Camille Bardin
Bonjour à toutes et à tous. J’espère que vous allez bien. Aujourd’hui l’épisode de PRÉSENT.E est consacré à l’artiste Joël Harder.
Camille Bardin
PRÉSENT.E est un podcast dans lequel je souhaite porter au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contemporain. Mes questions portent donc rarement sur les œuvres en elles-mêmes mais davantage sur toutes les réflexions et les doutes qui gravitent autour de celles-ci. Car ici je m’intéresse d’abord à la manière dont la vie de mon invité.e impacte son travail puis à l’inverse à la façon dont son travail vient impacter sa vie. Dans PRÉSENT.E j’essaie de mener les conversations comme j’ai l’habitude de le faire en tant que critique d’art dans les ateliers d’artistes ou à la terrasse des cafés. Sauf qu’ici nous sommes enregistré.e.s et vous avez la possibilité de tout écouter.
Camille Bardin
En avril dernier Mathilde Leïchlé et moi avons réalisé un reportage pour Jeunes Critiques d’art, le collectif dont on est toutes les deux membres. C’était dans le cadre de 100% L’expo à La Villette et nous avions choisi de suivre une association qui s’appelle « les souffleurs de sens » et qui propose des visites commentées pour des personnes aveugles et malvoyantes. – Si ça vous intéresse, vous avez toutes les informations en description. Nous étions donc avec Serge, un des bénéficiaires de l’association et deux bénévoles quand on est tombé sur l’artiste Joël Harder qui était juste à côté de son installation. Serge n’avait encore jamais fait d’exposition d’art contemporain de sa vie alors les bénévoles de l’association ont demandé à Joël s’il voulait bien parler un petit peu de son travail… Et je ne pense pas trop m’avancer en disant que Mathilde et moi avons adoré ce moment. Déjà parce qu’on découvrait un petit bout du travail prolifique de cet artiste dont on avait encore jamais entendu parlé et parce que Serge était émerveillé de découvrir à quel point l’art contemporain pouvait être riche et rassembler des pratiques aussi diverses et multiples. Je crois que ce moment est de ceux qui participent à nous rappeler pourquoi on fait ce boulot… Depuis ce jour, j’ai envie de consacrer un épisode de PRÉSENT.E à Joël, je suis donc ravie que ce moment soit enfin arrivé et qu’on puisse parler dans ce podcast du projet fleuve de Joël Harder.. Bonjour Joël…
Joël Harder
Bonjour Camille !
Camille Bardin
Peut-être qu’avant toutes choses, on pourrait planter le décor… Tout ton travail et tes recherches se basent sur un espace particulier… Est-ce que tu veux bien commencer par nous le présenter ?
Joël Harder
Bien sûr. Alors c’est un travail qui s’articule autour d’une ripisylve. La ripisylve, c’est une forêt qui borde un cours d’eau, donc qui vient du latin ripaille, Sylvain. Et donc on a cette ripisylve qui est toute au long d’une rivière, la rivière de l’Ardèche, dans le sud de la France, et c’est tout proche de la maison dans laquelle j’ai grandi. Donc ma maison d’enfance dans laquelle j’ai passé mes quinze premières années avant de partir ailleurs dans les études créatives. Et donc on est dans un territoire chaotique. D’un point de vue botanique, ça part dans tous les sens. C’est beaucoup d’herbes, des herbes, des buissons. Un tas d’arbres qui n’ont pas de racines profondes. Donc tout ça est en perpétuel mouvement. Dès que le fleuve de la rivière à côté est en crue, tout se modifie et donc des nouvelles graines arrivent. Des graines arrivent par le vent, par les animaux, par les pneus des voitures. Tout ça est en perpétuel mouvement. Donc c’est dans cet espace que j’ai décidé de travailler pendant à peu près deux ans. C’est un espace qui est fréquenté par des hommes, par des hommes homosexuels qui sont à la recherche de partenaires pour des connexions autant émotionnelles que sexuelles. Pas uniquement sexuelles justement. Et c’est un espace que je n’avais jamais fréquenté auparavant, fréquenté physiquement auparavant. Avant ce travail, je connaissais de réputation par internet, par les articles dans les journaux, mais jamais j’ai osé mettre le pied là dedans.
Camille Bardin
Ok ! Et ton projet prend souvent la forme d’une installation, d’une installation qui rassemble une multitude d’objets. Tous ont une histoire à part entière. Il y a notamment cet herbier en cuir qui prend la forme d’un porte clé. Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de cet objet et nous dire quel est son secret, son utilité cachée ?
Joël Harder
Hum. Ça a commencé pendant mon projet diplôme avec les Arts Déco à Paris et la Bunka Gakuen à Tokyo, où je travaillais en collaboration avec Avec les Compagnons du Devoir dans un apprentissage de maroquinerie à Pantin. Et donc j’ai voulu créer mes propres objets, mes propres artefacts, ces accessoires qui vont me servir à réaliser une recherche, à documenter et archiver cet endroit. Donc il y a toute une question de voilà, du bouleversement de cette forêt qui va être réaménagée. Donc j’ai pris parti d’archiver tout ça. Donc j’ai dû créer mes propres outils et entre autres un studio photo portable, des sacs qui me permettent de ranger correctement tout ce que j’ai collecté avant de le ramener au studio. Et donc comment ? Comment inscrire ces artefacts qui étaient vraiment dans le cadre d’une démarche de design ? Donc vraiment, ce que me demandaient les Arts déco de Paris.
Camille Bardin
Parce que toi tu viens du design de mode ?
