TRASH PRESS

Camille Bardin
Bonjour à toutes et à tous. J’espère que vous allez bien, je suis ravie de vous retrouver pour ce nouvel épisode de PRÉSENT.E que j’ai choisi de consacrer à l’initiative Trashpress


[Jingle]

PRÉSENT.E est un podcast dans lequel je souhaite porter au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contemporain. Mes questions portent donc rarement sur les œuvres en elles-mêmes mais davantage sur toutes les réflexions et les doutes qui gravitent autour de celles-ci. Car ici je m’intéresse d’abord à la manière dont la vie de mon invité.e impacte son travail puis à l’inverse à la façon dont son travail vient impacter sa vie. Dans PRÉSENT.E j’essaie de mener les conversations comme j’ai l’habitude de le faire en tant que critique d’art dans les ateliers d’artistes ou à la terrasse des cafés. Sauf qu’ici nous sommes enregistré.e.s et vous avez la possibilité de tout écouter.


Aujourd’hui j’ai souhaité mettre en avant une initiative qui a vu le jour il y a quelques mois au Beaux Arts de Montpellier. Cette initiative elle s’appelle Trashpress et elle réunit des étudiants et des étudiantes de la métropole qui ont souhaité contester l’existence de la biennale Art Press… Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi, Art Press c’est sans doute la plus grosse revue spécialisée en art contemporain en France. Elle a été fondée au début des années 1970 par Catherine Millet qui est encore aujourd’hui sa rédactrice en chef. Énormément de colère se cristallise autour de la figure de cette femme et de la revue Artpress car depuis le début du mouvement Me Too, Catherine Millet a beaucoup pris la parole et s’est positionnée comme l’une des figures d’opposition aux luttes féministes et intersectionnelles en France. Pour vous donner quelques exemples : seulement quelques mois après le début du mouvement Me Too elle signe notamment la tribune sur le droit à être importunée au côté d’autres personnalités comme Catherine Deneuve. Et l’année dernière en 2021, au moment des révélations concernant Claude Lévèque qui est accusé de pédocriminalité, sa revue Art Press diffuse une tribune signée par une poignée de personnalités du monde de l’art et de la culture qui apportent leur soutien à l’artiste. Cette tribune elle ne passe pas auprès d’un grand nombre de contributeurices de la revue qui se fendent quelques jours plus tard d’une contre-tribune pour se désolidariser du média et apporter leur soutien aux personnes ayant été victimes de Claude Lévèque. Aujourd’hui, Art Press c’est le symbole de ce monde de l’art réactionnaire qui soutient la division de l’homme et de l’artiste et lutte contre les mouvements féministes et décoloniaux. Alors quand le MOCO annonce qu’il accueillera la deuxième édition de la biennale « Après l’école » organisée par la revue, ça coince. Les Beaux Arts d’Annecy, de Grenoble, de Toulouse et de Lyon décident de boycotter l’évènement et de nombreux artistes refusent d’exposer leur travail dans le cadre de cet événement. En réponse à cela, trois étudiantes du MOCO créent Trashpress. Une manière pour elles de soutenir les artistes refusant.es et de signifier qu’aujourd’hui, la voix des étudiantes et des artistes émergent.es compte et qu’iels sont agissantes. C’est pour parler de leur initiative et en soutien à celle-ci que j’ai décidé de les recevoir dans le quarantième épisode de PRÉSENT.E. Je suis donc ravie d’accueillir Meryam, en 4e année aux Beaux Arts de Montpellier et Émeline et Anouk qui sont en 5e année là bas. Bonjour…

Toutes les trois
Bonjour ! Bonjour ! Bonjour !

Camille Bardin
Pour commencer, et même si la plupart des auditeurices de PRÉSENT.E doivent déjà savoir pourquoi de plus en plus de travailleur·ses de l’art refusent aujourd’hui de travailler ou d’être associé·es à Artpress, je voulais savoir ce qui pour vous avait constitué un “no go” vis à vis de cette revue et par conséquence de la biennale qu’elle organise.

