, “pointer du doigt la banalisation des comportements et propos oppressifs trop minimisés dans (v)os établissements”, “de réaffirmer (le) besoin de (se) sentir libres et en sécurité dans (ses) études”. Le projet a ainsi : 1) rassemblé des témoignages d’élèves (en art, design, architecture) ayant été victimes ou témoins de VSS. Cette enquête a pris la forme d’un formulaire en ligne et s’est étendue en France, Suisse ou Belgique : vous avez ainsi réuni presque 400 témoignages d’étudiant et étudiantes issues de plus de 100 écoles privées, comme publiques. 2) Vous avez également créé des affiches destinées à être collées dans les institutions scolaires, qui donnent à voir et à entendre les discriminations vécues. 3) Enfin ces affiches sont complétées par un guide et une bibliographie afin de présenter des moyens de reconnaître, nommer, analyser et lutter contre les injustices-discriminations-violences vécues ou observées. Votre initiative transnationale, menée par une génération d’étudiant.e.s installées à Brest, participe : -du renouveau des luttes contemporaines, – de sa décentralisation et – de l’élargissement du répertoire d’actions collectives militant contre les violences de genre. On est très enthousiastes à l’idée d’en apprendre plus sur ton projet aujourd’hui.

Camille Bardin

Magali bonjour et merci d’être là. Tu es journaliste et critique d’art, actuellement, rédactrice en chef de l’Hebdo du Quotidien de l’Art. Tu as écrit pour le Journal des Arts, L’Œil, Volume, La Nouvelle Revue Française, Mouvement, Libération, Artpress etc.. Tu as également co-dirigé un ouvrage collectif sur la chorégraphe Myriam Gourfink en 2012 (Les presses du réel) et tu as rédigé plusieurs textes pédagogiques pour des catalogues d’expositions. Avant cela, tu as toi-même été étudiante en l’Histoire de l’Art et muséologie à l’École du Louvre et à la Sorbonne-Paris I, en te spécialisation sur l’art de la fin XIXe au début du XXe siècle. Tu as publié dans Mediapart, en janvier 2021, un enquête centrale dans le monde de l’art : celle sur Claude Lévêque. Tu y réunis de nombreux témoignages l’accusant de viol sur mineur. Cette affaire pose la question du parcours de cet homme, du rayonnement de son œuvre, mais aussi celle du silence qui règne dans un monde de l’art où beaucoup connaissaient ses agissements et ont préféré les taire, en plaisanter ou les ignorer. 

Florie Bavard

Merci à toutes les deux d’avoir accepté cette invitation, et de nous donner une occasion de vous écouter briser ces silences. Pour commencer, on vous propose de vous situer. Par exemple, moi c’est Florie Bavard, je suis une femme cis-genre, marseillaise de 32 ans, j’utilise le pronom elle. Camille, je te laisse te situer à ton tour.

Camille Bardin

Je suis une femme cis-genre, pansexuelle, blanche. Je viens de classe moyenne.

Magali Lesauvage

Moi c’est Magali. Je suis une femme cisgenre hétérosexuelle. J’ai un enfant.

Louna Maurice-Amisse

Je m’appelle Louna. J’ai 25 ans. Mes pronoms sont elle et iel. Je suis une femme cisgenre bisexuelle et j’habite à Paris.

Camille Bardin

Très bien. Pour commencer on voulait tenter de comprendre avec vous pourquoi les mondes de l’art français n’ont jamais fait leur Me Too. En 2017 il y a bien eu le mouvement We are Not Suprised mais il a très peu essaimé en métropole… Il me semble que l’archipélisation et la solitude des travailleurses de l’art y est également pour beaucoup. Aussi, les limites entre le pro et le perso sont souvent très fines, il n’est pas rare d’avoir des rendez-vous de travail dans des bistros ou de discuter boulot autour d’un dîner. Enfin, la précarité des travailleurses de l’art n’aide pas. Il est en effet difficile pour une artiste par exemple de refuser un rdv avec un collectionneur même s’il la met mal à l’aise si elle a besoin d’argent et qu’elle espère que le rdv en question mènera à une vente. Bref toutes les tares de notre secteur semblent favoriser le fait que les choses n’avancent pas de ce point de vue là. Qu’en pensez-vous ?

