ART ET PARENTALITÉ

Camille Bardin

Bonjour à toutes et tous, j’espère que vous allez bien. Je suis ravie de vous retrouver aujourd’hui pour le deuxième épisode du hors-série “Féminismes intersectionnels et territoires artistiques” produit en partenariat avec l’association Contemporaines… Aujourd’hui je suis avec Mathilde Rouiller et toutes les deux on a choisi de s’attaquer à la question de la parentalité dans la carrière artistique. Pour cela on est accompagnée des deux fondatrices de l’association [Re]production.

Camille Bardin

PRÉSENT.E est un podcast dans lequel je souhaite porter au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contemporain. Mes questions portent donc rarement sur les œuvres en elles-mêmes mais davantage sur toutes les réflexions et les doutes qui gravitent autour de celles-ci. Car ici je m’intéresse d’abord à la manière dont la vie de mon invité.e impacte son travail puis à l’inverse à la façon dont son travail vient impacter sa vie. Dans PRÉSENT.E j’essaie de mener les conversations comme j’ai l’habitude de le faire en tant que critique d’art dans les ateliers d’artistes ou à la terrasse des cafés. Sauf qu’ici nous sommes enregistré.e.s et vous avez la possibilité de tout écouter.Ça c’est ce que vous avez l’habitude d’entendre si vous êtes des auditeurices assidues de ce podcast. Mais aujourd’hui, je vous propose de changer un peu… Vous écoutez actuellement le hors-série “Féminismes intersectionnels et territoires artistiques” produit en partenariat avec l’association Contemporaines et dans lequel nous tentons de comprendre les dynamiques qui poussent à la minorisation des femmes et minorités de genre dans l’art contemporain. Contemporaines, c’est une association composée d’une trentaine de membres qui lutte pour offrir les mêmes opportunités, une meilleure représentation et une rémunération équivalente pour les artistes contemporaines dans un cadre bienveillant. L’association se déploie entre Paris et Marseille et propose des accompagnements, des formations, des tables rondes ou encore des expositions. Dans chaque épisode de ce hors-série je partage mon micro avec des bénévoles de l’association. Aujourd’hui je suis ravie d’être aux côtés de Mathilde Rouiller ! Bonjour Mathilde…

Mathilde Rouiller

Bonjour Camille !

Camille Bardin

Aujourd’hui on s’empare encore d’un vaste sujet puisqu’on va s’attaquer à la parentalité et à l’incidence que celle-ci peut avoir sur une carrière artistique. 

Mathilde Rouiller

Oui ! Parce que la parentalité est l’un des principaux tabous de l’art contemporain. Dans le premier épisode “Etats des lieux” de cette série de podcasts, nous avions déjà rapidement abordé cette question qui nous semble être l’une des principales discriminations de genre. Cela s’exprime notamment dans le fait que la grossesse, serait habitée du mythe suivant : elle défierait la capacité même de l’artiste à créer, la procréation ne pouvant aller de paire avec la création. Elle mettrait en exergue les violences systémiques impliquées autant par certains discours que par le phénomène d’auto-éviction qui touche les artistes en minorité de genre dès le début de leurs carrières. Pour les artistes parents, on pourra noter le manque d’infrastructures, la non-adaptation de celles-ci aux artistes avec enfants notamment sur la question des temporalités qui habitent le monde de l’art contemporain. Dans son ouvrage, “How not to exclude artist mothers (and other parents)” / “Comment ne pas exclure les artistes mères (et autres parents) ?” paru très récemment en Septembre 2022, Hettie Judah (critique d’art et autrice) explique ainsi : “Il est devenu inacceptable de demander à une artiste connue, comment celle-ci trouve un équilibre entre sa vie privée et son travail. Pour une raison toute simple : nous ne demandons pas cela aux hommes. Je ne défends pas le fait de retourner à nos bons vieux jours, mais parfois, dans un certain contexte, ces questions dites interdites peuvent alors devenir importantes, et en ne les posant pas, nous maintenons des structures où les artistes parents peuvent difficilement s’épanouir.” p.13

Camille Bardin

C’est donc pour toutes ces raisons que nous avons souhaité échanger avec deux artistes Nour Awada et Emilie McDermott qui sont toutes les deux mères et qui ont co-fondé il y a environ deux ans et demi, l’association [Re]production. 

Mathilde Rouiller

Bonjour Emilie ! Bonjour Nour ! Vous êtes toutes deux artistes plasticiennes et performeuses. Emilie, tu es franco-américaine, enseignante aux Beaux-Arts de Besançon, et ton travail se tisse entre performance et oeuvre plastique olfactive. Tu as notamment travaillé autour de la sexualité et du post-partum. Nour, tu es franco-libanaise. Tu travailles notamment autour de la transmission. Tu es sculptrice et performeuse, créatrice du LAP (laboratoire des arts de la performance). Ensemble, en 2020, vous avez créé le projet de recherche [Re]production autour de la maternité dans l’art contemporain, et le fait de rendre ce sujet “présent”, et “visible” dans ce champ, de s’entourer de témoignages, et d’ouvrir des portes qui aujourd’hui sont fermées ! Ce projet se déploie d’abord au travers d’un questionnaire, formulé grâce au soutien de l’association l’Ahah située en région parisienne, et dont la seconde version entend mettre à jour des statistiques grâce au soutien du Ministère de la Culture. Le projet tend à explorer des collaborations diverses avec des artistes, mais aussi des syndicats, dans l’idée de mener des rencontres et entretiens avec des personnes ressources, et des tables rondes ouvertes au public, ainsi que des workshops de réflexion, des restitutions curatoriales et performatives, mais aussi une édition et/ou une plateforme numérique regroupant des interviews et témoignages. Un vaste programme pour un vaste sujet mené par vous deux, artistes et mères. On est donc ravies de vous avoir avec nous aujourd’hui pour parler de maternité dans l’art contemporain, et d’activer ensemble les processus de sororité, d’adelphité, mais aussi de collectif, qui y sont à l’œuvre !

Camille Bardin

Avant qu’on rentre pleinement dans le vif du sujet : Petite parenthèse, il nous semblait important de préciser que dans le cadre de ce podcast, le terme de “femmes” va souvent revenir car les enquêtées de nos invitées sont très largement des femmes cisgenres. Néanmoins, n’en déplaise à certain·es, Il faut bien garder en tête que les femmes cis genres ne sont pas les seules à menstruer et à pouvoir être enceinte. Dans ce podcast nous nous adressons donc aussi aux personnes non binaires ou transgenres qui sont d’autant plus invisibilisées et victimes de violences sexistes. 

Mathilde Rouiller

Donc je commence avec la première question. On va vous proposer de vous situer. Par exemple, moi je suis une femme cisgenre, hétérosexuelle, sans enfant et qui aspire un jour à devenir mère. Je vais laisser Camille se situer à son tour.

Camille Bardin

Donc je suis une femme cisgenre, je suis bisexuelle, pansexuelle. Ça dépend de comment on définit ça. Je n’ai pas d’enfant, mais j’ai la volonté d’en avoir un jour. Donc terrifiée aussi pour toutes les raisons qu’on va évoquer aujourd’hui. Donc merci déjà pour le boulot que vous faites. Aussi, je suis de classe moyenne, je suis blanche. Enfin voilà, je vous parle de cette place là aujourd’hui.