Joël Harder
Du design de mode dans des études à la fois de design textile à Lyon, design de mode à Paris et plus dans la sociologie de la mode et du vêtement à Tokyo, donc tout ça qui se croisent. Donc comment intégrer le caractère de cette forêt dans ce que je crée ? Donc oui, il y a des affaires, il y a des histoires de design. Observer comment ce qu’on collecte dans le monde entier, les différentes pratiques, que ce soit les timbres, que ce soit les voitures… Comment sont les contenants, comment est-ce qu’ils sont designés. Et donc j’ai commencé à travailler avec les compagnons autour d’une technique qui vise à garder, à créer un camouflage végétal en fait, qui hybride à la fois des techniques dans la gainerie et dans le moulage. Donc il s’agit de prendre des végétaux qui sont prélevés dans cette forêt et de les garder sous une pellicule de cuir. Donc dans plusieurs de ces artefacts, autant le sac de chasseur-cueilleur, le porte clé qui est là, qui a encore des origines diverses et toute une série de pièces qui sont plus comme des tableaux. Donc vraiment un herbier en tant que tel qui témoigne d’une capsule spatiale de cet endroit. Donc tout ça à garder dans cette technique, le cuir qui respire, qui laisse mourir doucement la plante et qui est comme en fait une pellicule, comme on peut mettre un linceul sur le visage d’une personne défunte. Donc c’est un peu cette idée là.
Camille Bardin
On en a un juste ici, de porte clés, tu en as avec toi, t’es arrivé avec autour du cou.
Joël Harder
Oui, je le porte toujours !
Camille Bardin
Il est trop beau… J’adore cet objet. Bon, il sera en photos sur le compte Instagram de PRÉSENT.E et je pense qu’il y en a aussi sur ton propre compte Instagram. En photo.
Joël Harder
Il y en a un oui !
Camille Bardin
Oui et donc vous aurez tout en description. Du coup on peut voir quoi… Est-ce que tu peux me dire là que ce qu’on peut voir peut être sous cette pellicule de cuir ?
Joël Harder
Donc on a un objet qui a la forme d’une cloche. Donc on va dire dans la maroquinerie. Traditionnellement, c’est un lexique qui est connu dans le milieu du cuir, les cloches qui gardent les clefs dans tout ce qui est bagagerie ou les sacs, on a toujours une toute petite cloque pour cacher la clé qui ouvre le cadenas du sac, même si aujourd’hui ce n’est plus que décoratif. Mais l’esthétique de l’objet à la base est inspirée d’un sèche mouche.
Camille Bardin
Ok !
Joël Harder
Un sèche mouche de pêcheur. Donc toute cette philosophie de travestir des objets qui sont utilisés à différentes fins on va dire dans cette forêt, autant par des chasseurs que des pécheurs, que des dealers. Donc tous ces codes en fait d’un point de vue vraiment vêtement, des symboles qui sont utilisés, moi je les ai détournés. Donc ce sèche mouche de pêcheur est devenu un porte-clé. Donc le porte clé a une autre symbolique, une symbolique sonore pour le coup. En plus, dans un contexte urbain, quand quelqu’un secoue ses clés comme on va entendre ici à micros (Il secoue les clefs) donc quand quelqu’un secoue ses clés dans un espace public particulièrement, un jardin ou un parc, c’est qu’il signale sa recherche de partenaire sexuel. Donc c’est un code pour les initiés, un code sonore. Donc cette histoire de clés va revenir dans plusieurs de mes artefacts, donc des clés qui sont gardées sous le cuir ou juste l’objet du porte clé qui a cette forme de cloche, donc inspiré donc des pêcheurs, mais qui est hybride avec ce code sonore. On a devant nous une cloche avec différents végétaux. Ce sont des feuilles qu’on voit, comme c’est l’inverse d’un gaufrage, en fait. C’est les végétaux qui restent présents dans le cuir qui donnent cet effet de volume. Donc on peut le caresser, on a toujours les plantes en dessous.
Camille Bardin
Les plantes sont encore sous le cuir ?
Joël Harder
Elles sont encore sous le cuir !
Camille Bardin
Et elles ont séchées et elle disparaissent petit à petit quoi…
Joël Harder
Oui, elles ont séchées et elles vont rester à tout jamais. Elles ne craquent même plus. Elles sont, elles ont perdu toute leur humidité et elles sont séchées en formes en fait. Donc elles n’ont pas de soucis de, comment dire, dans la durabilité de l’objet, il n’y a aucun problème.
Camille Bardin
C’est trop bien ! J’adore ! J’adore cet objet et on pourrait dire que dans ton travail tu constitue des archives pour préserver la mémoire d’un lieu et d’une communauté. Tu parles notamment d’un sentiment qui est le Naori. Qu’est ce que ça signifie ? Est ce que tu peux nous expliquer ce que c’est que le Naori ?
Joël Harder
C’est indispensable que je crédite ici Ryōko Sekiguchi dont j’ai découvert les écrits au retour de mes études à Tokyo. Donc ça a commencé par l’ecrit qui s’appellent Nagori, qui est édité en France chez P.O.L. Et donc Nagori c’est une notion qui englobe beaucoup beaucoup de choses différentes. Moi je l’ai quand même pas mal travaillée dans les poèmes gustatifs que j’ai proposé, donc c’est pas mal une notion autour des saveurs et de la temporalité gustative.
Camille Bardin
C’est la madeleine de Proust ?
Joël Harder
Un peu. Oui. Il y a ça. En France, il y aurait ça. Mais c’est aussi savoir que ça encapsule un espace et un temps encore une fois, dont Ryōko Sekiguchi en parle comme quand on est sur la plage et qu’il y a ce qu’amènent les vagues, les branches, certains détritus, du plastique, tout ce qui reste… Même la trace, même le dessin, les lignes des vagues qui restent mais qui témoignent de la présence à un moment spécifique de la vague ou à quelque chose qui reste plus longtemps. La lune qui reste au petit matin par exemple, et qu’on peut encore voir même parfois toute la journée et qui témoigne d’un autre moment en fait. Pour moi, le Naori est pris en tant que façon d’archiver. Comme un regard en fait !
