BOYS DON’T CRY

Bonjour à toutes et à tous. J’espère que vous allez bien. Cette semaine je vous propose un épisode un peu différent de ce que j’ai l’habitude de vous faire dans PRÉSENT.E puisque je vais converser non pas avec un artiste mais quatre. Aujourd’hui je suis au Houloc avec Jean Claracq, Lenny Rébéré, Mathieu Roquigny et Romain Vicari. 

Si nous sommes si nombreux.ses aujourd’hui c’est pour parler de l’exposition “Boys don’t cry” que j’ai eu le plaisir d’organiser avec ces quatre artistes dans le cadre du cycle “REBELOTE”. Pour faire bref, le Houloc, ce sont des ateliers à Aubervilliers qui regroupent une vingtaine d’artistes. Et ce mois-ci ils ont convié 4 commissaires d’expositions (Thomas Fort, Henri Guette, Elora Weill-Engerer et moi-même) à penser une exposition avec les artistes de leurs ateliers. Particularité ici : Nous avons tiré au sort les noms de celles et ceux avec qui nous allions travailler. C’est donc un heureux hasard qui m’a poussée à recevoir Jean Claracq, Lenny Rébéré, Mathieu Roquigny et Romain Vicari pour le 13e épisode de PRÉSENT.E. 

Bonjour les garçons ! 

“Boys don’t cry” c’est une expo qui aborde la question des masculinités. À travers vos œuvres Lenny et Mathieu on voit d’abord se dessiner un certain nombre d’injonctions qui sont faites aux hommes : soit fort, ne pleure pas, n’ait pas peur, soit viril et courage. Puis émerge au fur et à mesure d’autres possibilités d’existence, d’autre possibilité d’envisager son corps et sa sexualité là on sort un peu de l’hétéronormativité et ça c’est avec les œuvres de Romain et Jean. Du coup je vous propose qu’on navigue un peu dans cette exposition et qu’on parle un peu des œuvres qui la composent. Mathieu quand on rentre dans l’espace d’expo un des premiers trucs qui nous saute aux yeux c’est cette mini moto. Ce petit engin qui pourrait sembler ne rien avoir à faire là a en fait été ton outil de travail pour réaliser une des œuvres de l’expo. 

M.R. : Exactement ! En fait il s’agit d’une mini moto ou ce qu’on appelle une “pocket bike” qui était très à la mode il y a une dizaine d’années. Des motos miniaturisées mais avec un vrai moteur thermique, c’est un 50cm cube donc ça envoie quand même de la gouache. Ces petites motos en fait pour la petite histoire, il y a une dizaine d’années, je me suis retrouvé à la foire du trône, et il y avait un stand avec un forain et on pouvait gagner des pocket bike. le but du jeu c’était de lancer des pièces de 1€ sur des tables plates en verre et si tu y arrivais, tu repartais avec une pocket bike. Le type y arrivait forcément à tous les coups. Rire. Du coup je me suis entraîné pendant une semaine chez moi. Je suis retourné sur le stand et j’ai mis 20€, mais malheureusement ça a été un échec cuisant. Rire. Du coup, j’ai toujours eu l’idée d’avoir cette petite moto. Finalement au fur et à mesure de ma pratique ça a évolué sur d’autres médiums. J’ai eu l’occasion avec le Bon Coin ou d’autres trucs du genre, de pouvoir acquérir cette petite machine. Du coup en faire un usage complètement différent. 

C.B. : Oui parce qu’ici ça devient presque un pinceau. 

M.R. : Exactement. C’était de laisser une empreinte. En fait c’est des dérapages qui sont faits avec cette petite moto, mais qui est plus accessible donc on arrive à dessiner même si l’engin est assez puissant et lourd. Au préalable j’avais peint une sorte de panneau à la bombe de peinture pour avoir une sorte de ciel évanescent, quelque chose qui à mon goût était très beau, et venir le saboter avec ce genre de dérapages avec cette petite moto. Quelque chose d’assez brutal mais aussi assez précieux dans l’idée de l’outil. Ces dérapages on appelle ça en anglais des “burn” donc c’est assez rigolo par rapport à la thématique de l’expo, parce que “burn” devient un peu “burne” en français, donc corrélation avec l’esprit de masculinité. Rire. C’était un peu cette idée de rompre et de vandaliser la peinture. 