Magali Lesauvage

Alors je pense Camille que ce qui est important, au-delà de tout ce que tu viens de dire, c’est d’analyser un peu le système de la presse, tout simplement. Puisque #MeToo est venue aux Etats-Unis de l’enquête de deux journalistes américaines du New York Times sur l’affaire Weinstein. Et en fait, le système de la presse fait que le milieu de l’art est très mal représenté dans la presse généraliste, que la presse spécialisée aussi est très lié aux annonceurs, etc. Ce qui fait qu’en fait, c’est pas que la parole ne s’est pas libérée dans ce milieu là, c’est qu’elle n’est pas forcément reprise. Il y a un problème aussi qui se reflète dans la presse généraliste, c’est que le milieu de l’art est vu comme un milieu très élitiste par la population en général, comme un milieu aussi qui a une réputation d’être assez dépravé, où les mœurs sont libres et où on se dit que peut être certains comportements sont la norme, alors qu’évidemment les agressions sexuelles sont jamais la norme. Donc ça, ce sont des clichés qui perdurent en fait… Qu’on pense un peu révolu quand on connaît, nous, le milieu de l’art de l’intérieur. On sait que 98 % des gens ne gagnent pas très très bien leur vie, que ce ne sont pas du tout des gens élitistes qui vivent normalement et qui ont des mœurs tout à fait… en tout cas pas répréhensibles. Et donc déjà il y a un désintérêt de la presse généraliste pour les sujets qui tournent autour de la sociologie de l’art. Déjà, les pages art se rétrécissent de plus en plus dans les journaux et les artistes, les commissaires d’exposition, les galeristes importants ne sont pas connus du grand public. Moi, je m’en suis rendu compte quand on a fait l’enquête sur Claude Lévêque avec Michel Deléan pour Médiapart. C’est à dire que même à Médiapart, dont je respecte infiniment le travail, on se rendait compte que nos collègues là-bas ne connaissaient pas forcément son nom, ne savaient pas forcément qui il était. Donc il a fallu dire qu’ils avaient représenté la France à la Biennale de Venise, qu’il était un artiste officiel qui avait eu toute une série de commandes de l’Etat, dont le tapis ornait le bureau du président de la République. Donc voilà, c’était vraiment un artiste officiel, mais pas si connu que ça, du grand public. Et donc la grande différence avec Weinstein par exemple, au départ ou après toutes les histoires qu’on a su, Luc Besson, etc. sans parler des hommes politiques… C’est que ce sont des personnalités extrêmement connues qui ont une grande influence, tandis que nous, le milieu l’art, on se rend pas compte parce qu’on est dans une bulle, mais ce sont des gens qui ne sont pas connus. Donc, quand vous voulez « vendre » un sujet à la presse généraliste sur untel a fait ceci ou il y a des soupçons, en fait ils savent que, malheureusement, ça n’ira pas beaucoup au delà de notre petit monde de l’art en fait. Et donc ce ne sont pas des sujets qui intéressent la presse généraliste, clairement à cause de ce microcosme en fait. Et en ce qui concerne la presse spécialisée, bon, déjà elle s’est beaucoup réduite quand même ces deux dernières décennies on va dire. Et puis, on a vu le comportement d’un magazine comme Art Press qui a publié cette fameuse tribune pour la présomption d’innocence qui est à côté de la plaque puisque la présomption d’innocence, on sait que c’est dans le cadre judiciaire que ça prévaut, mais que ça n’empêche pas de dénoncer des faits. La présomption d’innocence c’est dans un tribunal, tandis que la presse a le droit de délivrer des témoignages et d’en parler. Et en dehors de ça, il n’y a pas beaucoup de journaux qui évoquent les problèmes internes au milieu de l’art. Et puis il y a un entre soi aussi très fort qui musèle beaucoup les journalistes. C’est à dire que vous avez beaucoup de journalistes critiques d’art qui sont aussi commissaire d’exposition. On a tous et toutes des amis artistes, commissaire d’exposition qui travaillent en galerie, qui travaillent dans des musées, etc. Et donc c’est difficile aussi dans ces cas là de parler. C’est difficile de dénoncer des choses quand on sait que ça peut faire du tort à des gens qu’on connaît bien, quand on sait que ça peut nous même nous revenir en boomerang comme ça. Parce que moi je pense qu’il y a un vrai défaut dans notre métier de journaliste en art, c’est qu’il y a beaucoup de critiques d’art ou de journalistes qui sont aussi commissaires d’exposition. Moi je ne suis pas pour l’interdire formellement, mais je pense qu’à un moment donné il faut savoir si on est journaliste ou si on participe du monde dont on veut parler. Parce qu’on ne peut pas faire les deux en même temps. On ne peut pas à la fois analyser un écosystème et en même temps en faire partie. On ne peut pas… Alors je ne vais pas employer le mot juger parce que c’est trop surplombant… Mais on ne peut pas décortiquer un système et en même temps en faire partie. À mon avis, il y a un problème aussi à ce niveau là, et pour moi c’est une des raisons pour lesquelles, dans le milieu de l’art c’est aussi difficile d’avoir un #MeToo.

