APOLONIA SOKOL

Bonjour à toutes et à tous. J’espère que vous allez bien. Cette semaine je reçois Apolonia Sokol ! 

J’ai découvert Apolonia Sokol sur instagram, dans un premier temps, puis  j’ai pu approfondir davantage grâce à Margaux Luchet qui avait écrit un texte sur ses toiles pour Jeunes Critiques d’art. Apolonia c’est une artiste dont le boulot est intrinsèquement lié à la vie. La sienne évidemment mais aussi celle de toutes celles et ceux qui l’entourent. Mais c’est surtout une femme qui vous donne la niaque, qui vous laisse croire que chacun et chacune d’entre nous peut déplacer des montagnes. Donc je suis excessivement contente qu’elle ait accepté mon invitation pour le 14e épisode de PRÉSENT.E.

Bonjour Apolonia et merci de me recevoir dans ton atelier. 

Tu as une vie incroyable. En lisant diverses interview de toi, j’ai vraiment réalisé que la peinture était quelque chose de vital pour toi et que tu avais vraiment dû te battre pour réussir à l’exercer. Est-ce que tu peux commencer en nous expliquant ton parcours et le chemin que tu as parcouru avant de rentrer aux Beaux Arts de Paris ? 

A.S. : Alors déjà je sais pas si j’ai une vie vraiment incroyable. Je suis d’origine franco-polonaise, j’ai grandi entre autres au Danemark. Avant les Beaux Arts, j’ai toujours pensé que j’étais peintre, j’ai toujours cherché des artistes. Quand j’étais enfant, je faisais des cours du soir avec des modèles vivants, ou je parcourais la ville pour aller dessiner des gens à poils. Quand j’avais 15 ans, je suis partie à Düsseldorf squatter les Beaux Arts en me rapprochant des peintres là bas, c’était une super école qui réunissait des gens qui m’ont passionnée à l’époque et puis plus tard j’ai décidé de venir à Paris pour rejoindre mes petits frères pour m’occuper d’eux. Je suis alors retournée dans le théâtre dans lequel je suis née qu’avait monté mes parents, un théâtre dans un quartier un peu populaire à Château Rouge et c’est comme ça que je suis arrivée aux Beaux Arts de Paris. 

C.B. : Du coup tu as grandi dans un théâtre ? 

A.S. : Entre autres oui. En fait, mes parents ont construit un théâtre quand ils avaient 20 ans, ils n’avaient pas de moyen, ils n’ont jamais eu l’argent pour acheter les lieux. Mais voilà c’était un théâtre de quartier dans le centre de la Goutte d’Or. On avait aussi un bar qui a été repris depuis, comme le théâtre, mais je ne pense pas qu’il soit très actif. 

C.B. : Je pense que ce qui me touche dans ton travail et même dans ta manière d’en parler c’est ta poigne. T’as vraiment une force qui se dégage de toi et cette force tu la prêtes aussi à tes modèles qui sont presque tout le temps des femmes. Ces femmes elles ont beau être enceintes,  racisées, porteuses de cicatrices, tu les représentes toujours sur des grands formats, elles sont méga imposantes. J’ai l’impression de voir une armée prête à répandre partout la sororité. Qui sont ces femmes ? 

A.S. : C’est vrai que ce sont pas toujours toutes des femmes, là par exemple y’a un portrait de Thomas Capdeville qui est un super artiste qui fait des pièces incroyables, d’ailleurs je sais pas si je peux me permettre, mais ce serait bien d’aller voir sa pièce chez Exo Exo. Si tu veux les femmes elles ont toujours été représentées en tant qu’objet de désir dans la peinture, en tant qu’allégorie, pour raconter une mythologie. Moi, je cherche plutôt à montrer des personnes qui ont une identité, donc même si elles sont nues au final sont pas des nus charnels, sexuels qu’on désire mais ce sont plutôt des personnes, c’est peut-être d’ailleurs pour ça qu’elles sont stylisées comme ça et que si je peint un cul il sera pas juteux, plein de cellulite, qu’on aurait envie de le croquer, mais le sujet c’est plus comment elles te regardent frontalement et comment est-ce qu’elles existent en tant que personne. 