C.B. : Ce côté un peu viril, un peu costaud où l’on voit des mecs avec des gros bras faire des trucs de bonhommes on le retrouve très vite dans l’exposition avec l’œuvre de Lenny Rébéré que je suis ravie d’exposer ici. Lenny toi on te connait surtout pour tes peintures mais tu as aussi tout un travail vidéo parce que tu récoltes plein d’images qui ont été semées sur internet. Là ce sont des vidéos que tu as trouvé. Elles ne sont pas toutes jeunes du tout…

L.R. : Nan c’est vrai que j’ai un travail qui est basé sur l’image et j’ai toujours dans un premier temps un besoin de recherche. Ça peut être des images de toutes origines, de toutes époques. Pour cette exposition, j’ai trouvé des rush VHS des années 90 où c’est un amateur qui filme de manière très voyeuriste des mecs un peu sex carrément bodybuildés sur la plage de Miami Beach. Je suis partie avec 12h de rush et je les ai compilées pour faire un petit zapping un peu drôle que j’ai placé sur un panneau publicitaire avec des LEDS, avec beaucoup de pixels, avec des images aux couleurs très vives et très flash. En fait, il y a toujours un côté un peu social anthropologique quand j’utilise des images et là pour le coup il y a vraiment l’importance première du contexte de ces images. Le fait que ce soit Miami Beach qui est un haut lieu du culturisme, très connu pour ça, est une sorte de spectacle ou de parade avec un aspect un peu ambigu et ridicule mais assez tendre aussi. Tendre dans le côté où le culturisme c’est pas une épreuve de force mais côté concours de beauté, le but c’est de se montrer, montrer le corps objet et comment il devient un objet de consommation et de désir. Ces mecs qui paradent et qui dragouillent un peu sur la plage, le fait qu’ils soient filmés à leur insu avec un point de vue voyeurisme, il y a un peu un retournement comme l’arroseur arrosé. L’oeuvre s’appelle “Beefsteak” parce qu’il y a toute cette ambiguïté du fait que ça vient d’une expression anglaise qui signifie un peu “mainbase” ou “monsieur muscle” très vulgairement et en même temps il y a ce côté pièce de viande. 

C.B. : Il y a aussi un jeu du fait que ce soit projeté sur un panneau publicitaire. 

L.R. : Oui c’est ça. Je mets toujours en rapport l’espace de l’exposition avec les oeuvres et là ce panneau de pub très pixellisée, j’aimais  bien le fait que plus on s’approche, plus ça nous pique les yeux et moins on arrive à distinguer l’image, et à l’inverse plus on recule, plus on distingue des corps plus nettement. Donc en fait cet objet de désir il faut reculer pour pouvoir mieux le voir et plus on se rapproche plus on est cramé dans notre voyeurisme. 

C.B. : C’est une œuvre qui est très drôle en soi parce qu’il y a quand même un truc qui est un peu de l’ordre du ridicule quand on voit ces mecs super costauds qui se pavanent le torse bombé sur la plage. Cet humour est présent également dans une seconde œuvre de Mathieu Roquigny. Cette œuvre s’appelle Perpète et alors là : c’est 4444 petites bistouquettes que tu as réalisé en vidant un stylo quatre couleurs. 

M.R. : Alors en vidant non pas réellement. J’en ai dessiné beaucoup plus que 4444 puisque c’était 4444 par planche. Comment expliquer ce projet ? Ca part des codes de l’enfance, une inspiration un peu omnisciente dans mon travail, ça tourne autour de la naïveté, de l’enfance, de la liberté de la pratique parce qu’à cet âge là on fait les choses sans le regard de l’autre, du coup il y a un truc très naïf et aussi très brutal, très frontal et très tendre qu’on perd en grandissant malheureusement. Du coup, avec la relecture de mon expérience aujourd’hui, je m’arrête sur de petits fragments de mon quotidien de l’époque, qui sont un peu les mêmes fragments pour tout le monde, dont ces petites quequettes qu’on dessinait sur un coin de table de manière un petit peu irrévérencieuse et qui étaient totalement assexuées. Ça concernait les filles comme les garçons. Quand on se faisait prendre par l’instit, on avait 1h de colle, donc le projet tournait autour de ce format de punition que je m’inflige aujourd’hui à plus de 30 ans où je dessine un peu comme un prisonnier compterait ses jours en prison de manière très punitive jusqu’à les recouvrir totalement pour qu’elles deviennent en soi invisibles. Un effacement quoi. Du coup il y en a 4444 par planche pour créer aussi ce côté performatif et punitif, et aussi pour avoir la même densité pour chaque planche. l’idée c’était de se servir du BIC 4 couleurs qui nous accompagne toute notre enfance et toute notre scolarité pour faire toutes les combinaisons possibles, au total 15. Le projet sera fini quand les 15 seront terminées en mélangeant les couleurs. Du coup les 4444 permettent d’avoir la même densité sur chaque planche. C’est encore aussi quelque part similaire au premier projet des “Burn” plus dans le sens où il y a aussi une question d’échelle. Il y a une citation de Jonathan Smith qui disait qu’on dessinait toujours les éléphants toujours plus petits que nature et les puces toujours plus grandes. 

