BRANDON GERCARA

Camille Bardin

Bonjour à toutes et à tous ! J’espère que vous allez bien. Aujourd’hui l’épisode de PRÉSENT.E est consacré à Brandon Gercara.

Camille Bardin

PRÉSENT.E est un podcast dans lequel je souhaite porter au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contemporain. Mes questions portent donc rarement sur les œuvres en elles-mêmes mais davantage sur toutes les réflexions et les doutes qui gravitent autour de celles-ci. Car ici je m’intéresse d’abord à la manière dont la vie de mon invité.e impacte son travail puis à l’inverse à la façon dont son travail vient impacter sa vie. Dans PRÉSENT.E j’essaie de mener les conversations comme j’ai l’habitude de le faire en tant que critique d’art dans les ateliers d’artistes ou à la terrasse des cafés. Sauf qu’ici nous sommes enregistré.e.s et vous avez la possibilité de tout écouter.

Camille Bardin

Brandon Gercara tente par son travail artistique de construire des espaces et de faire s’élever les voix des personnes membres de la communauté LGBTQIA+ de La Réunion notamment grâce à son association Requeer.  Avec iel aujourd’hui, on va parler de la nécessité de construire des archives, de retournement et de la manière dont iel réussit à articuler le fait d’être artiste, militant.e et chercheurse. Je crois que c’est grâce à des stories du curateur Thomas Conchou que j’ai découvert le travail de Brandon… Depuis quelques mois déjà on a eu plusieurs occasions de discuter toustes les deux mais je voulais absolument que l’une de ces conversations soit pérenne et devienne un épisode de PRÉSENT.E !  Je suis donc trop contente que Brandon ait accepté de me consacrer un petit temps alors qu’iel est de passage à Paris…Bonjour Brandon…  

Brandon Gercara

Hello !

Camille Bardin

Ça va ?

Brandon Gercara

Oui, ça va. Merci pour ton invitation. C’est trop cool !

Camille Bardin

Oui, ça me fait trop plaisir. Tu es de passage à Paris parce que tu étais en résidence à la maison Artagon ?

Brandon Gercara

Ouais, exactement.

Camille Bardin

Plein de business.

Brandon Gercara

Ouais bon c’est cool. Et ouais, demain je vais à Bourges pour préparer une expo donc c’est cool et je retourne à la Réunion la semaine prochaine dans la chaleur.

Camille Bardin

Oui !! J’avoue là, le mois de février ou janvier, c’est la catastrophe. Du coup ! On commence ?

Brandon Gercara

Ouais…

Camille Bardin

Alors… La communauté artistique réunionnaise semble très impliquée dans la création d’espaces pour les personnes LGBTQIA+. Ton travail y est pour quelque chose. Tu es notamment co-fondatrice de la Marche des fiertés de l’Île, ça c’est vraiment hyper chic. (iels rigolent) Mais avant qu’on parle de tout cela, je voulais qu’on revienne sur la manière dont toi tu avais voulu prendre la parole. Comment, alors que tu étais aux Beaux-Arts de la Réunion et qu’il semblait compliqué de vivre sereinement en tant que membre de la communauté LGBTQIA+, tu as décidé de te saisir de ces sujets. Et est-ce qu’il y a eu un déclic par exemple ? Comment ça s’est passé ?

Brandon Gercara

Je pense qu’au début, avant que ça devienne un sujet aussi politisé, ma recherche plastique me permettait de me découvrir, de me comprendre et aussi de m’accepter. Je pense et je crois, enfin je suis même sûr que le déclic c’est ma rencontre avec l’artiste Abel Techer que tu connais…

Camille Bardin

Ouiii !! Il y a un épisode de PRÉSENT.E aussi qui est consacré à son travail.

Brandon Gercara

Ouais, et j’ai même vu un texte que tu as écrit tout, c’était trop bien. Et donc voilà donc Abel déjà qui est Réunionais et qui à l’époque était mon voisin et surtout il était en cinquième année à l’école d’art de la Réunion quand moi j’étais en première année et donc je pense que le fait qu’il soit aussi avancé dans sa recherche plastique, donc le fait qu’il ait eu ce travail là en peinture. Donc à l’époque c’était que des autoportraits de lui dans plusieurs positions, qui questionnaient son corps et sa relation au genre. Et je pense que ça m’a beaucoup aidé à savoir là où je voulais aller, là où ma recherche devait aller aussi. Et donc voilà, à ce moment là aussi, j’avais quitté la maison de mes parents parce que les Beaux-Arts, en fait, c’est super loin de chez mes parents et donc je pense que ça m’a aidé aussi à sortir du placard. Donc il y avait vraiment tout un travail qui m’a permis d’être sur ces questions là. Et il me semble aussi que si mon travail plastique se concentre sur ces sujets là, les dynamiques de dominations mais surtout aussi liées à la communauté LGBTQ+, je pense, c’est parce que c’était une question urgente pour moi. C’est à dire que… Comment pourrais-je produire sereinement si toute une communauté connaît des violences ? Une communauté à laquelle je fais partie. Et donc voilà, c’était une urgence, une urgence queer et voilà qui m’a amené à investir ces questions là dans le milieu de l’art contemporain, mais aussi au delà-du coup, en dehors. Donc voilà.