C.B. : Oui en plus toutes ces personnes, c’est pas du tout des personnes que tu as imaginé ou que tu trouves sur Internet, c’est des gens avec qui tu vis quasiment au quotidien, qui sont des proches, des personnes que tu admires, etc. 

A.P. : Pour la plupart ce sont des proches, après ce sont aussi des gens que je peux aller chercher si je vois la personne quelque part puis je vais me rapprocher d’elle pour pouvoir la peindre, mais y’a vraiment un truc d’empathie. Tu disais à un moment que je leur donnais ma force, mais je pense que c’est plutôt l’inverse, je me nourris énormément des autres. Après de toute façon les peintres ont toujours peint les gens qui les inspirent, les gens de leur entourage, même si c’est pour exprimer quelque chose d’autre qu’on allégorie ou autre, on a toujours peint ce qui était autour de nous. Je pense que la peinture c’est quelque chose qui ne se fait pas seul.e, que l’art en général ne se fait pas seul.e. Les historiens en témoignent parce qu’ils explorent les correspondances. Bon, nous on lit plus les correspondances, déjà y’a les textos et y’a les mails mais c’est un peu gênant de s’introduire dans l’intimité des gens post-mortem. Néanmoins, certains le font. On sait que la mythologie de l’Artiste de peintre solitaire créant dans son atelier est aujourd’hui complètement erronée. En fait on a toujours travaillé avec les autres, on a toujours eu besoin des autres, des récits des autres, des idées des autres, etc. que ce soit par le biais des références ou par la connexion humaine, on ne devrait pas faire de l’art sans je pense. 

C.B. : On est dans ton atelier et on est à côté d’une toile grand format avec dessus une représentation de 8 femmes que tu connais également et tu me disais qu’elles ont vraiment eu leur mot à dire, qu’elles t’ont expliqué ce qu’elles voulaient voir dans ton tableau. J’ai l’impression qu’il y a vraiment eu un échange pour que naisse cette toile. 

A.S. : Cette toile est assez spéciale. J’ai un petit peu cette relation très intense avec chaque personne que je peins, mais cette toile est différente. Elle fait à peu près 3,5 mètres de long et c’est une reprise du Printemps de Botticelli, tableau qu’on connait tous, tableau ésotérique, mystique. On parlait d’écoféministe, c’est aussi un lien avec ça finalement, c’est un tableau sur la fertilité avec plein de symboles dans le jeu des mains des trois grâces on peut voir le symbole du triangle qui est la chatte. Je pense qu’elles sont toutes un peu enceintes. A l’occasion de l’exposition qu’on va faire au MOCO sur la sorcellerie, la sorcière en tant que personnage de résistance, c’est pas juste la sorcière c’est aussi la magie. J’ai décidé de reprendre cette toile de fertilité avec que des modèles trans, ce ne sont que des femmes trans ou non-binary donc qui sont toutes fertiles au final et extrêmement féminine. On a élaboré le tableau ensemble, notamment avec Simon.e qui est une reine de la nuit qui organisait des soirées à Paris comme à Parkingston qui m’a accueillie chez elle plusieurs fois, c’est une copine qui est aussi une artiste. Pour me montrer qu’elle était sa vie et comment il fallait peindre le tableau. Elle est très engagé dans le milieu de la mode, elle fait de la DA (direction artistique), en train de faire un casting, elle est très engagé dans le tableau, on la retrouve dans plusieurs personnages avec à chaque fois un message différent. C’est limite si je peux pas vraiment peindre sans lui demander son aval, ce qui est absolument génial parce que cette façon de travailler ça me fait penser justement au club, à l’équipe, au sabbat, au rassemblement, au vivre ensemble. 

C.B. : Oui ça se sent c’est une toile où on voit la communauté et les réflexions communes. 