Meryam
Suite aux événements qui ont suivi les positions tenues ou publiées par la revue Art Press- je précise « publiées », parce que l’on nous a demandé de faire la différence entre ce qui rentrait dans le contenu éditorial et ce qui était un édito publié. Après, nous, on estime que, à partir du moment où l’édito est écrit par la co-fondatrice et directrice de rédaction du magazine, la différence est compliquée à faire. Mais voilà, pour nous c’est juste tout simplement plus possible de tenir des positions qui vont à l’encontre du mouvement féministe intersectionnelle et qui impacte la vie de personnes de façon très grave.

Anouck
Oui, je pense que c’est déjà l’une des premières choses qui a fait que, au moment où on nous a annoncé que la biennale allait avoir lieu au MOCO (qui réunit les deux centres d’art contemporain, la Panacée, l’Hôtel des Collections et notre école) on a compris qu’on était directement affiliés à la Biennale Art Press. Et aussi la manière dont ils ont pu répondre… C’est à dire qu’on s’est réunis avec une grande majorité des étudiants de l’école au moment où on nous a annoncé la biennale et on a décidé de contrer l’événement. On nous a alors proposé de faire une discussion avec les curateurs de la Biennale et on a été tout de suite infantilisés. On a essayé de nous rabaisser en nous disant qu’on n’y comprenait rien. Ça nous a encore plus poussé à dire que cet événement c’était pas possible.

Camille Bardin
Pour bien comprendre, vous, vous êtes des étudiantes, vous étudiez aux Beaux-Arts de Montpellier, vous êtes en 4e et 5e année. Quand on vous dit que la biennale Artpress se tiendra au MoCo, donc dans vos locaux en quelque sorte, ou en tous cas avec le soutien de la structure à laquelle votre école est rattachée. Qu’est-ce que vous vous dites ? Quelle est votre réaction ? Et qu’est-ce que vous décidez de faire ?

Anouck
On a essayé, nous, de discuter avec ces gens là lors de la rencontre avec les curateurs de la Biennale Art Press. Et finalement, à l’issu de ça, on n’a toujours pas été écouté·es. Comme Meryam le disait plus tôt, c’était très infantilisant la manière dont ils nous ont répondu. Et du coup on s’est dit, comme on ne nous écoute pas, autant faire quelque chose hors-les-murs de l’école.

Meryam
Il y a eu une frustration hyper importante de la part des étudiants et des étudiantes. On a été un peu désarmé·es parce que, en fait, la réponse qu’on a eu c’est « Le projet va se faire et c’est tout en fait », et « vous comprenez pas, et vous êtes contre une expo pour les jeunes artistes »… Donc à savoir aussi qu’il y a ce truc là où Art Press se défendait de par cette monstration de jeunes artistes, d’artistes précaires qui débarquent, qui ont fini l’école. Et le but pour nous, c’était de montrer que, en fait, la jeune création n’a pas du tout besoin d’Art Press en fait. Et qu’on comprenait pas pourquoi Art Press était à l’origine de ça. Et surtout, il y a aussi la question du privé et du public qui se pose. Art Press est un magazine privé qui expose dans des lieux publics, donc au sein du Moco et du musée Fabre et de l’espace Dominique Bagouet donc des subventions publiques. Donc on se demande comment est ce que ces liens se font ? Et pourquoi est ce que ces liens se font encore ?

Camille Bardin
Et du coup, est-ce que vous pouvez nous présenter concrètement ce qu’est Trash Press ?

Anouck
C’est un magazine qui est à l’initiative de Meryam à la base qui est venue nous voir un jour et qui nous a proposé : « Écoutez, ça suffit pas, on peut pas juste se taire et rien faire. » Et qui nous a dit « j’ai une idée, et si on faisait un magazine dans lequel on présente les refusant.es de la biennale, quoi. » Et donc à partir de là, on a commencé à se réunir fin juin. Le but c’était vraiment, comme le faisait à l’époque dans le Salon des Refusés : donner parole aux personnes qui ont osé dire non à ces grandes institutions, oser dire non à un système de l’art contemporain aujourd’hui.