Camille Bardin

Parce que du coup, tu fais partie de ces artistes contemporain·es dont les pratiques artistiques ont un fort impact politique. Je le disais en introduction, tu es autant un·e chercheuse, qu’un·e artiste, qu’un·e militante. Tu as fait le choix de ne pas dissocier ces différents statuts et de les embrasser tout à la fois, d’être tout ça en même temps et au même endroit. Ce qui illustre le mieux cette décision, c’est REQUEER je trouve. Est-ce que tu veux bien nous parler de cet objet hybride entre l’oeuvre artistique, l’association militante et la réunion entre intellectuel·les ?

Brandon Gercara

Alors, euuuh… Requeer, c’est un projet que j’ai imaginé à un retour de séjour Erasmus à Bruxelles qui m’a permis de me rendre compte de la situation de la communauté LGBTQ+ à la Réunion et qu’il y avait des manques ici pour la communauté. Donc en fait plusieurs manques, un manque d’espaces de rencontres, un manque d’espaces de visibilité et d’archives. Requeer a été créé pour combler ces manques.  Et pour expliquer le terme Requeer. En fait « Re » c’est l’abréviation de Réunion, mais aussi le préfixe de refaire, repenser, redéfinir. Et il y avait aussi cette consonance avec Require en anglais, qui veut dire nécessiter, exiger, demander. Donc voilà un peu le concept, on va dire. Et moi, en tant qu’artiste plasticienne, j’ai essayé de développer des outils en fait, pour cette communauté que j’imaginais en bois palettes par exemple, des tables hautes que je place dans différentes soirées et sur lesquelles sont gravées des questions ou des sujets de discussion liées au féminisme, aux questions décoloniales, aux luttes LGBTQIA+. Et il y avait vraiment cette volonté de décomplexer la recherche de sortir de ce côté un peu froid. Et donc voilà, donc c’était un des dispositifs, mais j’en ai imaginé d’autres comme une table ronde qui permet de plus grandes discussions avec un plus grand public. Ça peut accueillir 30 personnes si ce n’est plus.  Et aussi, la table ronde a un dispositif pivotant avec des micros qui tournent comme ça. Et ça permet de donner la parole à des chercheurses et aussi à un public que je considère comme collaborateur à la recherche, sans forcément hiérarchiser les personnes et leurs pensées. Donc il y avait vraiment cette idée là… Et donc voilà, et après j’ai continué avec d’autres outils. Mais bon, je ne vais pas tout raconter… 

Camille Bardin

Tu peux ! Tu peux ! L’espace est fait pour ça ! Vas-y on a le temps. Si tu as envie tu peux…

Brandon Gercara

Ben du coup… Par exemple, il y a aussi un espace d’archives et de documentations. Le but c’est de sortir de l’archive poussiéreuse donc c’était vraiment un espace où on pouvait s’installer, où on pouvait avoir des discussions. Il y avait tout un dispositif qui me permettait de mettre en place des archives, et c’est une mission de requeer maintenant d’archiver tous les événements qu’on organise parce qu’on était face à ce manque d’archives. Et donc voilà, c’est un projet collectif, donc c’est devenu une association, il y a une équipe avec un bureau et c’est cool. Et donc on organise plusieurs évènements maintenant, comme des ateliers, des tables rondes, des projections, etc. Ce qui nous est nécessaire en fait… Et là pour le moment, ce qu’on organise de manière assez pérenne, c’est un festival en fin d’année qu’on appelle semaine Requeer. Donc c’est pendant un festival, une programmation d’une semaine. Et il y a aussi, au mois de mai et juin, un peu plus d’un mois de programmation. On appelle ça le mois des visibilités. À l’intérieur de ça, on propose Les marches des visibilités LGBTQIA+. Et donc voilà… Donc c’est clair que requeer a été un outil pour proposer la première marche des visibilités LGBTQI+ de la Réunion qui s’est déroulée le 16 mai 2021.

Camille Bardin

Est ce que tu peux nous en parler un petit peu ? La manière dont elle a été fondée parce que tu es co-fondateurice de cette marche. Et quand je disais que tu avais un travail autant de militant·e que de chercheurse, d’artiste, etc. C’est à dire qu’il y a effectivement ce travail militant où tu vas mettre en place du coup cette marche et en même temps tu y proposes une performance il me semble…

Brandon Gercara

Clairement, c’est ça en fait la marche. Moi je l’ai imaginée un jour de colère parce qu’une amie à moi avait vécu du cyberharcèlement mais de manière assez violente et ça m’a forcément remémoré des moments difficiles en fait. Parce que je crois que beaucoup de personnes LGBT+ connaissent ces violences là. Et donc ce jour là, il y avait le Piton de la Fournaise qui a éclaté et je ne sais pas pourquoi, j’ai commencé à écrire un discours sur la communauté KWIR, donc la communauté queer réunionnaise et j’imaginais qu’il y aurait eu une marche et je m’imaginais en train de faire un discours. Et donc ça s’est mêlé avec ce volcan qui explose, qui est en train de brûler et c’est quand même un événement à la Réunion. Enfin, on sait que le volcan brûle, dès qu’on regarde dans la direction du volcan. On voit que le ciel est orange… Enfin c’est un truc qui est intense. Et le pire, c’est que moi qui vis depuis toujours la Réunion, je n’étais jamais allé au volcan et donc c’est cool parce que ce projet là m’a amené au volcan alors qu’en fait toute personne qui passe à la Réunion passe au volcan. Enfin c’est normal… Mais bon il y a encore tellement de choses que je ne connais pas.

Camille Bardin

C’est normal ! Tu sais c’est comme nous les parisiens parisiennes qui ne sommes jamais monté·es sur la Tour Eiffel. La base ! 