A.S. : Je pense aussi que c’est important de désacraliser ce statut qu’on a de l’artiste peintre qui est un génie qui est jaloux de son génie qui garde tout pour lui. Je pense qu’il est bien plus intéressant d’être sincère dans cette démarche du vivre ensemble. 

C.B. : La première fois que je suis venue chez toi, tu m’as racontée comment tu fonces dans ta vie d’artiste pour obtenir ce que tu désires. Même quand des types pensaient pouvoir te prendre de haut parce qu’ils avaient plus de pognon ou juste parce qu’ils étaient des mecs et que toi tu étais toute jeune. Ben toi, rien à foutre, j’ai l’impression que tu fonces vraiment dans le tas et que contrairement à ce qu’on peut nous réclamer quand on est une jeune femme à savoir rester à sa place, être féminine, sembler toujours sympathique, pas gueuler trop fort, etc. Toi tu balayes du revers de la main toutes ces injonctions, tu bosses comme une malade et tu viens réclamer ton dû sans rougir. 

AS : Oui alors ça peut être très bien comme ça peut être très mauvais. Ça passe ou ça casse. Après je ne peux pas vraiment lutter contre ma nature. C’est vrai que j’ai grandi dans un théâtre donc on s’exprime toujours, et j’avais énormément de grands personnages à côté de moi quand j’étais petite, c’était aussi un théâtre de quartier donc c’était pas qu’il fallait pas se faire marcher dessus, mais c’était toujours un lieu d’accueil pour d’énormes personnalités. C’est aussi du fait que je ne viens pas du tout de l’argent. Le milieu de l’art est quand même un milieu privilégié qui est un milieu d’élite. Il y a bien évidemment d’argent dans le milieu de l’art. Les artistes produisent énormément de corps de métiers. Mais c’est aussi un milieu où on peut avoir une ascension sociale. Moi je fais partie de ces gens qui n’avaient pas de sous pour commencer et donc effectivement j’avais rien d’autre comme arme que ma personnalité. 

C.B. : Pourtant, malgré cette force qui se dégage de ta personne, je lisais que ton moteur premier pour peindre c’était le désespoir.

A.S. : Ah bah ça c’est parce que tu l’as lu dans un article à un moment où j’étais peut être triste et désespérée. C’est un peu spécial comme sujet, à mon avis on fait de l’art parce qu’on a des choses à dire et sans doute que j’ai eu des situations désespérées dans ma vie. La peinture à l’huile c’est quand même très difficile, c’est extrêmement technique, il faut s’acharner, puis c’est un truc qui vient du ventre, c’est un appel qui vient de l’intérieur, c’est carnassier. Après je ne sais pas quoi te dire sur le désespoir. 

C.B. : En tout cas, on sent vraiment que tu peins avec tes tripes, quelque chose de l’engagement physique, intellectuel ou sentimental. 

A.S. : Oui. Aussi, la peinture c’est un médium qui est extrêmement capricieux, et on est toujours à la recherche de plus de temps et de plus de moyens pour pouvoir continuer à peindre. Si tu veux, nous on avait vraiment rien au début. J’étais encore aux Beaux Arts quand j’ai décidé que la seule solution économique à notre situation familiale ça allait être la peinture, c’était peut-être ça ce désespoir c’est-à-dire que j’ai commencé en prenant les choses à l’envers. J’avais pas d’appartement mais je commençais déjà à vendre mes tableaux. C’est peut-être ça aussi cette énergie là. Je ne sais pas. 

C.B. : T’es très active sur les réseaux sociaux. Et je suis pas sûre que ce soit absolument anecdotique. Dans le texte de Margaux Luchet dont je parlais en introduction elle fait un parallèle entre ton instagram et le tableau de Gustave Courbet qui s’appelle L’Atelier du peintre dans lequel  il se représente en train de peindre. Et toi, t’as aussi instauré un jeu assez similaire. Où tu te présentes — où tu te donnes en représentation même — dans ton atelier au milieu de tes toiles. 