Meryam
Après, plus formellement, on peut préciser que c’est une édition, elle présente six artistes qui ont donc fait ce choix. Ce choix qui n’est pas sans conséquence, qui est un choix compliqué : il s’agit là de refuser une exposition, de la visibilité et aussi du budget de production et une expérience en fait ! Donc on a eu la chance de pouvoir montrer ces six artistes. Il y a Emeline Léa, Mille Lolita, Nesrine Salem qui ont été diplômées de Montpellier, Pires-Sola Renata qui a eu son diplôme à Nîmes. Camille Sart, qui a été diplômé de Toulon et Corentin Thilloy de Limoges. On a eu la chance de réussir à trouver trois artistes qui ne venaient pas de Montpellier. On ne voulait pas faire quelque chose de

complètement corporatiste et centré en fait. Le but, c’était vraiment d’étendre ça et de montrer que c’était pas juste les petits étudiants pas contents de Montpellier.

Émeline
Et donc par la suite, Meryam a été en contact avec Guilhem Monceaux qui est curateur et qui à ce moment là faisait un workshop avec Mécènes du Sud et qui trouvait l’idée assez intéressante parce que ça se reliait bien avec le travail qu’il est en train de faire à Mécène du Sud, sur comment utiliser les institutions dont on parle pour ensuite transmettre des choses qui sont contre les institutions d’une certaine manière…

Camille Bardin
Cette idée de retournement oui…

Meryam
Oui, c’est exactement ça.

Camille Bardin
Le terme “refusé” est mobilisé à un moment essentiel de l’Histoire de l’art – je parle évidemment du salon de refusés de 1863. Vous vous avez choisi de vous emparer d’un autre mot, qui rend les artistes actif·ves cette fois-ci, c’est “refusant.e”. Et je trouve ça fabuleux parce que si les artistes sont aujourd’hui comme depuis toujours, la source première de ce qu’on appelle les mondes de l’art, iels sont néanmoins contraint et contraintes de se soumettre à toute une chaîne de reconnaissance et de légitimation que constituent les galeristes, les critiques et journalistes, les collectionneur·ses, les institutions et j’en passe. Votre action, elle permet aussi d’inverser ce rapport de force et de montrer que sans les artistes tout s’effondre, que cette chaîne dont je parlais, dépend aussi de vous. Quand vous employez ce terme de “refusant·es” est-ce que c’est ça que vous avez en tête ? Pourquoi vous avez choisi de mobiliser ce terme là ?

Émeline
Oui, clairement. C’est totalement l’idée. On englobe un peu tout le système quoi. On est à un an de sortir de l’école et on se rend bien compte que le système il est pas du tout fait pour les artistes. Alors que, comme tu le dis, sans nous il n’y aurait pas de marché de l’art… Donc oui, c’est évident, on est un peu dans cette idée de se dire qu’on va essayer de préparer un peu notre avenir à nous aussi, et aussi de soutenir les gens qui sont déjà dans ce système là et qui décident de plus y participer comme iels seraient censé·es le faire. À savoir, se taire et faire ce qu’on nous demande, pour espérer un jour atteindre une place dans laquelle on pourra dire ce qu’on veut dire. On arrive juste à un point où on en a ras le bol, cela se sent depuis déjà bien cinq ans, quoi. Ça fait quand même très longtemps que les artistes commencent à se mobiliser pour dire stop à tout système qui justement renforce la précarité des artistes.

Anouck
C’est un droit de refuser. C’est pas parce qu’une grande institution ou quelque chose qui va mettre notre art à son apogée qu’on est obligé d’accepter l’aide de ces grandes institutions, quoi. Donc voilà, c’est un droit je pense aujourd’hui de dire non.

Meryam
C’est surtout qu’on est à une époque où on est en train de questionner les rapports de pouvoir à tous les niveaux. Donc évidemment que ça se passe aussi ici et que c’est important aussi de valoriser un choix éthique et de montrer qu’il y a une alternative possible. Simplement, on est encore confronté à une représentation assez hégémonique de certaines institutions, donc cette visibilité là, elle reste nécessaire. De tout temps, il y a eu des artistes qui ont questionné et remis en question l’institution. Et aujourd’hui, on adore cette image de l’artiste torturé… L’art contemporain vient de là, en fait, de cette insolence un peu… de ce pied de nez à l’institution. Et aujourd’hui, c’est plus un pied de nez parce qu’on ne rigole plus. C’est juste plus marrant en fait.