Mathilde Rouiller

À votre tour !

Nour Awada

Alors Nour, du coup. Bonjour les filles, donc me situer… Je suis donc sexuelle donc je ne sais pas si c’est pan ou bi. Peu importe, on s’en fiche. Blanche, tu parlais de classe, je ne sais pas trop non plus ce que ça veut dire. En tout cas aujourd’hui pour moi, probablement aussi de classe moyenne. Et je suis mère de deux enfants, un grand garçon de sept ans et une petite fille de deux ans.

Camille Bardin

Émilie, alors toi ?

Emilie Mcdermott

Bonjour à toutes, Pour me situer donc je suis une femme blanche, binationale parce que ça fait vraiment partie de mon identité. Je dirais hétérosexuelle mais ouverte à des rencontres. J’aime des personnes… Je suis cisgenre et je suis maman de trois enfants qui sont plutôt très jeunes, donc six ans et demi, quatre ans et un an.

Camille Bardin

Bien merci de nous avoir déjà partagé ça. Est-ce que vous pourriez pour commencer, nous expliquer ce qui, dans votre vie professionnelle, a fondamentalement changé depuis que vous êtes devenue mère ? Quels freins est-ce qu’on rencontre lorsqu’on est artiste et mère ? Émilie par exemple… 

Emilie Mcdermott

Donc moi je suis devenue mère en 2016, mais en 2015 j’étais enceinte et je trouve que le processus il commence dès la grossesse. Et je dirais que quand je suis tombée enceinte, j’étais assez à l’écart des réalités, de ce que ça représente d’être parent dans le monde artistique. Je vivais un peu dans ma bulle. Pour moi, l’état de grossesse, c’est un état que j’ai adoré et que j’ai très bien vécu. J’ai eu cette chance là et donc je ne voyais pas la question de l’enfant ou de la grossesse comme un frein. C’était quelque chose que je n’envisageais même pas en fait. Donc je me suis un peu plongée tête première dans cet état et dans cette nouvelle relation. Quitte après coup du coup à me rendre compte de la réalité de ce que ça représentait vraiment que d’avoir un enfant en tant qu’artiste plasticienne. Donc ça s’est un peu fait en décalé. Oui, mais c’est vrai que j’étais… Je dirais que cette première expérience de la maternité a pour moi été plutôt l’opportunité de me soustraire de toutes les autres obligations et de me donner à fond et après je me suis interrogée sur cette question justement de la pause et de la possibilité de remonter sur le bateau de la création.

Nour Awada

Alors me concernant, expérience tout à fait inverse. Donc moi je suis devenue mère en 2015, donc j’étais enceinte en 2015 et j’ai accouché en septembre 2015. Et cette grossesse, il s’avère que moi aussi je l’ai plutôt bien vécue. Belle grossesse. Simplement, j’étais totalement habitée par des inquiétudes liées à la carrière. Pourquoi ? Parce que je suis tombée enceinte à 30 ans. Donc je crois que c’est important de préciser l’âge. Et moi, j’ai été pétrie de cette mythologie, mais qui en réalité n’en est pas une. On en discutera après… En tout cas, ce n’en est pas qu’une. Je dirais qu’une femme artiste prend un risque fondamental à comment dire… À se diviser entre vie intime, vie familiale et vie professionnelle. Et donc pourquoi je dis ça ? C’est parce que l’arrivé de mon enfant et arrivé à mes 30 ans, qui est a priori en tout cas un âge dans lequel on se situe en propulsion de carrière. Et au niveau de mon cursus, la parentalité et la construction d’un projet familial était totalement un non-sujet. Donc comme Emilie, on vient toutes les deux d’écoles supérieures et j’étais persuadée que c’était parfaitement incompatible. Donc quand je me retrouve enceinte, je suis en état de flippe totale et je me dis : « je suis foutue, je suis foutue, ma carrière est foutue. Comment je vais faire ? » Et j’ai des souvenirs de moi qui pleure en me disant mais je suis grillée et ça fait de la peine. En fait, quand j’y pense maintenant, avec le recul, je me dis que ce n’est pas vrai. En tout cas, c’est pas aussi simple que ça, c’est pas aussi binaire que ça. Et c’est une des raisons pour lesquelles reproduction est née. Notre projet c’était une manière de faire en sorte de calmer ces inquiétudes. Non pas qu’elles ne sont pas fondées, en fait, elles sont véritablement fondées, mais en en parlant progressivement, on change un système qui serait un système en effet qui vient dire aux femmes : « attention à vous, ne faites pas d’enfants si vous voulez percer. » Parce que, en réalité, la création et la créativité demandent beaucoup de temps et ça, ça se divise pas. Voilà.

Camille Bardin

Avant de passer à la question de Mathilde, je me demandais, Il y a une chose que vous n’avez pas dite dans votre situation et je pense que c’est important aussi pour comprendre, c’est est-ce que vous êtes mère seule ou est-ce que vous êtes accompagnées par un conjoint ou une conjointe ? Et est-ce que ce conjoint ou cette conjointe est artiste indépendant·e ou est-ce qu’il ou elle a un revenu fixe ?

Emilie Mcdermott

Donc moi je vis en concubinage avec un musicien qui a longtemps eu des revenus plutôt variables et qui depuis deux ans est également enseignant en école de musique. Et je m’occupe vraiment majoritairement principalement de mes enfants.

Nour Awada

Alors moi je suis maman solo en sachant qu’il y a un père, que mes enfants ont un papa qui est lui même artiste – pas plasticien, mais artiste – et qui a des revenus fixes et variables. Donc il a un revenu fixe plus des variations en plus. Comme beaucoup d’artistes ! Et au niveau de l’organisation de la garde de nos enfants, nous sommes en garde alternée.

Mathilde Rouiller

Alors on va passer à la prochaine question qui tourne autour du projet que vous avez monté ensemble. Donc avec reproduction, vous traitez de plusieurs axes, des axes structurels comme la question de la parentalité pour les artistes-auteurices et de façon administrative et économique, qui est une question sur laquelle tu t’es plutôt penchée, toi Nour, mais aussi la question de la pause et de la reprise pour les artistes femmes. Et là, je m’adresse plutôt à toi Emilie. Est-ce que vous pourriez nous présenter ces deux axes et comment ils se répondent l’un et l’autre. Je te laisse commencer Nour…