Florie Bavard

Le silence – des personnes victimes ou des personnes témoins – illustre le poids des peurs, des tabous et des dilemmes engendrés par les VSS. La dimension hiérarchique, et donc asymétrique des rapports de pouvoir, qui traversent les écoles et les milieux professionnels, exposent tou.te.s ceux et celles qui témoignent de VSS. MAIS nommer et dénoncer ces violences verbales ou physiques revient à prendre des risques qui diffèrent selon les époques, les contextes, les lieux, mais aussi selon les âges, les étapes de la carrière. Dans ce contexte, la crainte – légitime – d’être stigmatisé.e , d’être ostracisé.e, la peur du renvoie, du chômage, du discrédit, du procès en diffamation, pousse à “réfléchir à deux fois” avant de nommer les violences vécues ou observées. Ce constat renvoie aussi à la dimension intersectionnelle des oppressions, de genre mais aussi de classe, et de race qui façonnent ces dilemmes et situent la question : “qu’ai-je à perdre en parlant ?”. ≈Selon vous, face à ces violences systémiques, quels sont les dilemmes propres à chaque étape d’une trajectoire professionnelle ? Quels obstacles entravent la circulation de la parole à différents moments d’une carrière ? Louna…

Louna Maurice-Amisse

Comme le travail de l’association Les mots de trop s’adresse avant tout à des étudiants et étudiantes, la crainte n’est pas directement portée sur le risque de chômage, ou d’un rejet professionnel. Il y a bien sûr cette idée qui se cache quelque part derrière les angoisses, mais il y a une peur de l’échec et de la non-écoute qui semble prévaloir. Les élèves ont plutôt peur d’échouer dans le cadre de leurs études, de perdre la place qu’ils ont peiné à prendre dans ces écoles sélectives. Le corps professoral fait peser une véritable pression sur leurs épaules : si on ne correspond pas aux attentes, c’est non seulement notre travail qui est remis en cause, mais aussi nous-même. Le rapport entre professeur et élève est très particulier en école d’art, et il implique souvent beaucoup d’ego, d’émotion, bien plus que dans un cadre plus universitaire. Cela ajoute encore à la crainte, car il peut y avoir des enjeux émotionnels : au début d’un parcours artistique, les professeur sont un peu les premiers détenteurs et détentrices de l’idée que l’on se fait de la sphère artistique et de celles et ceux qui la peuplent. Cela entrave vraiment la circulation des témoignages de violence. 

Magali Lesauvage

Oui, je voulais juste ajouter qu’il y a une phrase de Geneviève Fraisse, cette philosophe féministe qui est assez importante et qui dit que ce n’est pas la parole qui se libère aujourd’hui mais l’écoute. Et c’est quelque chose de très important, je pense. Ca va avec ce qu’on disait un peu plus tôt au sujet de la presse qui n’est pas très réceptive, à ces sujets là, c’est à dire qu’on se rend compte qu’il n’y a pas de parole possible s’il n’y a pas de réception possible. Et donc le sujet, c’est plutôt qui écoute et qui va prendre le relais de cette parole. Et donc il y a un travail associatif énorme qui est fait, il y a les initiatives des Mots de Trop qui sont formidables, mais il manque encore, je pense, un relais important. Et en fait, je crois qu’il ne faut pas forcément mettre le doigt sur les victimes et la façon dont elles s’expriment, ni se demander si elles doivent s’exprimer plus. Mais plutôt se demander qui prend le relais, qui prend en charge cette parole… Tout cela montre qu’on est dans un écosystème de l’art qui est très très problématique. C’est à dire qu’il y a non seulement cette précarité, cet entre-soi, enfin toutes ces choses qui font que la parole reste bloquée. Et donc je pense que le sujet c’est vraiment aussi la réception et non pas les émetteurs et les émettrices de ces choses.

Camille Bardin

Justement sur la question de la réception. Pour avoir moi même investiguée sur plusieurs affaires de harcèlement et de VHSS avec la journaliste Salomé Parent Rachdi au sein d’une prépa parisienne, il me semble que si l’on fait face aujourd’hui à un secteur qui peine à faire son autoanalyse, c’est notamment parce que la presse spécialisée est défaillante et que la presse généraliste, comme tu le disais, Magali, ne s’intéresse que trop peu au secteur des arts visuels. J’ai tendance à dire par exemple qu’il n’y a pas de Adèle Haenel du monde de l’art. Et du coup aussi les liens qui sont souvent très étroits entre les directrices des publications spécialisées et les autres acteurs du secteur. Je pense qu’il faut également dire qu’un des recours premiers des personnes mises en cause dans les enquêtes de presse va être de déposer plainte pour diffamation contre les personnes victimes et contre les journalistes. Et on sait bien que se lancer dans un processus juridique cela coûte de l’argent, beaucoup d’énergie et que cela peut aussi mettre à mal notre crédibilité professionnelle et la parole des personnes qui ont témoigné. Enfin, je voulais ajouter que pour avoir travaillé presque un an sur l’ancienne équipe pédagogique de la prépa dont je parlais, j’ai été payée 600 €, ce qui est par ailleurs un des tarifs les plus élevés de la profession Aujourd’hui. Il me semble que structurellement, on est un peu bloqué. Est-ce que vous, aux Mots de Trop, vous avez pensé à avoir à un moment donné recours à la presse ? Et Magali ensuite, pour toi, quel rôle la presse spécialisée et les journalistes peuvent-ils avoir dans la lutte contre les VHSS ? Peut être, Louna pour commencer…