A.S. : Alors mon Instagram, il y a plein de gens en France qui m’ont parlé parce que je pense qu’on s’est mis très très tard sur Instagram. Je pense que cette façon de faire un parallèle avec ce tableau de Courbet, c’est peut-être la plus jolie façon d’en parler. Je ne porte pas énormément d’importance à mon Instagram, c’est un jeu de notre époque, je suis quelqu’un d’actuel donc j’ai un compte Instagram et je m’amuse à me mettre en scène dessus, comme plein d’autres gens. Après, je pense que pour pas mal de jeunes peintres en devenir, il y a eu un moment ça a dû être aussi inspirant de voir comment ça se passe la vie d’artiste peintre. Je sais pas, on est dans une autopromotion constante aussi. 

C.B. : J’ai pas cette sensation là avec ton Insta. Tous les artistes ont un Insta pour mettre leurs toiles ou leurs dernières expos, c’est une espèce de book en ligne, mais toi c’est différent. Dans toutes tes photos on te voit hyper forte devant tes peintures, on te voit en tant que peintre, et je trouve ça super important parce que ça permet aussi à d’autres jeunes hommes et femmes de se projeter. 

A.S. : Alors en fait j’ai actuellement 32 ans et quand j’ai commencé les Beaux Arts de Lyon quand j’avais 19 ans et à cette époque là on disait encore que la peinture était morte. On dit ça depuis la deuxième guerre mondiale et on a atteint un pic dans les années 1990, mais je sais que les générations avant moi ont énormément souffert de ça. Moi je l’ai un petit peu vécu quand j’étais aux Beaux Arts de Lyon on m’a forcée à faire des installations mais du coup je me suis retrouvée à faire des trucs ridicules du type une install avec un chauffage électrique et une bougie. J’étais extrêmement malheureuse, je me suis cassée en milieu d’année. C’est une école avec un système d’écrémage. On me disait qu’il ne fallait pas peindre et après plus tard comme j’ai parfois des assistantes qui sont des jeunes filles qui veulent apprendre le métier, notamment une qui est aux Beaux Arts de Cergy maintenant, c’est une super peintre. Et cette nana me racontait que lorsqu’elle était aux Beaux Arts de Lyon elle avait carrément deux books différents. La journée elle faisait un taff pour l’institution pour pas se faire virer de l’école, et la nuit elle peignait. Son book officiel c’était un travail sur la philosophie et je sais pas quoi et en fait c’est quelqu’un qui peint des gens et des situations avec des gens. Il y avait une telle haine des peintres, bon la France c’est peut-être le seul pays qui haïssait ses peintres comme ça, mais alors encore plus par rapport à la figuration. Peut-être du coup que si j’ai eu besoin d’arriver avec mes gros sabots pour montrer que j’existais en tant que peintre figurative, faire des articles à la con dans Vice par exemple, bah on le fait, c’était peut-être ça aussi le désespoir. Finalement ça a marché, et je dis pas que je suis la seule peintre figurative et que j’ai été précurseur, mais on est quelques uns a bien fonctionné, genre Jean Claracq, Simon Martin, etc. et d’autres jeunes artistes des Beaux Arts qui osent faire des portraits. 

C.B. : Deux épisodes avant toi, je recevais Cécilia Granara qui avait exactement les mêmes dire que toi. Elle a dû faire de l’installation avant alors qu’elle se sentait peintre. Je vois aussi ça comme une manière de montrer que tu es là. Que t’as le droit d’être là. D’ailleurs tu prends aussi pas mal la parole sur des questions politiques et notamment sur l’exclusion des femmes peintres dans l’histoire. Grâce à toi, j’ai notamment découvert l’histoire d’Artemisia Gentileschi que je ne connaissais pas. 