Nour Awada

Alors en effet, reproduction au travers de son questionnaire nous a permis de mettre en lumière différents axes qui vont devenir et qui sont devenus des axes de recherche mais aussi de militantisme. Un de ces axes, est évidemment lié aux congés de maternité ou aux indemnités journalières de congé maternité. Donc ce qui est apparu dans les témoignages des artistes est assez malheureux, mais il est à la fois pas surprenant – et Emilie et moi nous avons été confrontées à ces même difficultés – qui sont que beaucoup de femmes artistes renoncent à leurs indemnités journalières de maternité pour des raisons de labyrinthe administratif. Et ça, je pense que c’est véritablement à pointer du doigt. Donc il faut savoir qu’encore aujourd’hui, les liens entre l’Ameli et l’URSSAF, parce qu’il faut savoir que les artistes sont affilié·es à l’URSSAF et cotisent auprès de l’URSSAF. Et l’URSSAF est censée envoyer des informations à Ameli ou en tout cas une passerelle est censée être mise en place entre les deux organismes. Sur le papier, c’est le cas. Dans les faits, c’est encore très compliqué. Donc voilà, encore aujourd’hui, des artistes se retrouvent à devoir envoyer des lettres recommandées, parfois à plusieurs reprises, pour pouvoir ouvrir leurs droits. Et on se retrouve aussi dans des cas parfois un peu ubuesques, de justification de revenu. Alors il s’avère que suite à la crise Covid, on a demandé et ça c’est plutôt pas mal, ça fait partie des avancées quand même de ce sujet important. Voilà, on a demandé aux artistes de pouvoir justifier un revenu plus bas qu’avant 2020, à savoir 600 € du smic horaire sur l’année. À l’époque, c’était 900, donc c’était quand même un sacré paquet à devoir justifier. Mais même dans ce cas là, on a de nouveaux chiffres. C’est positif, mais les rouages sont encore bien oxydés. Et ce qui est assez tragique, c’est de savoir que des artistes indépendantes ont pu se retrouver parfois pendant des mois, parfois pendant une année, parfois plus à être encore en recherche de solutions pour pouvoir toucher leurs indemnités. Et il faut quand même savoir que le congé maternité est un espace dans lequel on est censé se reposer, reprendre des forces, se sentir en sécurité. Et quand on voit les témoignages, les filles, en fait, il y a des femmes qui perdent le sommeil quoi. Voilà.

Emilie Mcdermott

Oui, pour rebondir sur ce que tu dis par rapport aux témoignages. Donc comme tu disais, on a lancé ce questionnaire il y a deux ans et demi, on a des centaines de réponses maintenant. Tu parlais du fait de renoncer et c’est malheureusement fréquent que les personnes renoncent à continuer leurs démarches. On a beaucoup d’artistes qui finissent par jeter l’éponge et par renoncer. Je parlais du moment où je me suis vraiment lancée dans cette nouvelle expérience de la parentalité. Mais quand il s’agit après de reprendre la route de la création, on se rend vite compte que finalement – ça peut paraître un peu naïf dit comme ça – mais que la carrière d’un artiste ou d’une artiste repose vraiment sur un modèle en fait. Et c’est intimement lié à la question de la classe. C’est indissociable en fait. Et donc finalement, se pose cette question de « que faire quand on ne suit pas cette belle trajectoire avec tous ces jalons ? » Est-ce qu’on a quand même une légitimité ? Est ce qu’on a une chance ? Est-ce que ça vaut le coup de continuer ou non ? Surtout quand on a des pratiques qui dépendent de financements extérieurs et qu’on ne peut pas juste créer dans son coin. Et ça je pense que c’est toutes les pratiques, mais quand on a particulièrement besoin de budgets pour produire nos œuvres c’est vraiment compliqué. Et ça c’est malheureusement le genre de témoignages qu’on reçoit énormément. Et j’anticipe un petit peu sur les prochaines questions, mais par rapport à la question de la pause dans la carrière d’un ou d’une artiste. Souvent la pause relative à la maternité n’est pas percue comme tout à fait légitime. Ce serait amusant de voir sur un CV si on pouvait vraiment l’écrire en fait. Il y a un livre qui va bientôt sortir qui s’appelle « Le post-partum dure trois ans » d’une sage-femme qui s’appelle Anna Roi, et les études montrent que le postpartum dure a minima trois ans. J’ai lu récemment que un parent est en déficit de sommeil pendant les six premières années de la vie de l’enfant. Donc c’est pas pour noircir le tableau, mais c’est pour dire cette réalité là qui fait que cette question de la trajectoire et de la pause est cruciale. Et là je souhaitais citer aussi une artiste anglaise qui a traité cette question de la pause mais aussi de l’âge. Elle s’appelle Melanie Jame Wolf et elle parle en fait de cette question du soin, c’est à dire pas seulement quand on est parent, mais aussi quand elle s’occupe de personnes plus âgées. Et donc quand on est dans ce soin là, on sort un peu des sentiers battus et donc on se minorise. La question c’est donc : « comment faire accepter ces déviations. » Un livre a été assez fondateur pour moi. Il est sorti en 2016 qui s’appelle « Tell them i said no » donc « dis leur que j’ai dit non » de Martin Hubert. J’en parle pas mal parce que ça c’est un recueil d’artistes qui sont sortis de ces protocoles et de la possibilité d’envisager sa carrière autrement. Et même le mot « carrière » se prête aussi à débat en fait.

Camille Bardin

Tu parlais du fait que tu allais noircir le tableau, mais que c’était quand même des choses qu’il fallait dire. Et justement, c’est un peu tout le sujet de ma nouvelle question. Parce qu’on réclame en permanence aux artistes de bosser avec leurs tripes, de mettre en images et en forme leur intimité. Pourtant, on comprend aussi assez vite que certains sujets sont plus à privilégier que d’autres. En l’occurrence, lorsqu’il s’agit de parentalité. J’ai l’impression qu’on aimerait que les artistes deviennent des êtres désincarnés, qu’ils puissent se tenir à distance de leur corps et ça, il me semble que c’est relatif à ce qu’il y a de plus trivial dans le fait de devenir parent. C’est pas très chic et on en a un peu rien à foutre que tu doives aller chercher ton môme à 18 h si ce n’est plus tôt, mais il me semble que ce rejet est aussi lié au symbole même de la parentalité. Comme le disaient nos invitées dans le premier épisode de ce hors série, on a encore tendance à penser qu’être parent réduirait toute capacité intellectuelle et créatrice. Olivier Hernaiz rapportait cette phrase que quelqu’un avait adressé à une de ses enquêtées en disant que je cite : « son cerveau avait glissé dans son utérus. » Cette phrase me fait toujours des frissons… C’est terrifiant. Du coup, j’ai un peu ces deux questions là : à la fois dans ce qu’il y a de plus trivial et dans ce qu’il y a de plus philosophique ou peut être symbolique autour de la grossesse et de la parentalité.