Louna Maurice-Amisse

Au moment de la naissance du projet Les mots de trop, notre premier réflexe a été de contacter la presse. Ayant moi-même pris le chemin du journalisme, nous entretenons des liens avec plusieurs journalistes qui s’intéressent aux démarches de l’association et aux problématiques que l’on soulève. Notre récolte de témoignage, même si elle n’est absolument pas un travail journalistique, porte quand même l’intention de visibiliser des propos et des situations. D’un autre côté, travailler avec des journalistes permet de « légitimer » ce travail et de le sortir de sa niche, afin que le problème devienne public. C’est une démarche essentielle. Sans la presse, le projet n’aurait pas pu exister de la même manière. Même d’un point de vue plus matériel, parmi les premières sources de revenu de l’association, nous comptons l’écriture d’un article pour le média suisse Futuress. Cette expérience nous a également poussé à transformer les témoignages reçus en véritables statistiques pour la première fois, ce qui constitue désormais une part importante de notre travail.

Camille Bardin

Et du coup, Magali, ma question, c’était selon toi quels rôles la presse spécialisée et les journalistes peuvent-iels avoir dans la lutte contre les VHSS ?

Magali Lesauvage

Alors je pense que le rôle, comme je le disais tout à l’heure, c’est de prendre le relais de cette parole. Et je crois que tout à l’heure j’insistais sur le système défaillant. Mais je pense qu’il y a aussi l’importance des initiatives individuelles. Ces deux journalistes de New York Times, dont je parlais tout à l’heure, elles se sont battues pour que le sujet passe. Il y a aussi un service légal, un service juridique au New York Times, qui est très important et qui a lu et relu, validé et revalidé le sujet. Dans les journaux, il y a des services juridiques qui relisent les articles et qui font en sorte que les journalistes ne soient pas attaqué·es en diffamation. Mais ce que je voulais dire, c’est que aussi, il y a l’importance des initiatives individuelles de certains journalistes, de certains directeurs ou directrices de publication ou de rédaction aussi, qui prennent l’initiative, qui ont le courage aussi de faire avancer ces sujets là, qui bouleversent un peu l’ancien monde de la presse. Le système, il peut bouger seulement grâce à des initiatives individuelles et  il faut aussi les saluer parce que ce n’est pas forcément si simple que ça. Surtout quand on sait que dans la presse artistique, enfin dans la presse culturelle, il y a beaucoup de conflits d’intérêts comme on disait tout à l’heure. Parfois il va falloir briser des liens pour pouvoir avancer, comme cela a été le cas pour l’affaire Lévêque où on a vu quand même des réactions très fortes d’un côté comme de l’autre. Dans les commentaires, sur les réseaux sociaux, les gens s’entredéchiraient sur cette question de présomption d’innocence. Et donc il faut aussi du courage, notamment des directions qu’il faut quand même saluer de prendre ces décisions.

Camille Bardin

Et aussi, je voulais peut-être rajouter une chose parce que je parlais d’argent. Du fait que j’avais gagné 600 € pour un an de travail. Je me suis dit, mais en fait il est nécessaire d’être aisée pour réussir à faire une enquête. Enfin, comment on fait ? Moi je suis indépendante, c’est donc un investissement en termes de temps et d’énergie, mais aussi financier de réussir à déployer toute cette énergie là pour, à la fin gagner 600 €. Clairement, on ne fait pas ça pour la richesse, donc je pense que c’est aussi un élément important, j’imagine…