Camille Bardin
Vous n’êtes plus dans une espèce de nonchalance, effectivement, de l’artiste incompris. Vous n’êtes

pas non plus dans une démarche démissionnaire, c’est à dire qu’il y a ce « non » qui est prononcé, mais derrière vous êtes force de propositions et vous explicitez déjà les conditions sine qua non à des futurs collaborations. C’est ça aussi que je trouve intéressant, c’est que vous êtes aussi très clair là- dessus.

Émeline
Oui, c’est un peu ce truc aussi de se dire que l’artiste n’a plus besoin d’un tuteur dans l’art quoi. On a le droit d’être indépendant. Je rejoins ce que disait Meryam dans le truc de l’artiste bohème qui a l’air toujours un peu perdu et qui a ses grands sauveurs qui vont venir lui dire « mais j’adore ton art et donc on va te mettre à cette place là. Mais sans nous t’aurais rien pu faire. » Alors qu’en fait je suis sûre que même à l’époque c’était pas spécialement ça non plus quoi. C’est juste, on va sortir une grande pile de billets et puis l’artiste va suivre. Forcément, ça peut pas fonctionner comme ça quoi… Evidemment qu’on a besoin d’argent pour vivre ou quoi que ce soit, mais on a envie de le faire dans les règles de l’art.

Meryam
C’est pour ça aussi que notre but c’était pas du tout de blâmer les personnes qui ont choisi de participer, parce qu’iels sont sans doute dans une réelle précarité. C’est aussi pour ça que ce projet a marché, parce qu’il s’est défendu en disant qu’il montrait de la jeune création. Aujourd’hui, c’est un sujet qui marche. Encore une fois, c’est les « sauveurs » qui vont aider les jeunes artistes, ou alors les « féministes » et l’art décolonial… Alors qu’en fait, il y a rien qui suis réellement derrière. Donc voilà il y a une réelle précarité et pour nous c’était super important de pas remettre en question le fait d’accepter de participer parce qu’on sait d’où ça vient et que tout le monde n’a pas la possibilité ou ne veut pas non plus se mettre complètement en galère…

Camille Bardin
Oui, j’ai l’impression qu’effectivement il s’agit là aussi d’un privilège potentiellement… Ou en tout cas vous ne jetez jamais la pierre à celles et ceux qui ont accepté. Vous reconnaissez aussi leurs conditions d’existence…

Meryam
Oui, juste à savoir aussi que c’est un projet qui a été contesté à tous les niveaux. En fait, au sein de l’institution, on n’est pas les seuls. Simplement, nous, en tant qu’étudiant·es on a un confort, on peut parler, on n’a pas de devoirs de réserve, on peut contester. On essaie d’avoir de la nuance entre les personnes qui participent et celles qui ne participent pas, et aussi entre les personnes qui participent au projet de façon professionnelle dans l’institution et qui sont impliqués dedans sans être forcément en accord avec elle.

Camille Bardin
Quand on a échangé la première fois, vous m’avez dit que vous n’étiez pas directement concernées par cette biennale étant donné que vous êtes encore étudiantes. Trashpress ne naît donc pas de la volonté de se créer son propre espace, mais plutôt de venir en soutien à de jeunes professionnel·les qui contrairement à vous n’ont plus le filet de sécurité que peut représenter l’école. En cela, votre initiative va, selon moi, beaucoup plus loin intellectuellement que la simple action de démissionner. Pourquoi ou comment, alors même qu’on a peut-être l’habitude de penser que l’entraide et le soutien doivent émaner des personnes plus âgées vis-à-vis des plus jeunes, vous vous dites, que vous pouvez faire quelque chose pour elleux ?