Nour Awada

Me concernant, je vais répéter quelque chose que j’avais dit lors d’une conférence il n’y a pas très longtemps. Je pense qu’il y a une histoire de positionnement aujourd’hui en fait. Une histoire de responsabilisation aussi des parents. C’est à dire qu’en fait, comment on se positionne politiquement face à cette question ? Je m’explique. En 2015, en effet, j’aurais pu avoir tendance, du fait de la crise d’angoisse dont je vous ai parlé tout à l’heure. J’aurais pu avoir tendance à m’excuser de devoir partir à 18 h pour le début d’un vernissage ou je ne sais pas ou peu importe, parce qu’il fallait aller chercher le petit à la crèche. Aujourd’hui, je ne m’excuse de rien et je le pose comme une condition. Et c’est là que les esprits changent. Donc enfin à mon sens en tout cas, c’est ce que je vois dans le regard des autres. C’est à dire qu’en fait, il y a quelque chose qui n’est pas négociable et qui est indiscutable aujourd’hui dans ma carrière d’artiste. Les enfants sont là, ma vie de famille, elle est là et ça s’organise autour de ça. Voilà. Et ça, c’est quelque chose avec Emilie qu’on a vraiment un message qu’on a envie de faire passer. Évidemment qu’à partir du moment où on s’en excuse, les choses passent pas quoi, ça passe mal. On va peut être considérer que l’artiste qui est en face de nous est inconséquente, ou trop légère, ou pas assez sérieuse, ou pas assez exigeante ou exigeant. La vérité, c’est que c’est absolument faux. Donc voilà, ça, c’était la première chose que j’avais envie de discuter avec vous. Et la seconde, tu parlais du corps et de cette idée d’incarnation. Alors moi, me concernant, il s’avère que j’ai une pratique qui parle essentiellement de la question du corps. Donc ça, j’aurais jamais pu m’en excuser, ou alors même chercher à justifier puisque c’était juste comme ça que je suis heureuse aujourd’hui… Je ne sais pas si tu es d’accord avec moi, mais quand même, ça revient. Parce que je crois qu’on s’intéresse quand même de plus en plus au vécu des artistes, beaucoup plus en tout cas qu’il y a douze ans lorsqu’on est sorties de l’école d’art. Ou encore on nous disait mais en fait, ta vie on s’en fout quoi. Va faire une psychanalyse puis ensuite revient, revient vers nous avec des concepts. Aujourd’hui, en fait, je crois qu’on est dans une période de crise du récit où on a besoin en fait d’histoires pour inventer le monde. Et ces histoires là passent aussi par des faits de vie alors, qui peuvent être des faits de vie intime, pas privés. Je fais vraiment une distinction entre l’intime, le privé et le collectif. Donc parler de soi, parler du corps, ça me semble aujourd’hui essentiel. Et j’ai la sensation de le voir revenir et c’est plutôt très encourageant.

Emilie Mcdermott

Et tu parles de crise du récit et je pense aussi que la crise écologique change aussi notre rapport à la création et à notre incarnation aussi. Et je le vois avec mes étudiants et mes étudiantes. C’est à dire qu’il y a un peu un retour à l’essentiel. C’est plus tabou comme ça la été avec nous de parler de choses qui ont à voir avec son propre vécu en fait. Désormais on n’a plus a  avoir peur de traiter de choses qui ont avoir attrait à des expériences subjectives, à du politique, mais aussi aux liens en fait. Et ça, c’était quand même relativement encore tabou il y a douze ou quatorze ans, en école d’art. Aujourd’hui, l’école d’art prépare un peu à cela, c’est un peu l’avant pièce du milieu artistique. Et moi, je sais que j’ai eu un tournant sur cette question là suite à une expérience dans un lieu collectif où je me suis vraiment pris en face la réalité de ce que ça voulait dire d’être artiste émergente. Etre enceinte et s’absenter parce qu’on a eu un accouchement compliqué, c’est un motif inacceptable d’absence dans un lieu collectif. C’est à dire qu’on est vue comme pas sérieuse, comme pas vraiment artiste, alors qu’en même temps, un autre artiste qui part faire des résidences à l’autre bout du monde, là c’est un motif d’absence acceptable. Et donc pour moi, cette expérience là, c’est aussi ce qui a précipité un peu le fait de vouloir vraiment tacler ce sujet. Et ce que tu dis Nour sur le fait de dire on est là. On est là. Et c’est comme ça qu’on a créé un peu un hashtag qui est « un pavé dans la marre. » Mais c’est vraiment ce truc de dire « en fait, on ne va pas s’excuser, on ne va pas essayer de se faire toute petite ou tout petit pour mieux accommoder ce fonctionnement là. » On souhaiterait justement qu’il soit intégré qu’il y a différentes façons d’être artiste, il y a différentes trajectoires de vie et en fait c’est là, c’est la réalité.

Nour Awada

Nous, on vient de cette génération et je pense qu’en fait c’est encore le cas. On en discute avec Emilie, ça se répare, je crois, mais on vient de cette génération. Il y avait véritablement des sujets inabordables. Donc on parlait par exemple, à nos étudiantes qui peuvent désormais raconter d’une manière ou d’une autre leur expérience des règles, de la menstruation, de la grossesse, des transformations du corps, etc. En tout cas, nous, on fait partie de ces enseignantes qui restent très très vigilantes à pouvoir laisser cet espace d’expression parce que, à compter du moment où c’est exprimé, cela veut dire qu’il y a un besoin. Et donc ça s’écoute.

Mathilde Rouiller

En vous écoutant, pour moi, ces questions là de la discrétion et du positionnement et de ces espaces justement de parler de ces thématiques, elles me font écho à toutes les questions de projections qu’on peut se faire sur le sujet de la maternité et de la parentalité. On s’est beaucoup posé la question avec Camille de quelle était notre légitimité à parler de la maternité quand on n’est pas mère mais qu’on aspire à l’être un jour ou pas d’ailleurs, en fait. Est-ce qu’on se met alors à en parler dès le début de la carrière artistique ? Et comment on peut se poser les bonnes questions et se sentir une fois de plus légitime quand ce problème concernerait exclusivement les personnes qui peuvent accoucher ? Et si on en parle pas, cela démobiliserait alors toutes les personnes responsables du petit humain en fait. Et comme pour les autres discriminations de l’art contemporain, cela demande d’en parler plus largement, de ne pas se sentir inhibée, d’en parler, de ne pas avoir peur, de le montrer aux autres, d’être moins productive, enfin, toutes les questions qui peuvent accompagner la grossesse et la maternité. Et alors ? Comment on peut se réapproprier cette question justement ? Enfin, de manière intergénérationnelle en fait. Peut-être, comment on peut trouver un espace de transmission et de partage ? Vous parliez de vous, de vos étudiantes, mais est-ce qu’il y a d’autres manières aussi de le faire ?