Brandon Gercara

Ah oui clairement ! Mais du coup c’est cool parce qu’on fantasme un peu ce lieu. Et donc voilà, j’ai écrit un discours en quelques heures et une fois que je l’ai terminé, ça m’a donné envie d’organiser vraiment la marche. Parce que  j’écrivais le discours pour un projet de vidéo en fait. Et donc au lieu de voir le projet de vidéo, je me suis dit vas-y, je fais carrément la marche. Et donc, le soir même, j’ai commencé à écrire un dossier pour demander une autorisation de manifestation. Et ensuite, voilà, j’ai proposé l’idée sur Instagram et tout… Mais c’est fou parce que généralement, je trouve qu’on ne voit pas assez la puissance des réseaux sociaux parce que ça donne vraiment une puissance comme on dit en politique. C’est assez fou parce que, quand même, être visible ça te donne un autre pouvoir.

Camille Bardin

Ça te permet de sortir de ta chambre… 

Brandon Gercara

Clairement. Et du coup je vois, je pense que si les réseaux étaient pas là, je ne suis pas sûr·e que la marche aurait existé de cette façon. Donc voilà, il y a eu la marche qui était organisée, mais vraiment assez rapidement en moins de deux semaines, mais ça s’est organisé assez facilement avec une équipe, j’étais pas du tout tout·e seul·e, il y avait Requeer, des militants et des militantes LGBTQ+ qui étaient de retour à la Réunion parce que voilà, c’était la fin de la période de confinement, etc. C’était compliqué parce qu’on n’avait pas le droit de se rassembler et donc au début la préfecture avait refusé. Mais on a forcé un peu les choses et c’est cool parce que ça a été une marche assez exemplaire, on respectait quand même les distances sociales et tout. Donc voilà, et c’était quand même nécessaire…

Camille Bardin

Complètement… C’est trop bien ! Et Tu as employé un terme déjà, et qui est : « KWIR ». Du coup, au début de l’été dernier, tu as curaté une exposition qui réunissait une dizaine d’artistes de la scène réunionnaise queer. Cette exposition, on a décidé de l’appeler KWIR, qui est une traduction créole que tu proposes. Par cette dernière, tu tentes vraiment d’insuffler une vision spécifique et intersectionnelle de l’identité queer réunionnaise. Est-ce que tu peux nous dire ce que signifie pour toi être Kwir et les enjeux que ce terme permet d’articuler ?

Brandon Gercara

Kwir c’est la traduction réunionnaise du mot anglais queer. Et en fait, mes recherches m’amènent à dire que le queer, de manière générale, est une lutte collective. C’est la nécessité d’un « nous » qui rejette les dominations liées aux identités de genre, sexuelles et aussi romantiques. Et voilà, c’est cette volonté de s’échapper des catégories excluantes. Moi, de mon côté, je l’envisage aussi comme une grille de lecture pour se rendre compte que le monde est violent mais qu’il est possible de s’en échapper, de refuser cette violence. Donc voilà, je l’envisage plutôt comme un outil et je pense qu’en fait la traduction réunionnaise a été nécessaire parce que je crois que la version anglaise ne suffisait pas pour nous faire bénéficier des émancipations qu’on connaît en Occident. Parce que ce qui se passe en Occident est assez loin de nos réalités, forcément. Et je pense que la communauré LGBTQIA+ de La Réunion a tout un imaginaire traumatisé. On a ça en commun. Et donc je pense que ça vient de là, la nécessité du mot kwir qui est finalement assez récent. Je pense que la traduction date de deux ans et elle a été très utilisée pendant la marche des visibilités LGBTQIA+. La réunion englobe pas mal de particularités. Le fait que l’île soit petite, ça permet pas forcément l’anonymat comme on peut connaître dans les grandes villes du monde. Donc s’en échapper c’est compliqué. Sauf si on a les moyens, et on n’a pas tous les moyens de quitter l’île de La Réunion facilement. Et aussi, par exemple, notre culture nous amène à être proches de nos familles. Donc c’est compliqué de faire un coming out si on a une famille qui n’est pas forcément pro-LGBT… Donc voilà. Et je pense que le mot Kwir englobe toutes ces réalités là. Euh… Oui !

Camille Bardin

Et c’est déjà pas mal. (rire) Du coup, on l’a vu, la pensée que tu déploies, elle est véritablement intersectionnelle. L’un de tes combats consiste notamment à faire entendre aux personnes réunionnaises qui seraient LGBTQphobes que les identités queer ne relèvent pas d’une lubie de blanc ou de blanche. Tu as dit cette phrase notamment que je trouve super dans l’une de tes interviews. C’est « À toustes celleux qui pensent que l’homosexualité, la transidentité, le lesbianisme, ça vient d’ailleurs. Mais alors, d’où vient l’hétérosexualité ? » Je trouve ça trop bien !! Hahahaha ! En reprenant les thèses, notamment, de Monique Wittig. Tu tentes de montrer que l’hétérosexualité est autant une construction sociale qu’un régime politique. Entre 2016 et 2018, tu as donc fait campagne pour un parti politique fictif que tu as fondé et nommé « PD Pour demain ». Et genre vraiment, si tu m’autorises à mettre des extraits dans cet épisode, j’aime vraiment trop… Parce que tu cris « PD » et tout le monde gueule « PDDDDD ». C’est INCROYABLE ! Est-ce que tu veux bien nous raconter ce projet complètement fou ?