Anouck
Parce que c’est aussi notre futur… Donc même si ces personnes ont fini l’école avant nous, on sera là aussi à un moment donné. Donc voilà…

Émeline
Et puis comme comme tu le disais, nous on a ce soutien de l’école, quoi. Donc d’une certaine manière, qu’on a quand même ce confort là. Donc, je pense qu’on peut plus se permettre de faire ce genre de choses et d’en faire bénéficier les autres plutôt que de les garder pour nous, de se taire et d’attendre le moment où ce sera notre tour de plus pouvoir en faire quoi.

Meryam
Et ça s’inscrit aussi dans une volonté de créer du commun, du partage de l’espace commun, du partage de savoirs, de connaissances et de ressources. Et c’est primordial pour préparer les luttes. Et ce qui est intéressant aussi quand tu parles de ce rapport à l’âge, c’est que je pense que ça rejoint une de tes questions…

Meryam
Oui haha ! Tu veux spoiler mon interview c’est ça ? Haha ! Non mais du coup oui, j’y arrivais… Parce qu’il y a un autre endroit où votre initiative m’a permis d’entreprendre une réflexion nouvelle. Vraiment, c’est lorsque vous m’avez fait remarquer qu’à aucun endroit vous n’employiez le terme « génération ». Aujourd’hui, pourtant, il est très présent je trouve ce terme. On parle de notre génération comme d’une génération militante qui n’a plus envie de se faire marcher dessus, qui sait dire non, que ce soit par rapport aux luttes intersectionnelles, écologiques, liées aux conditions de travail et j’en passe. Vous, vous refusez ce terme. Est ce que vous pouvez nous dire pourquoi ? Tu parlais d’agisme un peu plus tot… Et en même temps, je trouve ça d’autant plus intéressant parce que je ne sais pas si vous le savez, mais moi je fais partie d’un collectif qui a été fondé il y a six ans maintenant, donc peut être que d’ailleurs ce nom sera à revoir un jour, mais qui s’appelle « Jeunes Critiques d’Art » Et justement, il y a six ans, l’objectif c’était aussi de… Ben, de dire « merde » à un moment donné parce qu’on avait pas de place et que l’objectif c’était aussi de se dire « bon, on a envie d’aller au delà de tout le jargon des textes de critique qui sont publiés… On a envie de faire une critique plus ancrée, moins hors-sol, etc. » Donc ça m’a d’autant plus touchée dans ce débat que vous avez entrepris… Vas y, tu parlais d’agisme, par exemple.

Meryam
C’est super intéressant parce que, à la fois, évidemment, ça a été extrêmement nécessaire de créer des espaces comme Jeunes Critiques d’Art ou d’autres opportunités ou d’autres événements. Aujourd’hui, on voit énormément d’expositions de jeunes artistes, d’exposition post-diplome, mais on voit plus tellement d’expositions où en fait les artistes un peu plus confirmés, âgés, qui sont là depuis bien plus longtemps. Leurs travaux ne sont plus tellement en relation avec la jeune création dans l’espace muséal. Et ça crée une sorte de scission binaire… Ça a été hyper nécessaire de questionner ça, mais la question de la génération, pour moi, c’est compliqué parce que les luttes, elles ont toujours été là. Le féminisme, ça a toujours été là, toutes les luttes intersectionnelles, écologiques. En fait, on n’invente rien, on a simplement d’autres outils, d’autres moyens de communiquer sur ça, de réfléchir sur ça. Donc c’est une question aussi, je pense, d’époque, mais la génération je pense que ça complique le discours et l’échange… On le voit de toute façon… On se retrouve avec des vieux qui nous disent les jeunes, vous êtes des petits cons, et inversement.

Camille Bardin
Oui, c’est le famaux « tu comprendras quand tu paieras tes impôts. » !

Meryam
Donc pour nous, ne pas utiliser le terme génération, c’est aussi faire un pas. Parce qu’en fait, quand on a essayé de discuter avec la direction, les curateurs, tout le monde a dit « non, mais ça, vous comprenez bien que les les luttes dans lesquels vous vous inscrivez, c’est générationnel. » Et en fait non, on leur répond simplement : « Non. En fait, des viols, il y en a toujours eu. Des violences, il y en a toujours eu. » Et en fait, c’est juste pas possible de mettre sous le tapis tout ce qui s’est passé avant aussi. Et c’est ce qu’on nous reproche aussi de vouloir tout mettre sous le tapis un peu. On nous dit « bah quoi alors on va tout supprimer ? On va tout décrocher des musées ? » En fait non, mais on questionne. C’est légitime de questionner. Donc c’est pour ça qu’on parle pas de génération, parce qu’on veut travailler ensemble.