Emilie Mcdermott

En fait, cette question de la légitimité de parler d’un sujet, c’est hyper important et déjà le fait de se la poser, c’est déjà un énorme first step parce qu’il y a beaucoup de gens malheureusement qui ne se posent même pas cette question là. C’est vrai que pour nous, le fait d’avoir ce questionnaire qui est le plus inclusif possible, c’était aussi avec cette volonté de faire parler les premiers concernés, les premières concernés et donc d’avoir vraiment ce qu’on veut. Voilà un fondement, une assise sur le terrain en fait, et pas juste nos deux points de vue. On a commencé ce podcast en se situant et donc pas juste de notre point de vue à nous, qui reste aussi relativement privilégié par rapport à d’autres ou au contraire par rapport à d’autres plus privilégiés, donc d’avoir vraiment un éventail de vécus et de témoignages. Ceci étant, on a vraiment la volonté d’étendre ces questions à d’autres personnes, à des personnes qui n’ont jamais fait l’expérience de la parentalité, à des pairs, de façon justement à pouvoir comparer les perspectives. Et c’est souvent qu’on a des témoignages d’artistes qui auraient voulu être mère par exemple, et qui ont fait le choix de ne pas l’être. Et je pense que c’est important aussi de laisser ces personnes là s’exprimer sur ce sujet. En fait, on n’a pas le monopole. C’est pas parce qu’on est parents ou mères qu’on a le monopole sur cette question là. Parce que finalement, je trouve que la question de l’enfant, c’est vraiment une question qui touche toute la société et qui nous dépasse en fait. Et voilà, c’est vraiment cette question des relations intergénérationnelles où nos enfants ne vont pas uniquement vivre dans notre propre foyer, vont avoir des impacts à l’extérieur. Donc ils vont interagir avec pas mal de personnes, que ce soit à la crèche, à l’école. Tu pourrais peut être rebondir là dessus, mais sur cette question de la légitimité, c’est aussi comment est-ce qu’on en parle ? C’est-à-dire que si c’est parler d’un point de vue qui serait un peu de l’ordre du fantasme, là ça devient problématique. Je pense à des images qui j’ai pu voir de certains photographes qui ont vraiment fantasmé l’allaitement ou là ça peut vite me mettre mal à l’aise. Mais si c’est vu de manière politique, en interrogeant aussi les concernés, je trouve au contraire que ça fait avancer les choses. En fait, ça permet de pas juste rester entre soi.

Nour Awada

Absolument. Totalement d’accord avec toi et ça permet également de revenir sur ce qu’on a pu évoquer assez rapidement tout à l’heure, qui est la question du « non sujet ». Donc encore aujourd’hui, il faut le dire, la maternité et la parentalité sont des non-sujet dans certains milieux professionnels et en l’occurrence dans celui des artistes-auteurs ou des critiques d’art. Et donc je comprends tout à fait que cette question de la légitimité se pose. C’est ce que Emily disait aussi, et je vais le résumer, c’est que, en fait, il faut même pas se la poser. En fait, on n’est même pas censé passer par ce questionnement là. Suis-je légitime à en parler ou à y penser ? Ou même à communiquer autour du sujet sans l’avoir véritablement traversé dans mon corps ? En fait, on peut traverser des choses en dehors aussi de la corporéité. Donc on peut le traverser tout simplement parce qu’on peut avoir une copine, un copain qui se confie à nous, qui en parle parce qu’on peut avoir lu quelque chose, qui nous a interpellé, etc. Et nous on s’est rendu compte aussi avec Emilie lors de nos interventions que dans le public, il y avait beaucoup de jeunes artistes non parents qui venaient nous écouter parce que justement des questions se posaient auxquelles ils ou elles n’avaient pas des réponses, ou n’avait pas de réponse. Donc ça, ça veut dire énormément, ça veut dire qu’on est en train de répondre à un besoin et que c’est nécessaire. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous, on parle souvent de soft lobbying ou de sensibilisation, et on va le faire au niveau des écoles d’art entre autres.

Camille Bardin

Je vais me permettre de glisser une question aussi avant celle qu’on avait prévu, qui est une question que je me suis posée un peu en préparant cette interview tout du long, et je trouve que c’est une question qui se pose aussi dans le cas des violences sexuelles et sexistes. J’ai souvent remarqué que des artistes qui avaient pu être victimes de violences refusaient parfois d’en parler pour ne pas être simplement perçues à travers ce prisme là et pour ne pas être réduite à ça. Et je me dis que dans la grossesse et dans la parentalité, la question doit se poser aussi à certains moments de se dire… Certes il y a cette dimension militante comme tu le disais, de simplement dire je dois partir à 16h30 parce que j’ai mes gosses à aller chercher. Mais n’avez-vous pas eu peur d’être réduites à ça ? Ou qu’est ce que vous diriez à une personne qui aurait cette crainte d’être réduite à son état de parentalité ?

Nour Awada

Oui, c’est vrai que c’est une question qu’on a entendu et paradoxalement qui vient plus des artistes qui sont déjà très très bien établis ou qui viennent de classes sociales déjà très aisées. C’est quelque chose qu’on a remarqué et qui est surprenant. Les artistes qui vont pas vouloir parler de ça parce qu’elles ne veulent pas être réduites à cette question là. Très majoritairement, c’est parce que pour elles la question se pose beaucoup moins aussi. Ça c’est vraiment une observation de terrain. En fait, je ne sais pas si tu veux ajouter quelque chose Nour… 

Nour Awada

C’est très juste. Oui, en effet. C’est à dire que le sujet devient ou peut devenir un non-sujet dans le sens positif du terme. C’est à dire qu’il ne vient pas parasiter la trajectoire de carrière ou tout simplement le rythme professionnel à compter du moment où on a du relais. Voilà, c’est tout bête. Et avoir du relais, en réalité, ça se finance. Donc voilà, ça se budgétise. Et parmi les réponses majoritaires qu’on a eu au sein de notre questionnaire, se poser la question du relais. En fait, je ne peux pas me payer une baby sitter, ou certaines ne pouvaient pas se payer la crèche. Enfin, il faut le savoir. Donc rester parfois pendant trois ans jusqu’à l’entrée à la maternelle avec l’enfant, ça a des conséquences drastiques, parfois terribles sur comment je garde mon atelier, comment je m’octroie du temps pour pouvoir créer, etc etc. Je pense qu’on va y arriver. Donc oui, c’est une histoire de classe.

Camille Bardin

La question que je me posais maintenant c’est je sais pas vous, mais dès qu’on parle de parentalité, j’ai l’impression que la plupart des problèmes que l’on a sont dus à un manque de volonté politique. Qu’il y a certes des centaines de siècles de régime patriarcal à déconstruire, mais qu’on pourrait aussi légiférer sur la question afin de mettre en place des lois qui viendraient simplement contraindre les pratiques minorisées. Alors je pense bien sûr au congé paternité qui, bien qu’il soit passé de 11 à 25 jours indemnisés, reste encore dérisoire aujourd’hui. Par ailleurs, il me semble qu’il ne concerne pas les travailleurs indépendants, donc est-ce que c’est vraiment utile dans un secteur largement composé par ce statut ? Bref, dans l’immédiat, qu’est ce qui, selon vous, changerait la donne si vous aviez la possibilité de mettre en place des mesures en soutien aux parents, quelles seraient elles ? Que ce soit d’un point de vue légal ou sectoriel ?

Emilie Mcdermott

Je pense que vraiment, unanimement, il faudrait avoir des congés parentaux qui soient de la même durée et tous les deux obligatoires. On a vraiment pensé la question et c’est le point de départ de l’égalité. C’est à dire qu’à partir du moment où il y a un congé maternité, même si en France il est beaucoup trop court mais qui est obligatoire et qu’en face on a un congé paternité ou co-parent, qui est, comme comme tu disais, un peu ridicule ou symbolique on va dire et qui n’est pas obligatoire ; ben en fait ça a créé dès le début un train de retard. Pour celles qui vont avoir une expérience de la grossesse – parce qu’on a aussi des témoignages de parents adoptants – donc avec tout le post-partum, toute cette fatigue, toute cette réalité là, vraiment physique, qui fait que déjà là il y a un train de retard, donc c’est un peu deux trains de retard… Et oui, je pense que c’est vraiment le socle aussi d’une vraie volonté politique de dire « non, on va avoir un congé parental obligatoire pour les parents » et donc ça permettrait aussi de, je pense, permettre de revoir les choses en fait, de vraiment changer de perspective d’un point de vue sociétal. Et puis je te laisserai rebondir là dessus. Mais évidemment, une vraie politique de la petite enfance aussi, ça c’est indispensable.