Brandon Gercara

Avec grand plaisir ! Alors le projet « PD pour demain », je l’ai imaginé pendant un workshop avec l’artiste Myriam Omar Awadi qui est maintenant une amie. Et juste avant ce workshop, il y avait une campagne pour les élections régionales ou municipales, je ne sais plus… Mais en tout cas, il y avait des affiches partout dans les rues, des affiches des politiciens et des politiciennes et ça m’a donnée l’idée de coller ma tête à côté de ces affiches là. Et en fait, quelques jours après avoir collé ma tête, il y avait marqué l’insulte « PD ». Et ce qui était drôle, c’est que juste à côté, il y a une affiche « PS » et c’est comme ça que j’ai eu l’idée du projet « PD pour demain ». Donc forcément, c’est la réappropriation d’une insulte pour en faire une force, un parti politique. Et donc après avoir eu cette idée là, j’ai travaillé aux côtés de l’artiste plasticienne Myriam Omar Awadi, pour tout le côté esthétique, plastique. Et j’ai travaillé avec Nicolas Givran qui est comédien et qui m’a aidé plutôt pour le jeu d’actrice. Et j’ai travaillé aussi avec Éric Lebeau qui est musicien, plutôt pour la partie discours donc. Et ensuite, justement par rapport au discours, j’ai lu « La pensée straight » de Monique Wittig qui a complètement structuré ma pensée et mon discours en fait. Et c’est comme  ça que j’ai décidé d’investir l’espace public de mes discours, de ce politicien fictif qui s’appelle « Dominique Payet ». Et pour la petite histoire, je ne sais pas si je l’ai déjà dit, mais en fait Dominique Payet c’est les initiales de DP et donc c’est l’inverse de PD quoi… C’est comme Emmanuel Macron avec En Marche. Enfin bref. Et donc voilà, il y avait vraiment toute une esthétique de la politique qui m’intéressait beaucoup… Et donc voilà, j’ai investi l’espace public de voitures sono avec des musiques de campagne.

Camille Bardin

Tu faisais vraiment des meetings !

Brandon Gercara

Ouais clairement !

Camille Bardin

Et les gens étaient eux aussi en meeting politique ! Iels criaient… Enfin moi même j’aurai hurlé je crois ! Hahaha ! 

Brandon Gercara

Hahaha ! Ce qui est cool c’est que j’étais un peu dans le mensonge. C’est à dire qu’en fait je faisais semblant d’être vraiment en meeting. C’est à dire que j’investissais les médias en disant « ben voilà, j’ai un projet politique, voilà. » Je… 

Camille Bardin

Ah mais premier degré ? Enfin les médias y allaient premier degré ? 

Brandon Gercara

Ah ouais clairement ! Et c’est fou parce qu’ils ne sont pas allés vérifier ! Mais c’est cool parce que du coup, j’avais une place enfin ma parole avait vraiment une place. On ne se disait pas que c’était juste de l’art contemporain quoi. De toute façon, généralement mes meeting n’étaient pas annoncés comme comme un spectacle.

Camille Bardin

Mais j’ai l’impression que c’est très présent dans ton travail d’arriver et de ne pas te présenter comme étant un artiste contemporain mais devenir et de laisser planer le doute. On sait pas trop…

Brandon Gercara

Ouais, parce que je trouve que…

Camille Bardin

Ça permet de déplacer les lignes non ?

Brandon Gercara

Exactement. Voilà, c’est ça. En plus je pense que ça me permet de parler à un autre public que celui de l’art contemporain. En fait, c’est super important. Et donc voilà, j’ai fait ce meeting politique pendant trois ans et voilà. Après des fois je demandais à des faux militants quand même de venir m’accompagner parce qu’une fois par exemple j’ai eu un problème à la Plaine des Palmistes. J’avais fait un meeting, donc forcément sans l’annoncer. Et dans le public il y a quelqu’un qui a dit en créole : « moi lé pas pd moi ». En gros, il disait « je ne suis pas pédé moi ». Parce que, comme tu le disais, j’ai un slogan et je dis : « Nous sommes tous… »

Camille Bardin

« PDDDDD » (En faisant comme si elle criait) 

Brandon Gercara

Oui voilà c’est ça hahaha ! Et voilà, lui disait que non, qu’il n’était pas pédé. Mais bon, il était super en colère et un peu menaçant. Mais après, ça s’est bien passé.

Camille Bardin

Ouais.

Brandon Gercara

Et du coup, après, je demandais à de faux militants de venir crier et forcément, ça venait donner de la puissance et du corps en fait au projet.

Camille Bardin

Mais c’est vrai, je me souviens… Comme j’ai un petit peu diggué pour préparer cet interview et effectivement, j’ai vu une espèce d’interview qui faisait très premier degré. Mais moi je pensais que ça faisait partie de la performance. Et justement je crois que la journaliste te demandais : « Mais du coup, est-ce que vous êtes contre les hétéros ? » Hahahah  

Brandon Gercara

Hahaha !!! 

Camille Bardin

Elle était au bout du rouleau, en panique hahaha !

Brandon Gercara

Mais en plus tu vois à cette époque j’étais plus jeune et j’avais vraiment du mal… Je voulais qu’on y croit et tout. Et donc ça se voit dans cet interview, que j’essaie de m’en sortir parce que du coup je mens quoi ! Mais c’était drôle ! (Iels rient) C’est comme ça que j’ai commençé mon travail plastique on va dire, en tout cas dans la sphère publique. Et donc en fait, je me faisais passer pour Dominique Payet et je disais que j’avais travaillé dans des écoles à Sciences-Po… Ce qui est complètement faux. Enfin voilà. Et c’était drôle, c’était drôle.