C.B. : C’est marrant parce que cette œuvre que tu as commencé il y a quelques années, c’est une œuvre qui devient terriblement actuelle. En 2019, il y a deux activistes FEMEN qui ont commencé à proposer à des gens de dessiner une bite. Evidemment tout le monde s’en sort, et après elles demandent de faire la même chose avec un clito. Et beh moi même j’étais infoutu de dessiner un clito. On s’est rendu compte que même si au collège on aborde la sexualité, il n’y avait aucun schéma de clitoris alors que c’est quand même l’organe féminin dédié au plaisir. Ton œuvre m’a tout de suite fait penser à ça. C’était aussi une sorte d’omnipotence de l’homme, malgré toute la tendresse de ton œuvre. 

Vos oeuvres Mathieu et Lenny même si dans l’exposition elles nous permettent d’aborder la question des injonctions qui viennent motiver une certaine oppression de l’homme sur la femme mais aussi de l’homme sur lui-même elles revêtent une certaine légèreté elles sont aussi très drôles. Elles créent également un terreau fertile pour qu’émerge d’autres masculinités, peut-être plus saine, en tout cas débarrasser des injonctions à tendre vers des corps et des sexualités moins hégémoniques et normé.es. Romain, on montre une de tes sculptures dans laquelle on devine un corps. Ce corps il a une position qui propose une certaine plasticité des êtres et surtout un genre beaucoup plus fluide. 

R.V. : Cette sculpture qui est présentée montre une sorte de corps mutant, transexe, comme une sorte de divinité qui est sa présence dans l’espace, de par mes origines aussi brésilienne il y a un côté très anthropophage dans mon travail avec ces fragments corporels. Dans ce cas précis, c’est un ami à moi danseur qui a été moulé, une empreinte de son corps avec le sexe rentré à l’intérieur des fesses pour donner justement cette ambiguïté, cette étrange forme à la fin qu’on n’est pas habitué justement à voir, ou en tout cas qui n’est pas dans nos codes sociaux dès le début. Je voulais justement mettre en avant cette carcasse, ce fragment de corps, comme une sorte de divinité avec pas mal d’éléments floral, des sortes de bijoux, etc. pour donner un côté précieux à cette personne. Elle danse aussi dans l’espace. L’objectif c’était justement de ramener cette ambiguïté et de confronter ces formes qui ne sont pas du tout liées les unes aux autres. 

C.B. : Cette préciosité se retrouve aussi dans les mains qui viennent ça et là ponctuer l’exposition. 

R.V. : Voilà, les mains viennent donner cette impression de la présence d’une déesse aux membres multiples, que ce soit Ganesh ou d’autres déesses plutôt afro brésiliennes et elles viennent ponctuer l’espace comme des points rouges, et enfin elles ont un aspect très charnel avec le rouge qui les recouvre. J’ai ajouté à ça un aspect précieux – pimpé même je dirais – avec  de l’or mélangé à de la résine, des perles aussi qui font référence à une religion, à un mysticisme, que peuvent avoir ces personnages. 

C.B. : Qui font penser à des sortes de chapelets presque ? 

R.V. : Oui. Et les mains sont celles de Clara qui est une jeune fille qui m’aide en ce moment dans l’atelier. Donc voilà, il y a un corps d’homme et des mains de femme. 

C.B. : C’est la seule nana dans l’expo d’ailleurs ! Rire. À l’inverse de ta sculpture Romain qui est assez imposante dans l’exposition. On découvre une toute petite sculpture de Jean. Qui montre deux petites fesses desquelles s’échappe une perle… 