Magali Lesauvage

Ah oui, un élément important, c’est que le journalisme est très mal payé effectivement. Quand on est en CDI, en général on travaille sur plusieurs choses en même temps. Moi j’ai travaillé sur l’affaire Lévêque mais en même temps je travaillais pour le Quotidien de l’Art. Donc en fait je continuais à faire mes articles les uns après les autres et je travaillais sur Lévêque aussi. À Médiapart par exemple, comme au Quotidien d’art, on travaille sur plusieurs choses en même temps en fait. Et pour les indépendants par contre, alors là c’est vraiment très compliqué. Je ne parle pas des journalistes qui en plus, par exemple, sont reporters et vont aller en Ukraine ou en Afrique subsaharienne faire des reportages qui en plus sont défrayés mais bon, qui ont un coût humain aussi, un coût psychologique assez important. Et donc quand on est indépendant, c’est très compliqué de faire des enquêtes et les journaux qui payent bien sont très rares. Donc à moins d’être en interne, c’est vraiment très compliqué. Et ça évidemment, ça s’ajoute au problème dont on parlait sur ces enquêtes là… C’est à dire qui a la volonté et les moyens effectivement d’aller jusqu’au bout de ce genre d’enquêtes… Ben il n’y en a pas beaucoup… Ce sont aussi souvent des journalistes qui sont assez militants aussi, activistes à leur manière parce qu’ils ou elles vont faire ça de manière, non pas gratuite, mais enfin presque. En tout cas, le faire aussi parce qu’ils ou elles veulent défendre la bonne cause quoi.

Florie Bavard

Vu qu’on est en train de parler de cette question économique. C’est vrai que le statut des étudiants et étudiantes qui sont elleux mêmes pour beaucoup dans des situations de précarité économique, est-ce que ça joue selon toi Louna sur la prise de parole et sur les difficultés qui se présentent quand on veut mener un projet associatif en étant encore étudiante ou étudiant ?

Magali Lesauvage

Alors déjà d’un côté, il y a le fait que lorsqu’on est étudiant ou étudiante ou boursière, il y a un premier enjeu qui est qu’on ne peut pas se permettre de perdre sa bourse. Et donc forcément, ça complique l’envie de prendre la parole sur des sujets qui peuvent être remis en cause ou alors remettre en cause sa place dans ses études. Et en plus de ça, s’engager dans une association, ça nécessite beaucoup de temps et en plus du temps qui est déjà pris par les études et par les petits boulots à côté, on ne peut pas trop se permettre d’être précaire et d’avoir une activité militante ou associative trop intense à côté, ou du moins, c’est très difficile.

Florie Bavard

Les témoignages récoltés pour ton article Magali ou ceux pour ton projet Louna permettent de partir du récit individuel pour donner corps à la violence, invisibilisée, banalisée ou systémique. La multitude de témoignages rassemblés a-t-elle eu des conséquences directes sur les milieux visés, des écoles aux institutions ? Qu’est il advenu des agresseurs et des agresseuses ? Et quelle ligne directrice devrait être adoptée face à eux et elles, par le milieu de l’art, selon vous ?

Louna Maurice-Amisse

Dans les écoles, nous avons été témoins de léger mouvement de la part de certaines directions. Ce sont des mouvements qui restent malheureusement minimes. Mais je pense que Les Mots de Trop a quand même eu une incidence sur la manière de traiter les discriminations. Avant de lancer le projet, nous étions constamment remis en cause lorsque nous évoquions le fait que les écoles d’art n’étaient pas forcément des zones 100 % safe comme on tente de nous le faire croire lorsqu’on arrive pendant nos premières années d’études. Depuis, nous avons eu l’occasion de faire un workshop avec des étudiants et étudiantes en première année de l’école de Valence, de rencontrer de jeunes élèves qui avaient aussi la volonté d’afficher les témoignages sur les murs de leur école. Et ca a aussi été suivi de différentes initiatives comme Balance ton école d’art qui arrivait à peu près au même moment que Les Mots de trop ou même le #MeTooBD plus récemment, qui prouve qu’il y a vraiment une envie de s’exprimer sur ces questions de discriminations. Et cela va de pair avec le changement de traitement des agresseurs et agresseuses. Et nous espérons également qu’ils et elles se sentent concerné·es par nos affiches, que cela peut aussi servir à les remettre en question avant qu’ils et elles ne passent à l’acte ou aux mots. Et après, même si j’ai un discours plutôt optimiste, je considère quand même que le travail n’a rien de terminé et que le chemin pour rendre les écoles de la culture ouvertes et sécurisées est encore très long.

Magali Lesauvage

Alors vous voulez que je vous parle du cas de Claude Lévêque en particulier, peut-être…

Florie Bavard

Oui ou de façon générale aussi !