Camille Bardin

Mais non, c’est vraiment hallucinant, c’est trop bien ! Mais d’ailleurs, c’est marrant parce que tu dis que tu étais jeune et effectivement je l’ai senti aussi. C’est assez beau de voir comment ton travail se déploie d’année en année et comment tu affines tes réflexions, tes recherches… Ton travail aussi devient de plus en plus pointu et c’est agréable de voir cela. 

Brandon Gercara

Merci beaucoup. (Iels rient un peu géné·es)

Camille Bardin

Et du coup dans ton travail tu fais beaucoup de lip sink, donc de synchronisation labiale. Tu as proposé une performance qui s’appelle « Lip sink de la pensée » dans laquelle tu reprends des prises de parole de militantes féministes et décoloniales comme Françoise Vergès, Elsa Dorlin ou encore Asma Lamrabet, mais pas seulement. Tu as aussi tout un travail de lip sink sur des chansons populaires réunionnaises qui sont très misogynes, ça s’appelle « Queeriser la musique ». Quand on voit ce travail, on comprend donc que tu te réappropries certaines insultes, que tu tournes à la dérision, cette vision hétéro patriarcale. Mais ce n’est pas tout. Dans une interview, je lisais que plus jeune, c’était des chansons que tu écoutais avec tes frères et ça m’a fait penser au livre de Roxane Gay « Bad feminist », dans lequel elle parle justement des relations conflictuelles qu’elle entretient avec certaines œuvres de la pop culture. Elle explique que certaines chansons, si elles glorifient l’humiliation des minorités de genre et de ce qu’elle est fondamentalement. Elle dit « bon sang qu’elles sont entraînantes. » Du coup, j’ai l’impression que ce travail vient aussi interroger cette incompatibilité qui peut exister entre ces deux endroits de ton identité. Donc à la fois le fait que ces insultes attaquent la personne que tu es, mais aussi le fait que tu aies grandi en étant accompagné·e par ces chansons. Et qu’est ce que tu en penses ?

Brandon Gercara

Je suis trop content·e que tu parles comme ça de ce travail parce que c’est absolument ça en fait. Au tout début du projet queeriser la musique , je me rappropriais des chansons populaires à la Réunion, des chansons sur lesquelles je danse, mais qui d’une certaine manière sont effectivement sexistes, en tout cas certaines de ces chansons. Donc moi ce que je faisais, c’est que j’en faisais des clips vidéo, ce qui me permettait, je pense à mon sens d’annuler les paroles sexistes, le fait que ce soit moi qui le dise en tant que personne non-binaire et gai. Et cela permettait aussi de visibiliser un corps, de montrer une représentation différente de ce qu’on connaît à La Réunion, donc en tant que personnes non-binaire par exemple. Et en fait ces vidéos ont été reprises et diffusées sur les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook, Tik Tok et aussi YouTube. Il y avait des gens qui reprenaient ces vidéos et en fait ça avait valu un petit buzz faut le dire. Hahaha ! Non mais à l’échelle de la Réunion quoi.

Camille Bardin

Ben grave !

Brandon Gercara

Mais à côté de ça, ça m’a valu quand même une vague de cyberharcèlement, mais que j’ai évidemment contestée. J’ai pris du temps à contester quand même. Parce qu’en fait, c’est violent, on ne se rend pas compte, mais c’est super violent. Parce que… Enfin, comment dire… C’est des messages que tu reçois de manière personnelle. Et moi, c’était la première fois que j’étais confronté à autant de personnes qui te menacent. Et du coup t’as peur de sortir dans les rues. Moi, je sais que je suis resté·e chez moi, enfermé·e chez moi pendant trois jours. J’étais vraiment pas bien. Mais donc après j’ai eu l’énergie de contester et du coup, comme on dit, ça m’a permis de « visibiliser » cette haine qui était jusqu’alors latente. Et la visibiliser sur les médias locaux aussi. Et au début les plaintes étaient pas prises. Parce que voilà, j’ai voulu porter plainte, ce qui est normal.  Ce qui n’est pas normal par contre, c’est que ma plainte n’a pas été prise en compte. Cela a donc révélé le fait qu’à La Réunion, dans les bureaux de la gendarmerie ou de la police, en tout cas dans ce bureau là, on ne croyait pas à la LGBTphobie, on ne comprenait pas ce qu’est la transphobie et en plus on ne pouvait pas imaginer qu’il y ait du racisme à La Réunion parce que soi disant La Réunion est une terre « multi ethnique » etc. Donc heureusement qu’il y avait les réseaux sociaux pour avoir un poids. Moi je trouve que les réseaux sociaux sont un système de contre pouvoir. Ils m’ont permis d’intervenir dans les médias à La Réunion, et d’avoir gain de cause en quelque sorte. Et maintenant, le projet « queeriser la musique », je l’emmène plutôt en duo avec mon ami artiste-plasticien Yannick Peria. Et aujourd’hui on écrit nos propres musiques parce qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on y aille clairement parce qu’en plus il y a tout à créer. Donc on s’est dit où sont les musiques dancehall queer réunionnais ? Parce qu’en fait on a envie de danser sur nos propres sons et. Et donc voilà, maintenant on est invité dans différents lieux, on fait des concerts et des showcase hahahahah ! 