Émeline
Je suis tout à fait d’accord. Et puis je considère que dans cette suite là, ce n’est plus une question d’âge ou quoi que ce soit, mais plus une question d’une poignée de personnes qui sont peut-être un peu hors de ce système qui est totalement précaire quoi. Je pense que c’est dommage de vraiment séparer dans une question de génération alors qu’on voit très bien qu’il y a des générations haut

dessus de la notre qui sont exactement dans la même galère que nous et ça depuis des années. C’est juste qu’on a bien une dizaine d’artistes qui vont être au dessus des autres et puis il y aura le reste. Quand on voit le nombre d’étudiants qu’il y a en école d’art et le peu de personnes qui sont représentées à l’âge de 35 ans, on se dit qu’évidemment il doit y avoir un problème quelque part en fait, et que c’est même plus une question d’âge, mais juste une question de système quoi.

Meryam
Oui, et en plus on parle de génération là où en fait on devrait parler d’une hégémonie et d’une élite pensante que représente notamment Art Press. Art Press c’est un magazine qui touche quelques personnes… Qui s’inscrit quand même dans un rapport aux collectionneurs, aux galeristes, donc au privé. Enfin, il y a tout ça aussi qui est a questionné. C’est la question sociale et celle de la précarité dont il faut se saisir, plus que celle de la génération. L’intersectionnalité, c’est ça aussi.

Camille Bardin
Complètement. Et il y a une question que je me suis posée aussi quand je vous ai rencontré, c’est : Est ce que vous avez eu peur ou est ce que vous avez encore peur potentiellement des conséquences qu’une telle action pourrait avoir sur vos carrières respectives ? Parce que c’est aussi quelque chose qui peut freiner les luttes, cette peur des conséquences qu’il peut y avoir… Et étant donné qu’on est des personnes souvent très précaires dans ce milieu, on se dit que bon, on va pas rajouter de la précarité à la précarité et se tirer une balle dans le pied en gueulant contre le système quoi.

Anouck
Je pense que vu qu’on est encore dans ce système, un peu de l’école où on fait un peu ce qu’on veut entre guillemets, on réfléchit.

Camille Bardin
Vous avez cette liberté.

Anouck
Voilà, c’est ça. Vu qu’on a cette liberté encore… Qu’on sait pas trop ce qu’on va faire plus ou moins. Après, personnellement moi ça me fait pas spécialement peur… Je pense que c’est quelque chose qu’on se rendra plutôt compte un peu plus tard, dans quelques quelques années on va dire.

Émeline
Oui, oui, moi je suis d’accord. Honnêtement, quand on m’avait proposé le projet j’étais trop chaude ! À aucun moment je me suis dit je vais peut être me griller dans l’art contemporain. Mais aujourd’hui, j’y pense un peu et je me dis au pire tant pis quoi… Je veux dire, si on nous avait proposé de participer à la Biennale la Presse, j’aurais refusé déjà à la base. Donc est-ce que ça grille pas déjà un peu ? Donc juste, on commence déjà à prendre parti là, maintenant. En espérant que une fois qu’on aura fini, ce sera différent et que l’on pourra refuser sans même avoir peur de dire que « ah bah non, mais si je refuse ça se trouve pas, je perd la chance de ma vie quoi. » Et puis honnêtement, je ne suis pas sûre que dans cinq ans Art Press ait autant de place qu’aujourd’hui… J’espère que ça changera quoi. Et puis, comme disait Meryam tout à l’heure, il y a plein d’autres moyens de s’exprimer et de dire ce qu’on pense et de créer de l’art que je pense que fin il faut juste arrêter de leur donner une telle importance.