Magali Lesauvage

Parce que ça a été un cas assez emblématique et assez rare aussi dans notre milieu. Il faut dire aussi que c’est un cas particulier puisque c’est un cas de pédocriminalité. Alors déjà, le milieu de l’art est un angle mort de #MeToo comme on disait tout à l’heure. Mais alors la pédocriminalité est un angle mort en plus dans les violences sexuelles, c’est quelque chose qui reste quand même très peu abordé et donc qui est assez différent des agressions sexuelles qui concernent les adultes et qui sont très fréquents dans ce milieu. Mais là on parle de faits qui se sont passés il y a un certain temps, certains sont plus récents d’après les témoignages. Donc ce qui s’est passé concrètement pour Claude Lévèque, c’est sa collaboration avec la galerie Kamel Mennour a cessé, que les œuvres qui étaient montrées dans les musées, comme par exemple, à la collection Lambert en Avignon, ont été retirées, qu’il n’est plus invité dans des expositions. On a eu quand même le cas récemment d’une exposition qui devait avoir lieu à Marseille où en fait, il y avait une de ses sérigraphies qui devait être présentée et les artistes qui participaient à l’exposition ont déclaré qu’ils allaient se retirer si jamais l’œuvre restait. Donc l’œuvre a été retirée de l’exposition. Ça s’est fait sans publicité médiatique, mais ça montre que des artistes sont conscients que associer Claude Lévêque dans une exposition comme ça, c’est plus aussi facile qu’avant. Donc il y a un ostracisme réel. Après, d’un point de vue juridique, l’enquête n’est pas close parce que la personne qui a porté plainte, Laurent Faulon, a aussi apporté de nombreux témoignages. Concernant d’autres victimes et donc il y a des enquêtes qui sont encore en cours et donc ce n’est pas terminé à ce niveau là. Il y a aussi des œuvres dans l’espace public comme à Montreuil, qui ont été éteintes, puis rallumées, puis éteintes. Et en fait, on voit que les collectivités qui sont propriétaires de ces œuvres sont sont très mal à l’aise, ne savent pas trop quoi en faire. Parce qu’il y a le droit d’auteur en France qui est très très fort, qui est très bien fait pour les artistes, mais qui fait aussi que des œuvres comme ça dans l’espace public ne peuvent pas être retirées alors que le procès n’a pas eu lieu, alors qu’il n’y a pas eu de condamnation. En ce qui concerne la question sur les lignes directrices.  Alors moi, en tant que journaliste, j’estime que ce n’est pas à nous de dire quoi faire, à nous journalistes de dire il faut faire ceci ou faire cela. Moi, je crois au journalisme militant, je crois aux journalistes activistes, si je puis dire. Et je pense que quand on mène une enquête sur les violences sexuelles ou même sur des problèmes financiers, enfin peu importe, mais en tout cas c’est une forme  d’action, c’est une forme d’activisme. Mais on n’est pas là en tant que journaliste pour dire il faut faire ceci, il faut faire cela. Notre engagement, il n’empêche pas l’objectivité. Et ça demande aussi que nos enquêtes soient inattaquables, que ce soit absolument irréprochable. Et je pense que notre action en tant que journaliste, c’est de faire la preuve par les faits en fait. Et ensuite, alors je ne dis pas, et on le sait très bien, que la justice est défaillante, que la justice manque de moyens. Donc je ne suis pas du tout en train de dire c’est à la justice de faire son travail. Nous, on fait des enquêtes qui sont aussi complètes que la police, voire plus, parce qu’on n’a parfois – pas toujours – mais plus de temps que la police ou que la justice et donc en fait, les preuves qu’on apporte, elles sont tout aussi irréfutables. Après, elles sont pas amenées devant un tribunal, mais on a vu comme ça a été le cas pour dans #MeToo pour plein de cas, que le journalisme a apporté énormément au travail de la police et qu’énormément d’enquêtes ont été ouvertes grâce au travail des journalistes. Et donc notre travail à nous, c’est ça, c’est d’apporter des éléments de preuve et ensuite après là, normalement, la justice doit prendre le relais. Mais on peut pas vraiment aller au delà de ça. Et surtout, on n’est pas là pour dire il faut, il faut faire ceci avec cet artiste ou ceci avec cette personne. Ça c’est à d’autres structures de prendre le relais je pense.

Camille Bardin

Il me semble qu’un des biais qui mène à la silenciation des personnes victimes de harcèlements et de violences sexuelles et sexistes c’est l’essentialisation qui les menace une fois qu’iels ont parlé. J’ai l’impression que la peur d’être réduite au statut de victime et qu’on arrête de les considérer comme des artistes, des galeristes, des travailleurses de l’art de manière générale… Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’un  frein à la prise de parole ? Louna peut-être.

Louna Maurice-Amisse

C’est vraiment un frein à la prise de parole. Il y a un besoin de faire des expériences de discrimination des expériences globales et donc politiques. C’est pour cela que nous avons choisi de mener une récolte de témoignages complètement anonymisée. Cela simplifie le processus d’expressions sur des sujets sensibles, sans essentialiser la ou le témoignante : son expérience peut être largement partagée, elle est systémique, elle n’a pas besoin de nom. Par ailleurs, cela peut aussi être libérateur pour certaines personnes, nous ne remettons pas cela en cause. 