Camille Bardin

Franchement on n’est jamais mieux servi que par soi même. Hahaha ! 

Brandon Gercara

Mais ce qui est drôle c’est que, en décembre par exemple, j’ai été invité par ma ville. Ce qui était super étonnant parce qu’on a fait un concert parmi des chanteurs super connus à la Réunion et c’est fou en fait le décalage qu’il y avait et finalement le public était à fond !

Camille Bardin

Tout est disponible en légende…  

Brandon Gercara

Oui oui. Allez écouter !

Camille Bardin

Allez streamer fort hahaha !

Brandon Gercara

Et donc voilà. Et ce qui m’intéresse au delà de ça, c’est que tu vois, quand on a un travail militant, qu’on est dans la militance, ça nous met forcément en colère parce que bah on est éveillés en fait, et j’ai trouvé que la musique me permettait de lutter de manière joyeuse. Ça me procure de la joie ! 

Camille Bardin

Oui, il faut qu’on réussisse à injecter de la joie dans tout ça ! 

Brandon Gercara

Clairement ! Franchement, ça fait du bien.

Camille Bardin

C’est clair… Quand ton cœur gonfle parce que tu vas juste bien… 

Brandon Gercara

Grave ! Mais tu vois, on en a besoin de ça. Parce que c’est super épuisant d’être en colère tous le temps.

Camille Bardin

Mais c’est trop beau le chemin que tu as parcouru… Parce qu’en fait, au début, c’est comme si t’avais appuyé sur une grosse pustule et tout était sorti. Vraiment, tu t’es tout pris dans la tronche et maintenant ça y est, tu crées toi même tes espaces et tu crées toi même les mots que tu as envie de poser. Et c’est vraiment trop beau comme mouvement, je trouve.

Brandon Gercara

Ben merci beaucoup hahah ! Je pense aussi que ça parle aux gens qui me ressemblent. Je sors des espaces d’exposition. J’investis notamment les réseaux sociaux… Et du coup on devient nos propres modèles. Et donc ça, c’était quelque chose qui était super important pour moi. Et après, je pourrais aussi parler de la question des représentations de la figure du chanteur ou de la chanteuse qui met en jeu les questions de performativité du genre. Je pense aux pop stars comme Beyoncé, etc. Et je trouve ça assez intéressant de me permettre de m’habiller avec une robe moulante et montrer mon ventre poilu, etc. Et du coup, tu vois ça à force en fait les gens s’habituent et du coup je pense que ça peut aider à la déconstruction. Enfin, moi j’aurais aimé écouter de la musique réunionnaises. Trouver des modèles à La Réunion, tu vois ? Pas qu’en France, pas qu’à Paris. Parce que ce qui est un vrai problème des personnes à La Réunion, c’est que nos regards sont toujours tournés vers ailleurs. C’est comme si être LGBTQ+ cela ne pouvait être fait qu’ailleurs et non pas ici. Ce qui est un vrai problème je trouve.

Camille Bardin

Oui mais vraiment, ton travail a permis d’imprimer sur la rétine des gens, tu vois des modèles qu’ils n’avaient pas forcément jusqu’ici.

Brandon Gercara

Ouais, c’est cool, enfin moi je suis trop contente de pouvoir faire ça. Et en plus, ça me permet de gagner de l’argent.

Camille Bardin

Ben oui du coup !

Brandon Gercara

Et je gagne presque plus maintenant grâce à ça ! Enfin non… Non, faut pas exagérer. Mais clairement, je gagne plus en peu de temps. C’est une économie maintenant.

Camille Bardin

Mais trop bien ! 

Brandon Gercara

Donc voilà.

Camille Bardin

C’est tellement cool. Du coup, depuis plusieurs mois maintenant, tu voyages beaucoup. Tu as commencé par aller à Bruxelles, puis à Paris. Récemment, tu montrais ton travail dans le cadre de la cinquième Biennale internationale de Casablanca. Tu as aussi été l’assistant de Myriam Omar Awadi au Mali. Je lisais dans une interview que tu donnais au critique d’art Syham Weigant que tu avais l’impression d’être dans un état permanent de déplacement. Comment le fait d’avoir grandi à la Réunion, donc d’être insulaire comme tu disais, puis d’être aujourd’hui rentré·e dans un circuit international d’art contemporain, impacte ta pratique artistique mais aussi ta pensée ? Le fait de te confronter à différentes géographies, à différentes manières d’envisager son corps, etc.