Nour Awada

Oui, en fait, encore une fois, toutes ces problématiques sont situées, donc on ne peut pas s’attaquer en tout cas au sujet du congé parental, sans prendre en considération aussi tout le contexte dans lequel il va s’asseoir. Et il s’assoit en effet dans ces politiques de la petite enfance. On le sait aujourd’hui, il n’y a pas assez de structures d’accueil pour les enfants, c’est une galère. Que ce soit en province ou en région parisienne, c’est vraiment une même réalité. Et même, j’ai envie de dire, en province, parfois, c’est encore plus compliqué. Les salaires des professionnels de la petite enfance c’est juste une catastrophe et je comprends pourquoi de plus en plus de professionnel·les n’ont juste pas du tout envie d’aller s’installer en fait dans cette trajectoire professionnelle. Il y a une histoire de revalorisation de ce territoire là. Et il y a aussi autre chose dont on parle souvent avec Emilie qui est la prise de conscience qu’en effet on a un problème avec le congé maternité, non pas uniquement parce qu’il est trop court, mais parce qu’en fait il n’a eu aucun rapport avec la réalité organique, biologique, physique, de l’expérience, de la grossesse et de la maternité. Donc aujourd’hui, on se retrouve avec un congé maternité post-partum de deux mois et demi et donc après on peut l’allonger, bien entendu en fonction de la souplesse des employeurs. En général, c’est plutôt souple. Enfin, là, je parle des personnes salariées. Or, en fait, comme le disait Emilie tout à l’heure, le post-partum dure trois ans. En fait, dans un monde idéal, il faudrait que l’enfant puisse être gardé assez rapidement, au rythme voulu par les parents ou la parente ou le parent et ensuite avoir un temps de récupération. Et donc ça veut dire se sentir assez en sécurité pour savoir que l’enfant est bien gardé. Et pouvoir prendre du repos sans culpabilité parce que nous sommes aujourd’hui dans un système dans lequel ne pas travailler est dévalorisé. Et que veut dire le travail ? On peut le redéfinir ? Et bien en fait, juste pouvoir offrir aux parents ce temps dans lequel il est tout à fait accepté, même valorisé, qu’on ne fasse rien, qu’on dorme, qu’on remange bien, qu’on redorme bien, etc, etc. Et ça, ça se quantifie en terme de temps.

Emilie Mcdermott

Oui.

Nour Awada

Et alors, imaginez quand il s’agit des artistes. C’est à dire que aujourd’hui, moi par exemple, je suis en post-partum 24 mois. Donc on le rappelle, le post-partum dure trois ans en moyenne, donc je suis à 24 mois. Je ne suis pas encore capable de finir la lecture d’un livre. Donc déjà lire deux chapitres, il me faut, je dirais, aller, un mois. Il faut d’abord que je trouve le temps et il faut que je trouve l’espace mental pour pouvoir le poser, poser toutes ces données là. Hier on en discutait avec Emilie qui disait : moi j’oublie tout, j’ai des trous de mémoire. C’est des réalités organiques en fait. Donc on nous demande quand même de recommencer. On nous demande d’aller refaire les dossiers, d’aller postuler pour telle ou telle bourse de production, CNAP, DRAC et blablabla. Et rapidement. Mais parce qu’il y a une réalité économique qui fait qu’on ne peut pas non plus trop attendre quoi.

Emilie Mcdermott

Oui, moi je rebondis sur ce que tu dis parce qu’il y a un podcast qu’on avait enregistré il y a un an qui s’appelle la reprise. J’avais eu un retour d’une proche qui m’avait dit : « ah non mais c’est quand même super super dark quand même, tu veux pas rendre la chose un peu plus gaie ? » Et j’ai pas l’impression du tout… Parce qu’en plus pour le coup on est toutes les deux… Enfin je vais parler de mon point de vue, mais je suis très épanouie dans ma parentalité. Mais je n’ai pas l’impression que ce soit noir mais que c’est juste un peu souvent ce qui est reproché dans le militantisme. Ça reste sympa si  ça ébranle pas trop le système en place. Mais si tu vas un peu plus loin, c’est lourd quoi ! On nous dit : « Mais tu ne veux pas être un peu plus légère ?! » Et donc ça me fait un peu penser à ce que tu dis. Mais cette question aussi de la petite enfance, d’avoir un endroit où l’enfant peut être gardé, ça se pose aussi dans le frein que sont les résidences d’artistes. C’est à dire que contrairement à ce qu’on peut croire, la plupart des artistes ne fantasment pas ou n’ont pas envie d’avoir leurs mômes avec eux quand ils sont en train de créer. C’est plutôt tout le contraire. C’est à dire qu’on souhaiterait pouvoir créer en résidence et que nos enfants soient gardés en fait. Donc il s’agit pas tant d’avoir par exemple une résidence avec du super équipement pour que l’enfant soit avec nous, mais plutôt que la résidence puisse gérer ces questions de modes de garde et donc qu’on puisse partir  en toute tranquillité, rester à l’atelier de la résidence et que notre enfant puisse aller soit à la crèche, soit à l’école. Donc ça aussi c’est si c’est une réalité aussi pour l’artiste, pouvoir créer sans avoir l’enfant autour.

Camille Bardin

Tu disais en off que vous avez encore plein de choses à dire sur ce sujet là, mais du coup, justement, il y a évidemment l’exemple des résidences qui naturellement nous est venu en tête avec Mathilde. Mais au delà de ça, qu’est ce qui très concrètement pourrait davantage aider ? Je me souviens d’un truc lors de l’enregistrement de l’épisode un qu’avait dit Mathilde Provancale. Elle parlait des horaires dans le monde de l’art, et comme l’intime, le perso, le pro sont souvent un peu mélangés, c’est un peu compliqué… Et elle se marrait en disant : « Bah, là regardez, ne serait ce qu’aujourd’hui notre enregistrement c’est un samedi, donc mes gosses y sont pas à l’école quoi. » Donc voilà, est-ce que, sans énumérer non plus 1000 et une choses, mais peut être ne serait ce que pour des personnes qui ne sont pas parents, que ces personnes là puissent se rendre compte ce que concrètement ça veut dire d’être parent. Qu’est ce qu’on pourrait faire pour changer ces difficultés là ?