Magali Lesauvage

Alors moi, pour avoir discuté récemment avec un artiste qui a été victime de violences sexuelles quand il était enfant, donc d’inceste plus précisément. Il me disait qu’il avait pendant longtemps rejeté le mot de victime et qu’il se l’était réapproprié récemment et qu’en fait il estimait… Je trouvais ça très intéressant… Que notre regard aussi à nous doit changer dessus. Sur le terme lui même, il y a l’expression « victimisation », qui est vraiment un mot atroce à mon sens. Parce que ça suppose qu’on fait le choix d’être victime comme si on était dans un processus ou c’était comme une espèce de valeur quoi, d’être victime. Alors qu’évidemment ce n’est pas du tout le cas. Et donc cet artiste qui s’était réapproprié ce mot, parce qu’il y a aussi cette idée de donner un sens politique à ça et de faire partie aussi, non pas d’une communauté de victime, ce n’est pas du tout ça, mais en tout cas de faire, de faire un peu collectif. Et c’est aussi se dire victime, ça permet de comprendre pourquoi les choses se sont passées. C’est le processus qui a lieu dans un procès d’ailleurs. C’est à dire qu’un procès, ça permet non seulement de condamner éventuellement une personne, mais surtout ça permet de comprendre pourquoi les faits se sont passés, comment a pu avoir lieu un tel fait. Et le statut de victime permet ça. C’est à dire qu’il permet de dire il s’est passé ça, on m’a fait ça et j’aimerais comprendre pourquoi. Et je crois qu’il faut que peut-être notre compréhension ou notre appréhension de ce mot victime, il faut peut-être qu’il change et qu’on arrête de penser que les victimes se complaisent dans leur statut. Ce c’est pas du tout le cas. Donc il faut déjà bannir ce mot de « victimisation » qui est atroce et se dire que finalement c’est une condition qui peut être partagée par beaucoup et qui peut aussi avoir un sens politique et qu’être victime ça peut être… Enfin, je ne veux pas qu’on se soit mal compris… Ce que je veux dire c’est que ça peut être une force aussi de se reconnaître victimes, de reconnaître qu’on nous a fait du mal, par exemple. C’est déjà un premier pas pour aller mieux. Alors après je suis pas du tout dans l’injonction. Dans l’enquête Lévêque, on a quand même eu beaucoup de témoignages d’autres victimes que Laurent Faulon qui a porté plainte publiquement et qui ne veulent pas témoigner publiquement qu’on a cité anonymement, d’autres dont on sait qu’ils sont victimes. Ils ne veulent pas parler. Ils le feront peut être un jour, ils le font peut être jamais. Ce n’est pas du tout une injonction pour eux à le faire, mais en tout cas, on sait qu’une fois que les gens se rendent compte qu’ils ont été victimes de quelque chose, c’est déjà un premier pas pour eux pour aller mieux et en plus, après, pour éventuellement poursuivre en justice l’agresseur.

Florie Bavard

Louna, l’association Les mots de Trop a non seulement un espace de témoignages et de visibilisation des expériences vécues, mais elle propose également un guide de l’autodéfense pour les étudiants et étudiantes en art. Pourrais tu nous en dire un petit peu plus sur les différents recours que vous y présentez et de façon plus large, sur le rôle de la solidarité entre concerné·es dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Et enfin, selon vous, Louna et Magali, pour élaborer un contre discours face à la longue invisibilisation des violences sexuelles et sexistes, comment envisager davantage de convergence entre différentes branches du monde de l’art, entre les écoles, les artistes, les galeries, les critiques, etc. ?

Louna Maurice-Amisse

Donc avec l’association Les Mots de Trops, nous avons décidé de mettre différents outils à disposition en plus de notre récolte de témoignages car il nous semblait important de contextualiser notre démarche, d’utiliser notre projet comme un outil de lutte mais aussi comme moyen de créer des échanges. Dans notre guide d’autodéfense, nous avons mis à disposition des récits d’expériences d’autres associations et collectifs contre toutes les violences en école d’art, la traduction de notre article pour Futuress, nos statistiques mis à jour ainsi qu’une liste de ressources (comme des podcasts, des livres, des documentaires…) qui peuvent aider à comprendre le fonctionnement des discriminations, leur aspect systémique, etc. Cela nous semble important de relayer d’autres paroles afin de créer une vraie dynamique de solidarité et d’intersectionnalité entre ces expériences. Ouvrir la parole et créer des discussions autour de ces thèmes, sortir des clichés et des tabous est à nos yeux la seule manière de créer des ponts entre les différentes sphères culturelles : pas besoin de militer depuis des années pour prendre la parole sur ces thématiques, pas besoin de donner son nom pour témoigner… Nous souhaitons vraiment faciliter l’accès aux ressources éducatives sur les questions de discrimination mais aussi simplifier l’action de témoignage pour normaliser la prise de parole autour de ces questions d’oppressions.