Camille Bardin
Ok !
Joël Harder
Donc très vite j’ai eu la question est ce que je prends parti dans toute cette histoire où il y a un contexte politique un peu tendu quand même entre les utilisateurs du bois, le contexte de la Mairie qui réaménage… Donc, j’ai décidé de ne pas prendre parti là dedans. Parce que ça a peu de sens au final de prendre parti dans la situation telle qu’elle est. Il y a peu de sens, même si je sais que c’est beaucoup ce qu’on attend de moi, qu’on me pose la question : « mais du coup, comment tu te positionne etc ? »
Camille Bardin
Oui.
Joël Harder
En fait c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas du tout parce que je reconnais les erreurs de chaque partie. Donc c’est là où cet écrit de Ryōko Sekiguchi m’a beaucoup beaucoup aidé à trouver le ton en fait.
Camille Bardin
Parce que du coup ça devient presque une modalité… Tu parlais de regard et c’est presque du coup une méthodologie en fait d’approche presque. Finalement ça devient, ça devient ça chez toi j’ai l’impression…
Joël Harder
Oui, et ça a même commencé par la force des choses. Donc je revenais de Tokyo, donc d’un contexte très académique, de l’écriture de thèse, de toute cette méthode. Et donc j’étais encore dans ce jeu là quand j’ai commencé mon projet. Et donc j’arrive sur place dans ce bois, et je constate que toute cette utopie que je m’étais créée dans ma tête, de la beauté des corps qui sont là et qui font l’amour, cette utopie dans les bois, en fait même, n’est pas réel.
Camille Bardin
Oui…
Joël Harder
Elle n’est pas réelle, elle est complexe, mais la vision reste belle. Mais j’ai dû commencer de façon un peu empirique, en me cachant dans les bois, en me camouflant moi même, en allant chez Décathlon essayer toutes les tenues pour bien me cacher et y aller dans les moments où personne n’était dans le bois, j’ai pu commencer à fréquenter donc tous ces chemins de désir – on les appelle comme ça. Les chemins de désir, qu’on voit quand on sort des sentiers battus et qu’on tombe sur ces petits chemins. Donc explorer tout ça, ramasser ce que je trouve, prendre des photographies. C’était comme ça que ça a commencé pendant les premiers mois quand même. Donc autant l’édition que j’ai pu faire que Les Herbiers, en fait c’est ce temps d’observation qui a été très long. Je me suis dit ok, il faut que je comprenne l’endroit tel qu’il est vraiment. Donc j’enlève mes lunettes de parisien, mes lunettes de Tokyoïtes, de citadin. Je voulais absolument pas qu’il y ait cette sauce « retour à Reims » de Didier Eribon qui m’embarrassait énormément… Avec laquelle… Qui est toujours très difficile à… C’est un combat. Je n’arrive toujours pas à lire ce livre. C’est très dur. Et je ne voulais pas que ça apparaisse comme ça du tout. Je me suis dit non. J’observe les choses telles qu’elles sont, je ne cherche pas à dénaturer et c’est avec que je trouve sur place que je peux travailler.
Camille Bardin
Mais c’est intéressant parce qu’en plus tu t’empares d’un espace, la forêt qui est emplie en plus de fantasmes, etc. Il y a quand même énormément de choses qui se passent dans ce lieu. Il est hyper hétérotopique, c’est l’endroit du Petit Chaperon rouge, c’est l’endroit… Enfin tu vois ? Après il y a la question du bois, etc. Il y a vraiment tout un tas de fantasmes et de préjugés aussi autour de cet espace, donc j’imagine qu’il y a les tiens, mais il y a aussi ceux portés par la société…
Joël Harder
C’est un espace qui pour commencer, n’a pas de lumière artificielle. C’est une donnée très importante parce que là, pour revenir sur la drague, elle est diurne et nocturne. Là bas, il y a un peu de trafic de drogue, un peu de deal, mais c’est pas bien problématique. En fait y a ce système un peu de citoyen de cet endroit… Ça appartient à un privé tout ça hein ! c’est pas du tout un espace publique !
Camille Bardin
Ah ouais ? hahaha !!
Joël Harder
Elle le sait hein ! Tout le monde le sait. Et donc chacun fait son marché. Mais il y a quand même, il y a un certain respect… Mais il y a des oppresseurs qui agissent et qui créent de la tension et qui dérèglent tout ça. Et donc c’est un espace qui n’a pas de lumière. C’est très important dans la façon, dans ce que ça permet en fait, surtout de façon nocturne, au niveau de l’anonymat que ça permet. Mais encore une fois, l’utopie… Donc laisser libre cours à ce lâcher prise en fait. Pour ses fantasmes, pour ce côté, pour l’érotisme de se chasser, d’être chassé, de ne pas savoir à qui on a affaire, de l’inconnu… Donc ça puise dans un registre énorme de fantasmes différents qui ont chacun leur origine et donc il y a l’idée de la proie beaucoup… L’idée d’être surpris ou d’être coincé quelque part…
Camille Bardin
Oui, c’est aussi l’espace des films d’horreur. Qu’est ce qui va se passer ?
Joël Harder
Il faut être très attentif aux bruits et aux odeurs particulièrement vu qu’on n’a pas la lumière. C’est le seul indicateur qu’on a.
Camille Bardin
Ça me fait penser à un ouvrage, un autre ouvrage japonais qui est L’Éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki, et c’est un best seller absolu au Japon où justement il explique en fait le rapport que les Japonais et japonaises entretiennent avec l’ombre. Et en comparaison justement avec la vision occidentale où tout est très éclairé, etc. Et il me semble que justement Mona Chollet fait référence à un moment dans son livre sur les sorcières à ce livre là pour dire que justement, la violence de la lumière diurne vient de la lumière artificielle qui éblouit les peaux et les corps, et du coup t’oblige aussi à avoir une plastique parfaite et à être complètement visible.