Meryam
C’est ça… Personnellement j’ai pas peur, dans le sens où si quelqu’un ne veut pas travailler avec moi plus tard parce que j’ai fait ce projet, honnêtement, tant mieux ! Parce que ce seront des gens avec qui je ne voudrais pas travailler tout simplement. Enfin, ça fait une sélection naturelle on va dire. C’est quelque chose qui est posé et qui est dit et qui fait partie de notre identité en tant que personne et en tant qu’artiste.

Camille Bardin
Bah je vous rejoins complètement.

Anouck

Ouais, je voulais quand même dire que je pense que les personnes qui ont eu le plus peur dans cette histoire, c’est les artistes avec qui on a travaillé. Ils ont quand même accepté le projet, ce qui est déjà énorme. Iels ont déjà une grosse force pour faire ça. Je pense à Renata Pires-Sola qui nous disait qu’au début, elle a quand même grandement hésité à participer à ce projet parce qu’elle se disait qu’elle était déjà lancé dans ce monde là que cela pouvait porter préjudice à sa carrière. Je pense que c’est quelque chose qui est quand même très très fort de leur part.

Émeline
Et oui, et j’aimerais quand même aussi dire que tous les artistes qui ont participé… Force à eux aussi. Parce que honnêtement, déjà refuser la biennale c’était vraiment fort. Nous on a eu du courage, mais je pense que c’était surtout très fort de refuser de participer.

Camille Bardin
D’ailleurs, je trouve que c’est ça qui est hyper fort aussi… Je le vois à titre personnel, je suis aussi amenée à refuser des propositions parfois et quand je dis « non » parce que politiquement je suis pas en accord avec la proposition il n’empêche que l’évènement a quand même lieu et que mon refus n’a pas réussi à faire avancer le schmilblick et c’est hyper frustrant. Et en fait, je pense qu’à force aussi de voir les choses se faire sans nous, je pense que c’est lassant et épuisant. Et au bout d’un moment, tu finis peut être par dire oui parce que tu dis en fait à quoi bon ? Tu te dis que même si tu refuses, il y aura forcément 36 personnes derrière qui seront prêtes à accepter. Donc du coup, je trouve que de pouvoir visibiliser ce « non », de pouvoir exister ce « non » et bah je trouve que ça donne beaucoup de force.

Meryam
Pour avoir échangé avec certains des artistes qui dans cette biennale, il y a ce conflit interne aussi… C’est toujours des concessions morales de se dire qu’on a pas trop le choix. Parce que c’est la réalité, on n’a pas toujours le choix.

Camille Bardin
C’est aussi un privilège de pouvoir dire non. Quand on est dans des conditions de travail telles et qu’on a besoin de visibilité, c’est compliqué quoi. Donc j’entends aussi… Il y a une question que je pose à chaque fin d’entretien dans PRÉSENT.E. Cette question c’est “est-ce que tu réussis à vivre de ton travail d’artiste ?” Ici, je me suis dit que ce n’était peut-être pas vraiment pertinent de vous poser cette question étant donné que vous êtes encore étudiantes. Par contre, j’aimerais qu’on finisse en parlant des conditions d’existence et d’exposition des étudiant·es en École d’Art, cette revue vous l’avez initiée si ce n’est dans le cadre, au moins, au sein de votre école avec des moyens qui sont ceux de toustes les étudiant·es, si vous aviez peut-être pas un conseil mais peut-être un message à passer à celleux qui comme vous on envie d’agir qu’est-ce que vous leur diriez ?

Meryam
Je pense que l’important c’est de s’entourer et de créer de l’union dans les écoles et entre les écoles. Et aujourd’hui, on a la chance d’avoir beaucoup d’initiatives, d’associations, de collectifs, de syndicats qui se créent. Il y a notamment la Buse, le Massicot – qui est un syndicat d’étudiants en école d’art et de design qui a été pour nous une aide dans ce projet, mais qui est aussi un énorme outil qui aide énormément de personnes, d’étudiantes, d’étudiants dans les écoles d’art à faire face aux problèmes que l’on connaît toustes. Il y a des outils qui sont créés. Moi je pense que s’engager c’est soit participer à ces outils là et participer à de l’échange, du partage de connaissances et de ressources ou tout simplement aussi de demander à ces structures indépendantes de l’aide et des conseils. Le collectif, c’est pas facile, mais parce qu’on n’est pas éduqué là dedans aussi. On n’est pas du tout initié à travailler ensemble, mais je pense que c’est là qu’il y a des choses qui se passent et qui ont du poids.