Magali Lesauvage

Et alors, au sujet de la manière dont on peut, entre différents métiers du milieu de l’art, essayer de faire avancer les choses. Je pense que déjà, en ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes d’ailleurs, on est quatre femmes cisgenres, là… Et c’est quand même beaucoup les femmes qui font avancer ça. Et donc c’est un milieu où il y a beaucoup de femmes mais qui sont pas forcément aux postes de direction. Et donc je pense que la féminisation des métiers peut quand même faire pas mal avancer les choses. On voit que, par exemple, à la Villa Arson, il y a beaucoup de professeurs qui sont des femmes, qui sont des féministes et qui ont beaucoup fait évoluer l’école depuis quelques années, qui ont d’ailleurs elle même travaillé à un guide elles aussi contre le harcèlement et les violences sexuelles en école d’art. Et donc je pense que ce point là, il est important. Après, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi du harcèlement moral très important dans le milieu de l’art et qu’il y a beaucoup de femmes qui sont aussi harceleuses. Là, je ne parle pas de harcèlement sexuel mais de harcèlement moral. Des directrices de centre d’art. Voilà qu’on sait qu’il y a des comportements problématiques, des galeristes, des collectionneuses. Et donc je ne veux pas dire que mettre des femmes ça résout les problèmes. C’est pas du tout ça, mais en tout cas, il faudrait qu’il y ait une prise de conscience et une sororité, une solidarité entre femmes qui soit plus importante dans le milieu de l’art. Je pense que ça pourrait quand même beaucoup faire évoluer les choses. Il y a aussi des violences sexuelles d’hommes sur des hommes dans le milieu de l’art. Je pense qu’il faut pas l’oublier. Bon, y’a le cas de Lévêque. La pédocriminalité c’était un homme sur des petits garçons. Mais en tout cas il y a aussi des violences, des violences d’homme à homme, mais ça reste des violences masculines. Donc je pense que c’est pas pour jeter le discrédit sur tous les hommes, mais en tout cas il faut qu’il y ait une prise de conscience que c’est un milieu extrêmement patriarcal, que c’est un milieu où là violence des rapports, comme on a dit, vient aussi du fait des gros déséquilibres de pouvoir et des gros déséquilibres financiers aussi, et que la solidarité qui peut se mettre en place alors, avec des initiatives qui souvent viennent des plus jeunes d’ailleurs, des écoles d’art, doit aussi commencer à se diluer un peu vers les plus âgé·es. Il faut aussi que les galeries, par exemple, c’est un milieu assez particulier puisque c’est privé. Donc en fait, là, si vous voulez, c’est difficile d’avoir des recours, c’est difficile d’avoir un milieu associatif qui peut prendre en charge ça. C’est à dire que chacun, chacune, se retrouve un peu tout seul quand il se retrouve face à des violences sexuelles ou des harcèlements sexuels en galeries, par exemple. Mais en tout cas, voilà, je pense qu’il faut qu’il y ait une prise de conscience plus générale dans d’autres générations, peut être aussi plus âgées on va dire, parce que aujourd’hui c’est surtout les jeunes quand même, les moins de 30 ans, on va dire, qui mènent, qui mènent ça et qu’il faut que ça se casse, que ça se répande jusqu’en haut de la pyramide des âges de ce milieu.

Camille Bardin

Je ne sais pas ce que tu en penses Fleur, mais moi ça me va de finir sur le fait de répandre la lutte… Je trouve ça très bien. Merci à toutes les deux d’avoir été là. Merci Fleur d’avoir été ma copilote sur cet épisode. Merci cher·es auditeurices de nous avoir écouté. On espère sincèrement que cet épisode vous aura un peu éclairé sur toutes ces problématiques là. On vous invite évidemment à lire l’enquête de Magali Lesauvage sur Claude Lévêque et à suivre le travail des Mots de trop. Je sais que vous avez tout un tas d’actualités en plus en ce moment… Donc allez les suivre sur Instagram, ça vous fera du bien je pense et ça vous donnera plein de force ! Je vous dis à dans quinze jours ou même avant parce qu’il y a plein d’actualité en ce moment, pour PRÉSENT.E ! Donc à très vite ! Mais d’ici là, prenez soin de vous et je vous embrasse… Aurevoir les filles !  

Toutes

Au revoir !!!

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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