Joël Harder
C’est une vraie question, c’est une vraie question. Parce que dans le réaménagement il y a aussi prévu un éclairage public pour le coup, Donc allumer la nuit et on va voir ce qui va se passer avec les crises énergétiques qui nous attendent. Mais il y a une vraie question autour de la lumière. Ça m’emmène dans plein d’endroits, autant dans la culture club que j’aime beaucoup car ce week end à Amsterdam, pendant la performance, il y avait à un moment cette intervention de « Pourquoi la lumière est elle si importante dans les clubs et pourquoi c’est si important de danser et de pouvoir lâcher prise dans un endroit où il n’y a plus forcément de lumières. Les raves telles qu’elles existaient, ça a été récupéré par les institutions, les clubs, donc légaliser tout ça, mais la lumière reste très très importante. Les clubs les plus réussis pour moi sont ceux où il y a très peu de lumière, une bonne gestion de la lumière qui vient d’en haut, pas de derrière le ou la DJ qui permet qu’on puisse s’oublier et partir vraiment dans la transe…
Camille Bardin
Bien sûr…
Joël Harder
Qu’on ait moins besoin de… Même de s’habiller ! Même dans la mode – moi qui suis pas mal issu des métiers d’art, donc la broderie, la plume – l’idée, c’est toujours de ramener du brillant, donc d’une façon ou d’une autre de capter la lumière et donc de casser l’expérience de la démocratie en appelant la lumière sur son corps, en pouvant la refléter, la multiplier et donc pouvoir diffuser plus que ce qui ne le peuvent. Enfin, ça peut être des sequins, des perles, du satin tout ce qui est synonyme de célébrations et de richesse aussi. Il y a ce vocabulaire là… Et donc dans un certain sens ça brise l’idée de l’égalité. Il y a cette intrigue autour de la plastique parfaite parce que c’est fait pour ça. Capter la lumière physiquement, c’est en lien avec ça je pense.
Camille Bardin
C’est très intéressant. Comme quoi on dirait pas. Mais la lumière c’est un big deal. En fait, dans cette quête, tu joue un rôle particulier, celui du chasseur cueilleur. Néanmoins, tu n’es pas l’unique personnage et les artefacts ne sont pas les seules entités à intégrer ton projet. Il y a aussi tous ces hommes du coup qui fréquentent ce lieu. Leur présence apparaît en négatif dans tout ton projet. Quel lien as-tu réussi à tisser avec eux ? Est ce qu’ils soutiennent ton projet ? Est-ce que tu as tisser un lien avec eux ? Est ce qu’ils le connaissent du coup ce projet ? Et comment as tu fait pour ne pas perturber cet écosystème, pour l’étudier sans le parasiter ? Que le mettre en lumière ne vienne pas mettre encore davantage en danger aussi potentiellement cet espace ? Parce que tu révèles aussi tout un tas de secrets autour de cet espace. Je me souviens notamment tu parlais du cliquetis des clefs, mais tu nous parlais aussi quand on était avec Serge à la Villette, tu nous parlais aussi de la question de l’odeur et des parfums industriels ou très odorants qui étaient mis pour justement qu’on puisse se retrouver dans les bois à distance.
Joël Harder
Bon il y a beaucoup de beaucoup de layers dans cette question !
Camille Bardin
Ahahaha ! Prenons notre temps !
Joël Harder
J’ai dû, pour être vraiment bon sur un plan un peu méthodique, prendre le temps de m’approcher et de gagner entre guillemets la confiance de certains hommes. Je dis homme parce que je n’ai croisé aucune femme sur place. Bien qu’il y en ai peut-être, mais majoritairement ce sont des hommes quand même. Et ça a pris un certain moment. J’étais un peu la personne qui mettait les pieds dans le plat. Dans un sens, j’aborde la sexualité de ces hommes donc ils n’ont pas forcément envie que je vienne fouiller là dedans. Ça peut être connoté à une partie assez intime ou cachée, et parfois honteuse aussi. Ce n’est pas le cas partout. Je ne veux vraiment pas faire une généralité de ça, mais il y a des hommes pour le coup, dans ce bois là qui y vont pour y chercher l’anonymat et être loin de la vie de famille dans laquelle ils sont engagés. Et donc ça a mis un bon moment et donc j’ai dû approcher chaque personne de la même façon. Encore une fois, la méthodologie académique avec ma liste de questions hors contexte, hors champ, donc prise de coordonnées dans le lieu de drag ok, ou alors par grinder. Je me suis créé un compte spécifique pour ça qui expliquait dans ma bio la démarche. Bon. Ce qui a fait que personne n’est venu me parler mais que ça m’a permis d’avoir certaines accroches pour les personnes sur place qui utilisaient l’application, qui ne sont pas nombreux. Et donc c’est toujours soit en plein air, donc dans des lieux où ils se sentent en sécurité. Donc c’était en dehors, dans une autre forêt ou des fois chez eux, chez eux mêmes ou sur leur lieu de travail. Donc ça a durait une heure à peu près.
Camille Bardin
Ah donc tu étais vraiment proche d’eux…
Joël Harder
Oui. Avec certains j’ai pu lier de vraies amitiés, certains ont été intrigués par par le projet par la suite et d’autres n’ont rien voulu savoir après. Donc tous les noms et les prénoms ont été changés, évidemment, et l’idée même de ce qu’est la présence physique, elle n’est révélée qu’en photographie thermique. Oui, encore une fois. La seule fois où j’ai apporté de la lumière dans ma recherche, c’était ce que j’appelais la chasse florale. C’était une période, donc dans un printemps spécifique où j’allais avec un très grand projecteur dans ce bois, je cherchais à faire de belles découvertes à la tombée de la nuit justement, sur des fleurs qui sont cachées au fin fond de la forêt des Prunellier. Souvent il y avait le sureau. Et donc à avoir cette belle surprise, comme si on tombait sur quelqu’un, une belle présence, un bel homme ou ce côté ou on sait pas sur quoi on tombe mais qui faut vraiment des fois batailler parce qu’il fait noir, il fait noir, il y a qu’un seul projecteur et donc c’est un peu une épopée. Et sinon les hommes sont photographiés qu’en photographie thermique.