A.S. : Les femmes ont toujours été présentes. Il y a eu des moments où on leur a interdit l’accès à l’Académie mais elles ont toujours été présentes dans l’art. C’est peut-être notre société moderne qui exclut le plus les femmes. L’histoire est écrite non pas par les vainqueurs mais par les philosophes actuels du moment. Artemisia sa vie commence par un drame, c’est la fille d’un très grand peintre, elle veut faire de la peinture, elle est modèle de son père, il l’emmène chez un confrère pour qu’il lui apprenne à peindre et son confrère la viole et elle rentre à la maison en sang. Finalement, le confrère refuse de l’épouser pour réparation, bon déjà c’est horrible d’être épousée pour réparation… Du coup ce procès qui va être retranscrit va faire scandale, tout le monde va en parler, la pauvre gamine va être torturer, on va inventer une technique de torture spécialement pour elle où on va lui broyer les mains avec un système de corde qui passe entre les doigts. Comme elle vient d’une grande famille et que ses parents la soutiennent, ils vont lui soigner les mains et réussira à peindre à nouveau. Va devenir une peintre parmi les plus importantes de son époque, elle sera peintre à la cour, puis partira pour Rome, Florence, va avoir des enfants tout en ayant cette carrière absolument phénoménal. Et après sa mort, elle va disparaître pendant 500 ans ! C’est quand même fou ! C’est pas juste si elle était plus en vogue pendant 20 ou 30 ans parce que la mode avait changé… non 500 ans ! 

Bon son personnage est fascinant avec son histoire scandaleuse et son ascension en tant que peintre, mais en fait c’est surtout ses tableaux qui sont incroyables. Elle va réinterpréter des classiques d’histoire de l’art que tout le monde représente à l’époque. Par exemple l’iconographie de la Suzanne au bain. Un classique parce que c’est extrêmement sexi de peindre cette femme pleine de vertue, une femme bien, mais qui aime aller se baigner dans la foret une fois par semaine. Ca c’est sexi à peindre, les hommes adore peindre une femme à poils dans la fôret, c’est très érotique. Elle se fait attraper par deux notables, aujourd’hui on dit vieillards, c’était des avocats, et qui lui demandent de coucher avec eux ou sinon ils rentrent au village où ils la condamneront de femme adultère et sera condamnée à mort.  Elle refuse de coucher avec eux. C’est une martyre, elle est condamnée à mort. Il s’avère que durant le procès, les notables se trompent d’essence d’arbre, donc finalement elle est sauvée de cette erreur. Artemisia, elle, choisit de ne pas peindre la belle dans la forêt en train de se laver avec les deux mecs qui sont excités du fait de la regarder. Elle va la peindre contre un mur avec le corps en mouvement. C’est vraiment d’un point de vue féminin. Tu la vois prisonnière contre le mur avec les deux mecs au-dessus. C’est vraiment la scène d’un viol par le point de vue de la femme. 

C.B. : Oui en soit la scène n’a pas été romancée avec une espèce de tension sexuelle sous-entendu que finalement elle aimerait bien. D’où la nécessité aussi d’avoir des femmes qui peignent et qui sont artistes. Là par exemple, on parlait de ta peinture avec justement ces 8 femmes trans et en fait tu as réussi à te poser des questions et à coller à ce qu’elles souhaitaient pour ta peinture, et c’est pas toujours le cas lorsque c’est un homme cis qui va s’en charger. D’où la nécessité aussi de changer de point de vue et d’avoir d’autres sons de cloche. 

A.S. : Je tiens énormément à ce tableau Le Printemps, parce que ce sont des gens qui ne sont pas représentés dans la peinture. En même temps dans nos images, notre langage des images, les personnes trans sont représentées en tant que des femmes impures, des putes, des sorcières. Ce sont des gens qui sont extrêmement stigmatisés, même par leurs sœurs féministes. Quand on pense que le mouvement des TERF à passer des messages de haine, en comparant le fait d’être une femme trans à un blackface. D’où l’intérêt de les représenter en tant que reines. 

C.B. : Comme les personnes racisées, tu prends aussi le temps vraiment d’offrir des représentations seines avec des corps qui sont forts, “empouvoirés”. moi ta peinture me fait du bien, je me sens plus puissante, puis entourée. Il y a vraiment une sororité qui se dégage de tes peintures. 