Brandon Gercara

Ouais ben en fait quand je disais à Syham que j’avais l’impression d’être dans un état permanent de déplacement, à ce moment là, je pensais à la question de la fuite. Parce qu’il y a cette idée de fuir sa famille en tant que personnage LGBTQIA+ de La Réunion. Parce que c’est difficile de vivre librement son identité de genre, sexuel ou romantique là-bas. Et aussi il faut fuir les espaces de domination coloniale. Forcément, je pense au marronnage en fait, donc à ces personnes qui ont résisté, qui ont fui les esclavagistes. Je fais écho à ça. Mais concernant mon travail plastique sur la question des déplacements, je crois que ça m’oblige effectivement à devoir quitter l’île de la Réunion de temps en temps. D’abord parce qu’en fait, on ne peut pas concevoir une carrière artistique à La Réunion. C’est une réalité. C’est à dire qu’il n’y a pas assez de structures culturelles pour faire vivre les artistes et leurs projets. Même si à la Réunion on est mieux lotis par rapport aux autres… J’aime pas ce mot; mais aux autres « Outre-mer ». Je crois que c’est là où il y a le plus de structures et d’argent pour la culture, en tout cas dans l’art contemporain. Mais voilà, en dehors de ça le fait de quitter la Réunion me permet de me confronter à d’autres réalités et de prendre du recul pour comprendre les réalités de la Réunion et par exemple au Maroc justement être LGBT, c’est pas possible. C’est interdit par la loi. Mais ça m’a permis de découvrir les travaux sur le féminisme islamique et je pense que ce séjour là m’a aussi permis de comprendre d’autres types de luttes. Et je trouve que mes déplacements en France et en l’occurrence à Paris m’ont permis de me confronter à de jeunes pratiques. Au Salon Montrouge, j’étais trop contente de croiser les travaux d’artistes qui ont complètement intégré les questions décoloniales, queer et féministes. Et forcément, je pense que ça nourri ma pratique parce que, c’est des réalités qui sont différentes de celles de La Réunion. Ça me nourrit et ça me permet d’appartenir à une famille d’artistes. Parce que je peux pas dire que, pour l’instant, on peut envisager une famille d’artistes contemporains queer à la Réunion. Il y a quelques artistes, mais pas comme ici par exemple. Et je le ressent parce que quand je viens à Paris, il y a des personnes que je retrouve comme Thomas Conchou ou Silina Syan justement. Et je reviens avec toutes ces énergies là quand je reviens à La réunion, et notamment quand je travaille avec Requeer. Voilà…

Camille Bardin

Mais je voulais savoir est-ce que tu as déjà lu « L’amour fait loi » ?

Brandon Gercara

Ah non, pas du tout !

Camille Bardin

Et bah justement, c’est sur les amours LGBT et la communauté LGBT marocaine. C’est un ouvrage collectif qui est sorti à la fin du confinement, comme une espèce de cri de colère… Je mettrai sa référence en description ! 

Brandon Gercara

Oui, je le lirai !

Camille Bardin

On arrive à la dernière question de PRÉSENT.E ! La fameuse… Tu es bien au courant ?

Brandon Gercara

Oui, j’ai écouté tes podcasts déjà ! 

Camille Bardin

Ah oui, c’est vrai que tu es au courant ! Tout va bien ausi ! Parce que du coup maintenant je le dis même plus aux artistes que j’invite. Avant, à chaque fois que j’appelais un artiste ou une artiste pour lui dire que j’aimerais bien faire un épisode avec ellui. Je disais tout le temps : « Par contre, je ne sais pas si tu sais… Mais il y a ma dernière question… Est-ce que ça ne te dérange pas… » Donc ! Cette dernière question ! Son but c’est vraiment de parler des stratégies d’existence et d’épanouissement dans ce milieu qu’est l’art contemporain. Et cette question c’est : « Est-ce que tu réussis à vivre de ton travail artistique ? »

Brandon Gercara

Déjà, merci de poser la question. Franchement, je pense que c’est une question importante à poser parce qu’effectivement j’ai l’impression que c’est un sujet super tabou… 

Camille Bardin

De moins en moins, mais il reste du travail…

Brandon Gercara

En vrai, moi je vis pas complètement de ma recherche plastique, même s’il faut dire la plupart de mes ressources financières sont en lien avec ma pratique. Ça c’est ce qui est bien. Et je dois dire que je me considère dans une situation privilégiée, même si je pense que je reste quand même dans une sorte de précarité. Donc dès la sortie de l’Ecole Supérieure d’Art de la Réunion, j’ai eu la chance de travailler au sein du FRAC Réunion, dans la médiation. Et la direction m’a laissé la liberté de lier mon travail de médiation à mon militantisme. C’est à dire que j’ai pu proposer des médiations en créole réunionnais, ce qui ne se faisait pas forcément avant. J’ai pu aussi le lier avec des questions qui me sont chères sur les questions d’inclusivité. Et j’ai pu envisager des ateliers et on m’a missionné après sur des commissariats. Et donc voilà, c’est ce qui me faisait vivre jusqu’ici. C’est cool parce que c’était des missions qui n’étaient pas super éloignées de ma pratique. Mais depuis moins d’un an, j’ai choisi de me consacrer un peu plus à ma recherche plastique. Ce qui est cool parce que le FRAC Réunion – donc le Fond Régionnal d’Art Contemporain pour celleux qui connaissent pas – le FRAC m’a proposé·e d’être artiste associé·e.

Camille Bardin

Trop bien !

Brandon Gercara

Et en fait, ça aide énormément. Ca implique que je pouvais prétendre à faire financer mes projets plastiques. Mais ma recherche plastique, en tout cas mon processus de création est assez long. Ce qui fait qu’avant d’être payé grâce à mes recherches ben je suis morte de faim, hahah ! Donc je mange pas de ça quoi. Enfin ça arrive momentanément…

Camille Bardin

Oui, ça ne suffit pas.

Brandon Gercara

Ouais voilà, c’est à dire que je ne fais pas de tableaux quoi… J’ai pas de galerie ou quoi que ce soit, je ne suis pas représenté·e. Et donc moi à côté de ça, je développe requeer et ça finance certains de mes projets et me permet d’avoir un peu d’honoraire. Ce qui m’aide à être un peu plus stable. Et sinon, voilà, de manière générale, pour développer mon travail plastique, j’ai fait le choix de réduire mes dépenses de vie. C’est une stratégie… Et tout va bien, mais là je quitte mon logement pour rentrer chez mes parents, tout simplement. Ce qui me permettra d’avoir un peu plus d’argent. Après moi j’ai la chance de pouvoir vivre chez mes parents et que ce n’est pas compliqué avec elleux. Mais voilà, je pense que la question de la rémunération, en tout cas moi, c’est quelque chose qui me pose question en fait, parce que je trouve que le système de rémunération dans l’art contemporain peut nous mettre dans une situation humiliante je trouve. On doit toujours remercier les gens de nous donner l’argent qu’on nous doit, pour le travail qu’on a fourni ! On a bossé quoi.