Camille Bardin
De loin…
Orateur 3
De loin ou de proche ! Même quand j’ai fait des portraits d’un des hommes que j’ai interviewé c’était des portraits en thermique. Mais je les ai jamais montré celles-là. Je pense en montrer certaines en 2024 à la galerie du Crossman, mais pour le coup c’est tout.
Camille Bardin
Et parce que justement il y avait tout cet enjeu aussi, je me dis de révéler sans non plus porter complètement au jour pour justement pas mettre en danger. Encore une fois, on sent qu’il y a un vrai sérieux à ce niveau là. Tu vois.
Joël Harder
Il y a une responsabilité à fond.
Camille Bardin
Et comment tu as perçu ça ? Parce que tu vois, par exemple, je me souviens encore une fois ce que je disais quand on était avec Serge où tu nous expliquais les codes et cetera, les secrets. Tu vois, je parlais encore une fois de ce parfum… Comment comment tu gères le fait révéler sans compromettre et sans mettre en danger ?
Joël Harder
Je peux parler d’un langage commun en fait, bien qu’il est commun à peu de gens. Il y a des initiés, d’autres qui peuvent être dans la forêt sans rien comprendre. C’est un langage en fait, ce sont des symboles qu’il suffit d’apprendre, mais qui sont… Je ne peux pas confirmer qu’ils sont universels. Vraiment pas. Mais je sais que la pratique de la drague est ancienne et je pense qu’elle se fait partout dans le monde et qu’il y a des codes qui se ressemblent. Donc je peux parler des codes. Ce qui est dérangeant pour moi, c’est si on tombe dans le voyeurisme.
Camille Bardin
Oui.
Joël Harder
Internet aura beaucoup plus de choses à proposer avec un regard encore plus voyeuriste et encore plus trash ou cru. Si on veut des corps nus en train de baiser – comme on m’a demandé au début du projet – on peut aller sur Internet. On m’a dit : « mais du coup tu ne montres rien, mais tu te caches en fait tu veux rien dire, tu veux juste pas te mouiller. »
Camille Bardin
Ah ouais ??
Joël Harder
Oui, certains professeurs aux Arts Déco m’ont demandé : « mais à quoi bon du coup ? »
Camille Bardin
On veut du sang !!! Hahahaha
Joël Harder
Oui on veut voir les choses et donc il y a des photographes très bons pour ça. Mais moi c’est dans une éthique où je commence vraiment à être embêté par tous ces corps nus tout le temps, plein de fois non consentis aussi, sous prétexte que c’est une soirée… Ça, honnêtement, ça me soule moi.
Camille Bardin
Bien sûr…
Joël Harder
Et ça n’était pas intéressant pour moi de révéler tout ça, surtout l’identité de ces hommes que j’ai interviewé et que j’ai photographié. Donc c’est une pratique qui est invisibilisées dans ce lieu et donc dans les écrits que j’ai pu lire autour du camouflage autour des techniques militaires. C’est là qu’interviennent les questions de température de comment se camoufler même olfactivement, en température… Et c’est là où je me trouve, où je me sers en fait des systèmes pour traquer, utilisé par les militaires pour moi, traquer mes personnes mais avec respect. Donc il y a un tas de photos que je n’ai jamais montrées parce que je n’ai pas d’accord. Même s’il n’y a aucune chance de reconnaître l’identité.
Camille Bardin
Oui, on voit une forme humanoide et c’est tout.
Joël Harder
Non, non, non, c’est plus, ça témoigne, c’est une preuve. En fait.
Camille Bardin
C’est vraiment une trace en fait. Oui, c’est tout.
Orateur 3
Oui. Parce que ce n’est pas récent… Il y a plein d’autres artistes qui travaillent sur la drague. Le phénomène est établi et plus ou moins connu quand même. Donc c’est une trace. J’invente rien en soi.
Camille Bardin
Et ce lieu ne se situe pas très loin… Du coup, tu le disais, de là où tu as grandi plus jeune, j’imagine qu’il a dû susciter chez toi autant de craintes que de fantasmes. Ce projet, il se présente comme une enquête de terrain, mais on pourrait aussi le voir comme une sorte de quête identitaire. De même, si tu le disais et ça m’intéresse d’autant plus du coup, mais comme si tu avais retiré en fait le voile qui recouvrait pour toi cet espace mystérieux. Et en même temps, du coup, c’est intéressant, tu me parlais justement du fait que tu veux te tenir à distance de cet espèce de « retour à Reims », etc. Et donc comment tu l’as vécu toi, ce truc. Enfin je pense qu’on a toutes et tous gamin gamine, des espaces où on n’avait pas le droit d’aller, où on se disait putain mais qu’est ce qui se passe là bas ? Et du coup, toi, t’as fait la démarche de lever ce voile là. Je trouve ça fou.