A.S. : En ce qui concerne les personnes racisées, c’est un mot qu’on utilise maintenant parce que c’est ce terme qu’on a trouvé. “Racisés” c’est les gens qui subissent le racisme. Le fait d’être d’origine polonaise, d’avoir grandi à Châteaurouge et au Danemark pays qui est passé de l’extrême gauche à l’extrême droite en 30 ans, quand j’étais enfant c’était l’extrême gauche puis après l’extrême droite à tel point que avec ma mère on a du partir parce que ma mère polonaise ne pouvait rien d’autre que femme de ménage le soir dans un hôtel. C’était ça. On parle de la Scandinavie comme d’un pays modèle, mais pour certaines personnes, certainement pas pour tout le monde. Moi j’ai peint les personnes que je connaissais. C’est important de portraiturer des gens qui n’ont pas accès à un statut égalitaire. On la vu avec l’exposition Modèle Noir au musée d’Orsay, ils représentent  le diable ou un esclave, alors que ce sont des gens avec qui on vit en Europe depuis toujours même avant la traite négrière, le colonialisme, etc. On est le fruit de mélange de culture. 

C.B. : Je ne sais pas si tu es au courant mais à la fin de chaque épisode de ce podcast je pose une question qui est la même pour tout le monde : Est-ce que tu réussis à vivre de ton travail ?

A.S. : Oui ! Enfin ! Je dis ça avec un grand sourire et je veux pas avoir honte de le dire. J’ai pas honte de l’argent parce que justement je ne suis pas née avec lui. Je suis extrêmement heureuse du fait que j’arrive à vivre de mon art. Et j’y arrive d’ailleurs parce que je travaille uniquement avec une personne qui me respecte, qui est une jeune femme qui a ouvert sa galerie il y a 4 ans maitenant, ça s’appelle The Pills, basée à Istanbul, qui est franco-turc-albanaise. Ça fait vraiment du bien justement de gagner de l’argent dans ce contexte là où on est en train de construire un projet ensemble, de gérer une économie de cette façon là. Ça fait sens en fait. 

C.B. : J’ai l’impression que tu es écoutée. Tu m’avais déjà parlé de cette jeune femme, et tu en parles avec tellement d’enthousiasme ça fait du bien. 


A.S. : Je suis tellement heureuse parce que au début quand on est artiste on est dans un milieu de gredins, tout le monde essaie de spéculer sur notre art, plein de galeries essaient de nous voler, beaucoup d’hommes… moi ça m’est déjà arrivée qu’après qu’un galeriste ait vendu une de mes toiles en prévente, et quand je demande à être payée, il m’envoie des smileys face en pleurnichant en retour. On a beaucoup de doutes, on sait pas avec qui bosser, ça fait peur ce milieu, c’est un milieu de spéculation terrible. Y’a plus de limites pour la spéculation dans l’art. Nous, les artistes, on génère plein de boulots pour tout le monde, et on est les derniers payés et on est toujours maltraités. On est des guignols. Si j’ai un conseil à donner à qui que ce soit qui se lance dans cette aventure magnifique qui est celle de faire de l’art qui sauve l’humanité d’une certaine façon, c’est de ne pas être contre le marché mais finalement de trouver des bonnes personnes pour les accompagner et d’être conscient de où est ce qu’on génère de l’argent, avec qui, pourquoi et comment. Ca devient finalement politique, quelque chose d’empowerment, et c’est ce qui se passe avec la galerie The Pills, c’est formidable. 


C.B. : Merci Apolonia d’avoir accepté mon invitation et d’avoir pris le temps de me recevoir dans ton atelier. C’était le treizième épisode de PRÉSENT.E. Merci de l’avoir écouté n’hésitez pas à poursuivre les débats avec moi sur les réseaux, ça me fait toujours très plaisir. Un grand merci également à David Walters pour le générique. Prenez soin de vous et je vous embrasse.

REMERCIEMENTS : Un immense merci à Cosima Dellac d’avoir retranscrit cet épisode de PRÉSENT.E

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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