Nour Awada

Encore une fois, c’est une question de positionnement. Il faut pouvoir l’affirmer, pouvoir dire non à un rendez-vous en disant en fait, là, aujourd’hui, ce n’est pas possible parce que ça va me coûter 70€ de baby sitter. Alors si tu peux me filer les sous il n’y a pas de soucis, je viens, mais si tu les as pas, je viens pas. Et alors, vraiment je le dis parce que j’en ai l’expérience. Moi je l’ai fait et ça a marché. C’est à dire qu’en fait il y a une association qui m’a dit il va falloir que tu viennes à tel moment pour une intervention publique, je dis « Bah, ça va coûter tant en plus de ma rémunération. » Et il n’y a pas eu trop de discussions, ils ont rajouté ça à la facture en faisant passer ça comme je ne sais pas quoi. Et puis c’est passé. Donc voilà. Ne pas hésiter à en parler, voilà, à l’affirmer comme un état de fait.

Emilie Mcdermott

T’as tout à fait raison ! Après toi, comme tu dis – quel point de vue on est situé ? – C’est pas non plus tout le monde qui va avoir ton réseau ou ton bagage pour pouvoir faire ça, je pense à certains témoignages de personnes pour qui ça sera plus difficile de s’affirmer ou qui auront peut être moins de légitimité, moins de visibilité aussi. Et du coup pour qui ça sera pas la même réponse en face. Je ne sais pas. C’est vrai, quand tu viens de donner ce témoignage, je me suis dit mais c’est un peu toute cette question. Souvent on dit « bah y a qu’à demander. » Oui mais ça aussi ça peut créer une pression en plus. 

Nour Awada

Je vois, et je pense que tu as raison mais…

Camille Bardin

Je me permet de réagir à ce niveau là parce que c’est je trouve que c’est quelque chose qui revient énormément dans l’art contemporain, notamment sur les questions de rémunération. Je le vois au sein de Jeunes Critiques d’Art, le collectif dont je suis membre. C’est un truc dont on parle souvent et  le fait de ne pas oser demander quand quelqu’un·e va nous proposer par exemple une rémunération à 120 € alors que les recommandations vont être de l’ordre de 300 € le feuillet. Et en fait, certains ou certaines n’osent même pas dire « ah non, en fait c’est 300 € et ensuite on voit, on négocie, et cetera. » Et du coup, effectivement, tout le monde n’a pas la confiance en soi de demander ça ok. Et puis c’est pas dit que même en faisant le demande  on obtiendra ce qu’on souhaite avoir, mais je trouve que mine de rien, le fait de savoir que certains ou certaines y arrivent et le font et que ça peut arriver qu’effectivement tu reçoives 70 balles supplémentaires pour payer un ou une baby sitter, en fait, je trouve que dans la tête, ça crée vraiment des possibilités nouvelles et de dire ok, c’est atteignable, c’est pas évident, mais c’est atteignable. 

Emilie Mcdermott

Complètement ! Et j’ai ma propre expérience de cela. Je vis entre Paris et Besançon et mon lieu de résidence est basé à Besançon. J’avais un atelier avec la ville de Besançon, donc la ville de Besançon. Contrairement à Paris, ce sont des baux de trois ans non renouvelables. Et en fait moi très rapidement puisque j’ai eu deux enfants. En moins de quatre ans, j’ai demandé à ce que mon bail soit prolongé en tenant compte en fait du congé maternité et ça n’avait jamais été demandé, ça avait jamais été verbalisé, posé. Et c’est vrai que c’est ce que tu dis, Camille, ça a créé un précédent pour d’autres, d’autres parents pour d’autres mères. Et du coup c’est vrai que c’est important de demander quoi.

Nour Awada

Et Émilie tout à l’heure disait quelque chose que moi je trouve vraiment bien en fait. Et je me dis mais ça, il faudrait presque que ce soit une règle, euh, peut être même faire un post là dessus, mais qui serait en effet d’intégrer dans le CV artistique par exemple, ne serait ce que ça, les temps de congés,  mais alors pas les temps de congés officiels. On s’en fiche des deux mois et demi en fait, c’est de dire, pour moi par exemple : de 2015 à 2016 ou 2016 et demi, et bien en fait, je m’occupais des enfants et en fait que ce soit mentionné stipulé presque en rouge, en violet, j’en sais rien. On met des fioritures, on l’entoure de manière à pouvoir le rendre politique. Dans cette question de la linéarité de la carrière de l’artiste professionnel·le en France. Parce qu’en effet, c’est un peu ce qu’on nous demande, nous les artistes. On nous demande une linéarité, c’est à dire un parcours, en tout cas pas trop semé d’embûches, qui puisse permettre aux autres de s’assurer qu’on est en  état de créativité quasi permanente. Et par créativité, j’entends les phases de recherche et les phases de création donc. Et on se retrouve souvent à dire pour pouvoir justifier le fait qu’on est crevée, qu’on n’a pas envie, qu’on veut juste dormir : « Non mais je suis en processus, je suis en recherche. T’inquiète ça cogite. Tu sais, moi c’est du 24/24. » Non. En fait ça fait 24 h que je regarde Netflix parce qu’en fait je n’ai pas l’énergie d’être en état de travailler. Donc je trouverais ça assez drôle, peut-être même qu’on puisse poster des cv de parents qui disent vous savez quoi : j’ai rajouté là, j’ai eu deux gamins. J’ai rajouté les deux périodes.

Emilie Mcdermott

Ouais… Mais c’est vrai que oui, voilà, les freins, c’est cette linéarité. C’est lié  au monde capitaliste aussi. Le monde de l’art n’échappe pas à cette vision un peu stakhanoviste, productiviste de l’artiste. Et on avait aussi identifié l’âgisme qui entre là dedans et sur lequel on va faire prochainement un événement. On a vu aussi des témoignages de fin de contrat avec des galeries, mais qui ne disent pas forcément leur nom. Et puis aussi, je parlais de l’atelier d’artiste mais d’avoir une pièce à soi donc moi par exemple, j’ai dû rendre mon atelier en mai et là je croise les doigts d’avoir un appartement avec un atelier intégré parce que c’est pas toutes les villes comme à Paris où il y a des ateliers-logements, c’est plus compliqué en province. Et donc c’est hyper important parce que c’est déjà assez compliqué quand on est artiste de pas avoir une pièce à soi et de créer sur un coin du salon. Mais alors avec un enfant, deux ou trois ou plus, c’est mission impossible. Donc cette question du lieu de travail, c’est un des points de notre questionnaire et c’est vraiment un point crucial en fait.

Mathilde Rouiller

Et donc justement pour continuer sur ce lien entre la réalité économique de la parentalité, la réalité organique et les mythologies que ces réalités habitent. On peut peut-être introduire malheureusement notre dernière question, je vais citer un passage des Argonautes de Maggie Nelson, je cite : « Est ce qu’il y a quelque chose d’essentiellement queer dans la grossesse elle même ? En ce sens qu’elle altère profondément l’état normal d’une personne en ce qu’elle occasionne une intimité radicale avec une aliénation radicale vis à vis de son propre corps ? Comment une expérience si profondément étrange, sauvage et transformatrice peut elle aussi être perçue comme le symbole ou la promulgation de l’ultime conformité ? » Fin de la citation. Est-ce que cette citation de Maggie Nelson ne devrait nous éclairer sur ce que cette expérience offre ? Est-ce que la parentalité ne nous offrirait pas d’autres manières d’envisager son travail artistique telle une sorte de déconstruction de la notion de progrès, mais aussi de carrière ?