Joël Harder
Alors c’est vrai qu’il y a une historique pour moi avec ce livre… Hum… Vraiment très jeune, je pensais que c’était juste un lieu… Parce que moi, la plage où on allait se baigner avec la famille, on allait faire des soirées avec les amis à faire des barbecues où on allait nager en plein air, la nuit, sous les étoiles. C’était là-bas et donc il y avait toujours des voitures qui passaient. Faut savoir qu’il y a à peine 50 mètres qui séparent la plage de l’autre côté de la rive. Et en fait, je pensais qu’il y avait bon du deal et que bon, du coup, pas étonnant qu’à 3 h du matin il y ait du monde. Mais du coup, je pensais plus que lieu était dangereux. Donc encore une fois dans la forêt, avec les voitures, on voit personne, juste des voitures qui se croisent. Hyper étrange quoi. Et c’est Internet qui m’a révélé ça. C’est Internet qui m’a révélé que c’était un lieu de drague et d’une façon, c’était hyper étonnant pour moi, je comprenais pas. Donc à l’époque, quand j’achetais des magazines Tetu en cachette, que je les mettais entre les Vogue pour que personne ne les voit, il y avait eu une Une un jour avec marqué en gros : la drague en plein air, c’est reparti, en mode c’est le printemps, tout ça ! Je me suis démandée, mais qu’est ce que ça veut dire… Et du coup yavait des adresses, des sites internet pour aller voir ce que c’était. Et donc là, je vois « entrée du Stade, chemin de Saint Privat ». Je vois la photo que je connais par cœur. Parfois on y passe en voiture… Je me suis dit « Ah bon ?? » Mais c’est pas pour autant que j’y suis allé. Vraiment pas. Et donc j’ai été intrigué. J’ai pas mal observé depuis l’autre rive et y’a ce côté… En allemand, donc une partie de ma culture, (bon, plus Suisse-Allemande. Mais en Suisse on le dit aussi.) On dit quand quelqu’un… Comme en France, on pourrait dire « il est de la jaquette. » Par exemple, on dit je suis de l’autre rive..Puis j’ai commencé à travailler sur le projet. C’était pour le Prix européen de la photographie à l’époque où j’étais en compétition grâce aux Arts Déco qui m’avaient proposé. À la base, le projet c’était déjà de réussir à osé aller là-bas avec ma lampe, la nuit, alors qu’il n’y avait vraiment personne, personne et prendre en photo des végétaux comme des phares justement. Et ensuite il y a eu toute une question autour de la représentation du père, de la sexualité, des chevaux. Dans la nuit, il y avait de la viande, des morceaux de viande qui arrivaient dans l’eau, vraiment rempli de symboles. Encore une fois, tout comme j’aime. Et j’ai osé y aller pour la première fois au retour du Japon. Au retour du Japon où en fait la question était vraiment plus réelle. Je me disais : « Tu as passé un an au Japon a été très seul. Il y a eu le Covid. Il y a eu l’isolement culturel aussi qui a été très fort. » J’étais vraiment très seul pendant la moitié de l’année avant de faire tout le processus de mettre mon ego à zéro, de l’anéantir pour pouvoir m’intégrer à nouveau dans une culture et avoir des amis. Donc ça me faisait, ça me fait plus peur en fait de me poser, de me remettre en question. Et donc quand il y a le constat que Joël part à Tokyo, à l’autre bout de la planète, donc géographiquement de la France, donc qui part très loin… Dans sa profession, dans la mode, quand je travaillais pour la presse, du coup photographe pour les Fashion week donc je voyais beaucoup de paillettes, je voyais beaucoup de lumière, je voyais beaucoup de broderies et de choses merveilleuses et très très chères, superbes à toucher, mais très loin de la ferme dans laquelle j’ai grandi et donc la profession de mes parents qui sont agriculteurices et qui accueillent aussi des vacanciers. Donc je suis très loin de ça. Donc juste me poser la question : » Bon Joël, est-ce que tu fais quelque chose ? Sois honnête avec toi même parce que tu vas le porter toute ta vie. » Et donc là il y a quand même les preuves irréfutables que géographique et même philosophique, je n’avais plus les mains dans les mêmes matières que mes racines entre guillemets. Donc juste faire le point, être honnête et donc comprendre que j’avais un cheminement assez classique… Pour le coup, j’ai l’impression que plein d’hommes homo ont ce cheminement en allant dans les villes. Moi je suis très vite parti à Valence pour le lycée et donc je revenais que le week end, ensuite Lyon, Paris et c’est pas pour autant que j’étais épanoui. J’avais des choses à guerrir du point de vue avec ma relation avec les hommes adultes et c’était pas gagné. Et donc aller sur place voulait dire, faire de l’introspection. Mais avec un but, vraiment avec de la tendresse envers moi même. C’est très important pour moi. C’était avant la première expo à la Rotonde Rosa Bonheur quand j’étais encore aux Arts Déco, je passais des appels à cette énergéticienne avec qui j’ai travaillé tout le long. Il y avait vraiment, spirituellement, tout un truc de manger les végétaux qui viennent que de la forêt pendant toute une durée… Donc tout ça, l’école elle s’en fout hein ! Mais pour moi cela signifiait aller manger que les arbres qui viennent de là-bas, me nourrir, faire la détox avec du jus de bouleau pendant tout un mois et pas de nourriture et ensuite être suivi émotionnellement aussi. Et donc elle m’a dit : « Mais en fait Joël, tu cherches à te réconcilier, tout simplement. C’est pas la boucle qui se ferme forcément mais… Mais observe, observe tout ça. » Et c’est vrai. Et maintenant je suis en paix. Même avec ma sexualité, en fait beaucoup plus. Je peux aller sur place. Je peux même commencer à si je le veux, si je le décide, à éprouver du désir sur place ou un certain érotisme dans les bois, ce qui était totalement proscrit pour moi, je ne me l’autorisais pas. Je me disais que c’était dangereux. Ça pouvait être sale dans le sens où… Ben je ressentais de la honte en fait. Nan pas de la honte. C’est un peu fort quand même. Mais j’étais gêné de ce qu’on pouvait penser de moi. Il y avait beaucoup, beaucoup de choses à déconstruire quand même. Et donc le projet, oui, il prend toutes ces formes là d’installation. Je fais participer les gens, travailler l’odorat, travailler avec un tas de personnes. Oui, mais le fond, je le connais bien. Je le connais bien et il est essentiel. Il est essentiel que je continue à travailler dessus même. Mais même à l’avenir, si je travaille d’autres projets, il faut qu’il y ait un ancrage intime. Je ne sais pas comment travailler autrement. Je ne sais pas. C’est un peu grand ce que je dis, mais je ne sais pas comment qui que ce soit peut travailler autrement si iel n’a pas des vraies accroches pour vraiment avoir un regard et quelque chose à dire dessus.