J.C. : Ca c’est une pièce que j’ai commencé il y a quelques années et qui part de la perle. J’avais acheté la perle en premier en trouvant cet objet extrêmement érotique et j’avais voulu travailler avec un matériau que j’avais découvert en bijouterie qui s’appelle la tagua qui est un ivoire végétal. Je voulais faire un objet qui ressemblait un netsuke, pièces de l’habillement japonais masculin, objets souvent très étranges qui mesurent entre 3 et 7cm et qu’on connaît dans les musées du moins en Occident, posés sur des étagères. Donc j’ai fait un peu le pont entre cette pièce d’habillement et cette perle que je trouvais très érotique. C’est un objet que j’ai réalisé dans l’intention de le perle, c’est un objet que j’ai fait pour moi, pour faire de la nature morte et donc c’est un objet que je voulais à la fois étrange et érotique. Ca fait aussi référence pas seulement à la pièce d’habillement européenne mais aussi à toute l’histoire de la sculpture en ivoire européenne antique, médiévale jusqu’à l’époque moderne au XVIIIe siècle. Ce sont des objets souvent très étonnants et étranges qui mettent assez mal à l’aise. Je pense beaucoup à des pièces que j’ai pu voir au Kunstmuseum à Dresde (Allemagne) on peut voir notamment des ivoires où on peut voir des hommes pauvres représentés en haillons et dont toutes les pièces de l’habillement notamment les boutons sont en diamants. Donc un contraste hyper violent mais qui interroge vraiment sur ce rapport notamment à la Renaissance. Quand on a voulu classer le monde, on a un peu rangé entre naturalisme et  artificialisme. C’étaient un peu les deux premières branches sur lesquelles ont s’est appuyées pour classer le monde avec un projet qui était vraiment en cours. C’est le bordel. On avait pour idée de réussir à “classer le monde” à “le ranger”. C’est tout un travail sur la nature morte dans lequel je me suis lancé. Mais je travaille très lentement. C’est une pièce que j’ai commencée en 2015 et elle n’est pas encore finie. C’est toujours cette idée d’essayer de comprendre le monde. En fait ce qui compte, c’est un peu bête à dire, mais c’est pas d’y arriver mais le chemin qu’il faut prendre pour y parvenir. Donc c’est pas grâce s’y on y parvient pas même après 500 ans.  

C.B. : Il y a une seconde oeuvre qui est assez érotique dans cette exposition Jean mais toujours de manière très subtile et dans un grand silence. C’est une peinture cette fois-ci sur laquelle on voit un jeune homme qui referme sa fermeture éclaire et derrière lui se trouve une fleur, c’est orchidée. Et c’est grâce à cette fleur que la tension sexuelle émerge finalement !

J.C. : Oui je pense que l’orchidée je l’ai peinte presque volontairement ton sur ton, elle est pas évanescente mais elle contraste très peu donc on la voit peu. La peinture mesure 4x7cm donc même pour moi c’est un petit format. Mon idée quand j’ai commencé ce tableau en janvier ou février 2020 c’était de réussir à utiliser la matière première qu’est le lapis-lazuli qui est associé à la vierge Marie au Moyen Age. Il y a toute une histoire associée à cette matière. La manière dont les peintres étaient payés était extrêmement proportionnée aux couleurs qu’on employait, le lapis-lazuli étant même plus cher que l’or. J’aimais bien donc cette valeur symbolique du lapis-lazuli qui est assez compliquée à utiliser. Il faut une dizaine de couches avec trois jours de séchage entre chacune, du coup c’est hyper contraignant comme objet à faire. Après, au niveau de l’iconographie même de mon travail, j’étais pas tout à fait sûr comme tu disais qu’il remonte sa braguette ou qu’il la baisse. 

M.R. : Mais l’idée de l’orchidée est venue avant ou après la posture du modèle ?

J.C. : En fait il y avait un bout d’orchidée dans la photo d’origine. J’ai pris une autre orchidée que j’ai placée à un autre endroit. Ce qui m’intéressait dans l’orchidée c’est que c’est quand même une fleur étrange. Toutes les fleurs sont des sexes. Souvent on désexualise la fleur pour en faire un objet joli. Mais je trouve que l’orchidée ça saute au visage, elle a un côté tellement érotique, et pourtant on la voit toujours dans les endroits les plus improbables et les plus asexualisés, elle a une valeur décorative hyper forte alors que moi je la trouve vraiment drôlement érotique. 

C.B. Merci les garçons d’avoir répondu à mes questions ! Je suis vraiment très très fière de montrer cette exposition à vos côtés. Cher.es auditeurices, si ça vous dit de venir la découvrir il ne va pas falloir traîner. L’expo dure du 2 au 5 juillet 2020 donc elle se termine dès dimanche. C’est donc au Houloc, je vous mettrais toutes les infos en description ! Un grand merci à vous quatre, merci également à David Walters pour le générique. La semaine prochaine je recevrai donc vraiment Apolonia Sokol comme c’était prévu cette semaine. Mais d’ici prenez soin de vous et je vous embrasse. 

REMERCIEMENTS : Un immense merci à Cosima Dellac d’avoir retranscrit cet épisode de PRÉSENT.E

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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