Emilie Mcdermott

Oui. C’est vraiment une question qui nous a passionné, qui est hyper intéressante parce qu’on parlait de l’âge mais du coup la grosses comme le corps vieillissant,  c’est des états un peu monstrueux. La grossesse, il y a un peu ce côté du corps qui se transforme malgré soi. Moi je me souviens avoir eu cette impression qui était hyper bizarre, « mais en fait, là je ne fais rien mais tout se met quand même en place. » C’est presque un état transcendantal. C’est un peu comme être entre la vie et la mort aussi. Et donc en fait, c’est un corps – pour parler crûment – qui va pas faire bander en fait. Parce qu’il n’est pas promu par l’ordre hétéro patriarcal. Il échappe à une norme, comme un corps vieillissant, ou un corps en situation de handicap. Donc on se faisait la réflexion que c’est malheureusement assez tragique, mais souvent les cas de violences intrafamiliales augmentent durant les périodes de grossesse. Ça pourrait s’expliquer par une espèce d’hyper vulnérabilité pendant cette période là, mais aussi une énorme force et une puissance qui échappe au système de contrôle en place et qui peut s’apparenter à une forme d’autosuffisance finalement.

Nour Awada

Oui, c’est très juste cet état d’autosuffisance. En tout cas, c’est comme ça que nous on pose ces mots là dessus. Je pense que ce serait à discuter. Beaucoup de dialogues pourraient se faire autour de ce mot, mais on veut dire par là qu’il y a quelque chose dans l’état de la grossesse qu’on pourrait considérer comme un peu hors du temps. On sait que ça dure tant de mois, mais à la fois il y a aussi cette inconnue dont on parlait. Ça commence à être chiffré sur les trois ans du post-partum. Et cet inconnu qui est, qu’en réalité ce bain hormonal va nous poursuivre très très très longtemps et nous mettre dans des états très particuliers. Souvent, on parle de la folie des femmes enceintes, de l’hystérie des femmes enceintes, de leurs envies parfois un peu étranges. On peut en parler avec tendresse, puis parfois avec pas mal d’agressivité aussi. La vérité, c’est qu’en effet c’est un état particulier. Et donc ça c’est à pointer du doigt. Et d’ailleurs dans les questionnaires, pas mal de femmes parlaient parfois de leur propension à l’hyper créativité et l’hyper productivité durant la grossesse. Alors c’était intéressant à lire parce qu’elle parlait d’une hyperpuissance, une hyper possibilité. Tout à coup, tout fusait, tout était extrêmement rapide. Il y avait ce besoin presque frénétique d’être en état de création, comme si on préparait l’après en se disant « mais peut être qu’en fait après ça va vraiment ralentir, donc je suis à fond là, faut que ça sorte quoi. » Tu parlais tout à l’heure aussi Emilie, de cette relation très très spéciale, très sensible entre la vie et la mort. C’est à dire qu’en fait, à compter du moment où on porte un enfant, on ne peut pas échapper à l’idée de la mort, parce que d’abord, tout à coup, ça nous rend mortel. On se dit en fait je vais mourir un jour. Oui, c’est vrai, je vais mourir un jour. Et je ne dis pas que tout le monde n’a pas réalisé avant la grossesse qu’on va mourir un jour, mais en tout cas ça devient très probant. Et surtout, on sait aussi de manière quasi organique, quand bien même les systèmes de santé aujourd’hui sont super bien mis en place, que l’accouchement est un moment de très grande fragilité du corps. Donc on ne sait pas en fait en réalité ce qui peut se passer. Et nous, on avait découvert une super photo d’une artiste qui s’appelle Marta Maria Bravo et sa photo dont je donne juste la traduction du titre, c’était « ne pas tuer ni voir tuer ». En fait, c’est une photo dans laquelle on la voit de profil, donc la tête est coupée mais on voit son corps enceint de profil avec ce ventre absolument gigantesque. Donc elle doit probablement être aux alentours de huit ou neuf mois et elle a un énorme couteau de boucher brandi au dessus, au dessus de son ventre. Elle est en noir et blanc cette photo. Elle est extrêmement puissante parce qu’en fait elle montre ce que personne ne devrait montrer en fait, à savoir que l’état de la grossesse c’est un état qui nous ramène au fait que tout peut s’arrêter d’un coup. Il suffit d’un coup, d’un coup de couteau, enfin en tout cas dans le symbole pour que tout s’effondre. Et moi j’aimerais aussi rebondir sur cette notion de progrès. Parce que ça c’est quelque chose qui nous importe aussi beaucoup avec Émilie. Donc ça, nous, ça nous a véritablement fait penser à ces notions de biopolitique. Fin en tout cas, c’est le concept de biopolitique aujourd’hui, le système mis en place et qui va arborer justement les bienfaits du progrès. En réalité, ce sont des politiques qui broient les corps. Ce sont des choses qui sont très bien théorisées par des jeunes sociologues ou des plus anciens, et ça nous concerne aussi en tant que parent cette notion de progrès et soyons très vigilant·es avec cette notion, parce que, comme on le disait tout à l’heure, le congé maternité et paternité n’a pas changé depuis 1980. Or les professions vont changer, les rythmes de travail ont changé et demander à des indépendants ou des indépendantes ou même à des salariés de reprendre le travail à deux mois et demi. Après l’accouchement, c’est une manière de broyer un corps pour le ramener justement à cette définition du progrès et se dire en fait tu sais, si tu le fais pas, en fait, tu risques de brouiller ta carrière ou tes possibilités de carrière. Et ça, ça nous semble essentiel.

Emilie Mcdermott

Oui, et de rester vigilantes aussi à cette idée que lorsque le corps est lié au progrès. Par exemple il y a cette mode aux Etats-Unis du bio hacking. Donc c’est l’idée de – grâce à plein de techniques comme la cryothérapie – d’avoir un corps au top de la forme. Mais là on est encore dans une forme d’aliénation puisqu’il faudrait que le corps réponde à certaines normes, qu’il corresponde à une certaine esthétique et qu’il soit ultra performant. Donc on pourrait dire que le progrès est au service du corps, mais en fait non, c’est plutôt le corps qui est modelé en fonction d’un certain fantasme du progrès quoi.

Mathilde Rouiller

Merci, merci.

Camille Bardin

C’était hyper intéressant et vraiment j’ai appris plein de choses !

Mathilde Rouiller

Moi aussi.

Camille Bardin

Trop bien. J’ai noté le nom de la photographie, j’ai hâte de la voir. Je sais pas, je sens qu’elle va me parler. C’était hyper hyper empouvoirant comme conversation. Je pense qu’on l’a compris, l’incompatibilité de la parentalité et de l’art contemporain n’est pas dû au fait même d’être parent, mais bien à la structure du secteur. Et donc merci à toutes les deux d’avoir explicité aussi ce qu’on pouvait mettre en place pour aller au delà de ces inégalités là. Et merci à ma copilote d’avoir été là aussi. Merci beaucoup à vous toutes. 

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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