Camille Bardin
C’est hyper généreux ce que tu me donnes là… Mais c’est ça que je trouve hyper beau en plus dans ton travail, c’est qu’on sent qu’il y a… Tu n’emploies pas directement la première personne du singulier, mais néanmoins elle est présente et en fait le travail est tellement généreux que tu le perçois, tu vois et tout, que c’est hyper beau ! Et je te remercie pour cette générosité là Joël… Et tu l’as dit un petit peu tout au long de l’interview, à l’origine du coup, tu viens du design de mode, qu’est-ce que tu as gardé de cette discipline ? C’est notamment, j’ai l’impression, ta méthodologie de travail, ta manière de travailler à certains endroits pour « battue en cours ». Donc du coup, c’est le nom de tout ce projet dont on parle depuis tout à l’heure mais qu’on n’a jamais nommé finalement ! Donc pour « battue en cours », tu prends notamment la posture du directeur artistique à certains endroits, qui rassemble du coup une multitude de créateurices autour d’une histoire. Donc tu as rassemblé des nez, des urbanistes, des archéologues, des chasseurs, des apiculteurs et j’en passe. Est ce que tu peux nous parler un petit peu de ça, de comment justement tu lis cette intimité dont tu viens aussi de nous parler et cette méthodologie ou à l’inverse, tu ne cesses aussi de donner la parole à d’autres… Pour moi, c’est la seule façon pour qu’il y ait de la nouveauté. Une proposition nouvelle vient du dialogue et du collectif je pense. Et j’en ai la preuve dans ma vie. Régulièrement. Je travaille avec Alyson Sillon, qui est artiste à Amsterdam. On s’est rencontré·es au lycée, donc elle est passée par d’autres écoles, les Beaux-Arts en France, la Rietveld à Amsterdam et moi, les Arts Déco, Tokyo. Et on travaille toujours ensemble. Je pense, qu’il n’y a pas une journée dans laquelle on n’échange pas. J’ai cette relation avec personne d’autre, même pas avec mon copain. C’est pas indispensable, mais dans le travail grandir avec Alyson, avoir les mêmes références, ça fait que j’ai quelqu’une avec qui partager immédiatement et qui me comprend immédiatement. C’est d’une efficacité effrayante et extrêmement stimulant. Mais on a tous les deux, et c’est là où je peux faire la boucle avec la mode, on a tous les deux, une certaine fascination pour la mode. Bon, à prendre avec des pincettes dans le sens où on a une lucidité, mais on a quand même un sacré pied dedans. Dès qu’on fait les défilés à la Fashion Week à Paris, c’est ensemble. Et donc on sait l’intensité que ça peut être, le travail que ça requiert et comment ça peut être mal compris. Il y a une vraie frustration des gens de la mode qui du coup sortent encore plus leurs épines quand on ne les aime pas. Mais c’est un travail gigantesque. Un peu désespérant parce qu’il est dans une direction qui n’est pas toujours vertueuse. Franchement pas. Mais il y a une exigence et une liberté, une force de proposition artistique qui est juste démentielle et très très très inspirante. Et donc l’exigence qu’on trouve dans la mode, c’est elle qui me pousse aussi à aller chercher des personnes avec qui travailler. Donc si je veux travailler avec une herboriste, ce ne sera pas la première que je tape sur Google « Ah super elle se trouve à Paris, la boutique est ouverte, je peux passer ! » Non, je sais qu’il faut trouver LA bonne personne. Donc qui accepte d’avoir un ancrage spirituel aussi dans sa pratique, pour moi c’est essentiel, qu’elle ne cache pas le sujet sous le tapis. Certaines choses qui sont vraiment présentées, données, qui sont claires pour moi. Et ensuite il faut qu’il y ait une rigueur dans le travail sur qui je peux compter, une rigueur dans la technique, un savoir faire. Et donc à travailler en co-création, en collaboration ou en partenariat avec des personnes, avec des entreprises, avec des fournisseurs. C’est important parce que je ne sais pas tout faire, mais je sais que j’aime apprendre. J’apprends très vite et je suis très doué avec mes mains. Et en fait. C’est là où c’est intéressant, c’est qu’il y a une vraie une rencontre. Il y a des apports très, très intéressants pour chacun et chacune. Et ça permet de mettre en lumière une pratique ou une personne aussi que je peux citer à chaque fois, à chaque présentation. Et en même temps, qu’est ce que je peux apporter à ces personnes là ? C’est une certaine liberté. Si j’arrive avec cette histoire, avec un projet déjà un peu écrit, une proposition, il faut qu’on en parle ensemble. Qu’est ce qu’on pourrait faire ? Comment est-ce qu’on pourrait le repenser ou le comprendre ? Et on lit beaucoup, c’est beaucoup les mots qui donnent les impulses. Et ensuite c’est moi qui m’occupe de toute la partie budget pour faire en sorte que il n’y ait pas de contrainte à ce niveau là.
Camille Bardin
Du coup, aujourd’hui, ton ancrage il est à la fois un peu dans la mode et un peu dans l’art contemporain. Comment tu te définis aujourd’hui quand tu présentes ? Tu es plasticien ou artiste artisan designer ?