Anouck
C’est presque essentiel. En tout cas, dans notre école, je sais qu’on ne nous a jamais vraiment dit ça. Et là de plus en plus on dit « mais soyez ensemble, faites des choses ensemble. C’est là que vous y arriverez. » C’est tellement motivant de ne plus être seul.e.

Meryam
Je pense qu’il y a eu une prise de conscience de la nécessité du collectif. Déjà avec le confinement en fait. Je pense qu’à d’autres niveaux que celui des luttes qui s’organisent depuis toujours, on s’est rendu compte que, en fait non, ça n’existe pas d’être seul·es dans quelque chose. Et je pense que du coup ça a créé des dynamiques assez particulières. Je pense qu’on n’a même pas encore conscience de tout ce que ça a créé en fait. Mais en tout cas, on a compris que la notion de se retrouver et de travailler ensemble était importante.

Émeline
Bah oui c’est ça. Et puis il ne faut pas se laisser abattre parce qu’on voit pas les gros résultats arriver d’un coup. Je veux dire, ça peut pas fonctionner comme ça ou tout de suite le système va changer quoi. Moi je l’ai très bien vu de toutes les les luttes qu’on a pu organiser à l’école depuis la première année jusqu’à aujourd’hui. On a fait deux occupations dans l’école. On s’est toustes réuni·es, toustes les étudiant·es, on s’est toustes mis·es ensemble, on a fait des événements de ouf, c’était incroyable ! Et en vrai, déjà ça, ça fait plaisir et ça fait du bien de voir qu’on peut travailler les uns avec les autres. Et puis, juste, il ne faut pas se laisser abattre. T’arriveras pas du jour au lendemain, c’est certain. Mais justement, si on est là les uns les autres pour se soutenir etc. Je pense qu’on y arrivera bien un jour quoi.

Meryam
Oui, et puis ça met en lien. Par exemple avec ce projet là où on a affirmé cette position. On a pu rencontrer des personnes ou être mises en relation avec des personnes qui en fait sont dans cette cette lignée là aussi. Donc en fait tout simplement, l’art demain ce sera nous. Donc il faut qu’on travaille ensemble maintenant. En fait il y a un moment où ces gens ils vont mourir en fait. Hahaha ! C’est une réalité, on leur souhaite pas de mal mais c’est une réalité.

Camille Bardin
Oui, en tous cas, on va être amené demain à travailler toutes et tous ensemble, effectivement. On fait partie d’une génération qui va évoluer ces prochaines années ensemble. Donc effectivement, commencer par mutualiser, par se rencontrer, par s’identifier, c’est essentiel. Donc c’est chouette de penser la mutualisation, le travail collectif, pour qu’on réussisse à s’identifier toutes et tous dès aujourd’hui. Donc par ailleurs, ravie que cette initiative m’est menée à vous. Donc voilà, je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordée. Merci pour toute l’énergie que vous avez mis dans ce projet. Bravo ! Encore une fois, je vous rejoins là dessus… bravo à celles et ceux qui on refusé de participer à cette biennale parce qu’on sait à quel point effectivement ce n’était pas évident. Courage à celles et ceux qui ont accepté. Je vous remercie vraiment d’avoir accepté mon invitation. Merci à vous chers auditeurices d’avoir écouté cet épisode. Comme d’habitude, je vous donne rendez vous sur le compte le compte instagram de PRÉSENT.E pour suivre toutes les actualités du podcast. Je vous invite également à suivre le compte Instagram de TRASH PRESS ! Enfin, je remercie grandement David Walters pour le générique ! Je vous dis à dans deux semaines. Mais d’ici là prenez soin de vous, et je vous embrasse.

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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