Camille Bardin

Oui c’est horrible comme situation. Enfin c’est dingue de devoir se battre pour avoir 150 balles.

Brandon Gercara

Non mais c’est fou ! Et le pire c’est quant tes invité par des structures qui disent poser ces questions là. C’est là que c’est super violent. 

Camille Bardin

Oui, j’ai récemment envoyer un mail à un client qui ne voulait pas me payer en lui disant que la violence elle était autant économique que symbolique de me faire intervenir pour parler d’éthique de travail sans même avoir pensé à me rémunérer. Cela montre comment les institutions sont capables de reprendre nos luttes, de se les réappropier, de les dépolitiser, de la pacifier. 

Brandon Gercara

Mais clairement, c’est le danger de se réapproprier toutes ces luttes sans les incarner, sans les comprendre… Et moi aussi j’étais super en colère il n’y a pas longtemps, parce qu’une institution était censée me rémunére et en fait, ils sont tous partis en vacances là. Et moi je galère…

Camille Bardin

C’est vraiment horrible !! Avec la plateforme Chorus aussi en plus… Tu dois courir derrière tout le monde… Et tout le monde te dit « Ben désolé, mais il y a des embouteillages ! Ce sera bon dans trois mois ! » Et toi t’es là… En mode : « mais moi je peux pas faire un régime de trois mois enfin !! Et puis je dois payer mon loyer !! » 

Brandon Gercara

Ben oui, on vit comme tout le monde… On a des réalités en fait. Mais en vrai il y a un vrai travail à faire et c’est pour ça qu’il faut en parler ! Ça fait du bien d’en parler. 

Camille Bardin

Oui ne pas se sentir seule en plus de ça… 

Brandon Gercara

Oui, j’espère que ça va bouger.

Camille Bardin

Moi j’y crois ! Ça va faire trois ans que je pose cette question dans PRÉSENT.E et au début les gens étaient vraiment très mal à l’aise, juste à l’idée d’en parler, ce qui était un vrai frein au militantisme selon moi. Parce que dès lors que t’as honte de pas avoir de thunes, comment tu veux gueuler pour en avoir ?

Brandon Gercara

C’est clair.

Camille Bardin

Donc ouais, je sens que ça bouge un peu, mais bon…

Brandon Gercara

Et tu vois, je crois qu’en tant qu’artiste, je pense qu’on a le devoir de refuser cette précarité. Parce que moi j’ai l’impression que les gens ont une image des  travailleurses de la culture, enfin des indépendant·es qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraîche. Et en fait, moi non, je refuse ça. Moi je veux être dans l’opulence ! Hahahahaa !

Camille Bardin

Hahaha ! Non mais c’est bien que tu dises ça aussi ! Parce qu’en plus chaque fois je parle juste de pouvoir payer son loyer, de pouvoir bouffer.  Mais on parle même pas du fait de réussir à se prendre une semaine de vacances. Enfin tu vois ce qu’on s’autorise même pas… C’est ouf ! Et en plus on bosse tout le temps ! 

Brandon Gercara

Mais en tout cas, moi c’est un sujet qui m’interpelle. Et dans ma recherche, c’est quelque chose qui me questionne beaucoup parce que je trouve que c’est un moyen d’emprise. Enfin comment dire… Je trouve que l’argent est un moyen de pression, souvent pour contrôler des artistes en fait, et pour contrôler leurs discours. Moi quand je fais mes demandes de sub et cetera, je dois quand même lisser mon discours parce que si je commence à dire « il faut tout péter et tout » on ne va pas me donner de l’argent. Donc de mon côté, je dois développer des stratégies pour avoir accès à des financements. Bon, j’espère pas me faire griller en disant tout ça… Mais bon,   je crois en la force des militant·es infiltré·es parce que je pense que tous les militants radicaux ont besoin aussi des militant·es infiltré·es. Et je pense que c’est un moyen aussi d’avancer et d’infiltrer des espaces parce qu’en fait, la précarité, ça suffit !

Camille Bardin

Trop bien ! Moi j’aime bien me dire qu’on finit sur l’opulence et sur l’infiltration !  On en a marre ! Hahahaa

Brandon Gercara

Clairement ! Hahahah ! Trop bien !

Camille Bardin

Merci Brandon… 

Brandon Gercara

Merci à toi !

Camille Bardin

Trop contente de t’avoir réussi ! Moi ça me fait super plaisir. Merci à vous chers auditeurices d’avoir écouté cet épisode. Comme d’habitude, je vous donne rendez vous sur le compte Instagram de PRÉSENT.E. N’hésitez pas à suivre Brandon et allez écouter ses sons. N’hésitez pas également à vous abonner au podcast sur votre plateforme d’écoute et à lui mettre des étoiles ! Ce podcast est complètement autoproduit, donc ça m’aide beaucoup. Enfin, je remercie grandement David Walters pour le générique. Je vous dis à la semaine prochaine, mais d’ici là, prenez soin de vous et je vous embrasse.

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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