Joël Harder
J’ai une petite ligne de maroquinerie que je fais moi même dans mon atelier en Ardèche avec des produits que je vais chercher aux quatre coins de la France pour que la qualité soit impeccable. Avec les cuirs Hermès, avec les cordons japonais, toute la métallurgie française… Donc je fais tout chez moi, pour pouvoir travailler dans un contexte qui me plait et mais c’est vendu en Suisse et à Tokyo. Donc ça c’est une partie design entre guillemets, même si c’est éminemment spirituel encore. Tout est désinfecté à la fumée de sauge, avant que ça parte personne ne le touche, c’est enveloppé dans des feuilles de mûrier pour l’envoi. Je suis aligné sur ce point là aussi, je suis en accord avec moi même. Mais ensuite, je sais qu’il y aura cette question, donc autant en parler directement… Le design m’apporte des apports financiers intéressants parce qu’en tant qu’artiste, c’est irrégulier.
Camille Bardin
Mais c’est parfait parce que je me disais c’est bien, on parle d’éthique de travail, etc. On fait vraiment une plongée parfaite dans cette dernière question, à laquelle tu commençais à répondre. Mais du coup, pour les auditeurices qui écouteraient PRÉSENT.E pour la première fois, la question peut paraître bizarre. Donc ma dernière question pour chaque épisode de PRÉSENT.E c’est : « Est-ce que tu réussis à vivre de ton travail d’artiste ? » Donc voilà, tu commençais à répondre doucement et effectivement, du coup, j’imagine que faire des combinaisons cela peut aider…
Joël Harder
Pour moi la question est très juste et je te remercie vraiment de l’avoir posée dans tes autres podcast aussi, ça a permis de me rassurer beaucoup.
Camille Bardin
C’est fait pour ça aussi.
Joël Harder
Parce qu’ayant fait le choix de partir en Ardèche, de quitter Paris parce qu’en termes d’éthique et d’hygiène, de travail, de création, c’est pas le bon endroit pour moi, c’est pas la bonne ville. Je pense qu’il y aura d’autres villes où ça va venir à l’avenir, mais là je suis très bien en pleine nature dans ce grand atelier que j’ai. Et donc je suis pas dans une résidence d’artiste où quoi que ce soit… Non, je ne suis pas entouré de gens qui montent et je ne sais pas qui gagne quoi. Ou je ne suis pas représenté par une galerie non plus. C’est donc des questions qu’il faut se poser. Qui sont importantes et donc je vis de mes métiers créatifs.
Camille Bardin
D’accord.
Joël Harder
En tant qu’artiste, j’ai régulièrement des expositions, donc il y a des coproductions. Donc il y a un aspect financier qui est pris en compte pour les droits d’auteur et les nouvelles pièces. Donc, ça, ca arrive. Je ne peux pas dire que c’est avec régularité, mais ça s’installe définitivement dans un calendrier, avec une certaine assurance et ça me plait beaucoup. Mais donc il y a de la vente de pièces aussi et c’est non négligeable. C’est un apport non négligeable. Et à côté de ça, je fais de la direction artistique. J’ai cette petite ligne de design, donc de maroquinerie. Donc c’est une ligne que je vais lancer je pense. Ça s’appelle « Adventices Artefact ». Les adventices, c’est le nom botanique pour les mauvaises herbes. Donc il y a plusieurs choses que je fais, c’est juste, c’est pas une ligne de design à part. Enfin, je trouve qu’en tant qu’artiste, on a cette problématique de parfois vouloir créer des petites quantités, des petites séries de pièces en multiples. Mais cette foutue question de ce fossé entre design et art qui est maintenue encore par des personnes est très embêtant. Donc à avoir cette double casquette que j’assume totalement parce qu’il faut faire, si on le dit pas, on fait pas bouger les choses. Donc j’assume totalement. Donc c’est pas une ligne avec des objets que je vais produire, mais c’est juste… Ben par exemple les porte clefs, le parfum du souvenir olfactif du sex en forêt, si ça c’est édité, ben ça sera ici qu’on peut avoir une micro fiole. S’il y a des décoctions d’herbes de cette forêt ou l’édition qui est sortie, qu’on peut simplement acheter en librairie pour l’instant. Ce serait juste comme un éditeur d’objets ou d’artefacts : Advantices artefacts. Donc il y a ça et la direction artistique pour des clients, vraiment.
Camille Bardin
Ok !
Joël Harder
Donc il y a des fermiers et des personnes dans des distilleries… Il n’y a pas de frontières pour moi là dedans, et l’exigence de la mode fait que je sais comment créer du désir pour quelque chose à travers l’image, que ce soit des logos, des photographies, des étiquettes. Donc tout ça, c’est des prestations que je fais, mais avec une clientèle vraiment locale, ardéchoise, et donc j’apporte mon savoir-faire. Et donc ces trois appartenances là font que je peux vivre de mes métiers créatifs.
Camille Bardin
Ben félicitations… Ça me fait très plaisir.
Joël Harder
Oui, c’est important. Mais c’est pas encré encore…
Camille Bardin
Oui, c’est en train de… Mais tu es sortie d’école il y a combien de temps ?
Joël Harder
Ça fait un an.
Camille Bardin
Ben voilà ! Donc c’est trop bien. Pourvu que ça dure, je te le souhaite…
Joël Harder
Oui, oui, oui, merci.
Camille Bardin
Merci à toi ! C’était trop bien ! J’ai eu plein de frissons tout du long. Vraiment, je te remercie d’avoir accepté de mon invitation. Merci aussi aux auditeurices d’avoir écouté cet épisode. Du coup, je vous mettrai tous les liens et les références dans la description et sur Instagram. Vous pouvez d’ailleurs aller suivre Joel sur Instagram. Je vous invite même à le faire. Et comme d’habitude du coup, je vous donne également rendez vous sur le compte Instagram de PRÉSENT.E pour suivre toute l’actualité du podcast. N’hésitez pas également à vous abonner au podcast sur les plateformes d’écoute. Et enfin, je remercie David Walters d’accepter de me prêter sa musique pour les génériques. Je vous dis à dans deux semaines, mais d’ici là, prenez soin de vous et je vous embrasse.
Joël Harder
Au revoir…