LAURA GOZLAN

Bonjour à toutes et à tous. J’espère que vous allez bien. Cette semaine je reçois Laura Gozlan ! 

À la rentrée 2019, Valeria Cetraro m’a invitée à découvrir l’exposition qu’elle présentait dans son espace de la rue Caffarelli. Je m’y suis rendue et j’ai tout de suite été interpellée parce que je voyais. J’avais pénétré dans un drôle d’univers. Dans celui-ci rien ne me semblait vraiment évident. Il y avait de fluides rideaux jaunes pâles qui créaient une atmosphère contradictoire entre le boudoir et la clinique spécialisée en chirurgie esthétique et puis un son qui ajoutait à la pesanteur de l’espace : c’étaient des boucles lancinantes et une voix très grave que l’on devinait vocodée. Là bas, j’ai fait la connaissance de MUM, une espèce de bourgeoise déjantée obsédée par son envie de rester jeune. Se défoncer à la momie était la cure de jouvence de cette sorcière totalement barrée, en somme un étonnant personnage dont je souhaitais discuter aujourd’hui avec sa créatrice Laura Gozlan. Je suis donc ravie de la recevoir pour le neuvième épisode de PRÉSENT.E. 

Bonjour Laura, comment vas-tu ? 

MUM, cette femme que j’ai décrit succinctement, et qui apparaît dans tes dernières vidéos, j’ai pris énormément de temps à savoir ce que je pensais d’elle. En fait, je ne savais pas trop si je la trouvais trop cool ou à l’inverse totalement pathétique. Est-ce qu’il faut l’aimer ou pas ? Ou en tout cas, qu’est ce que toi tu ressens pour elle ? 

L.G. : Je pense qu’il faut l’aimer sans condition. Rire. En vrai, je dirais que MUM c’est plutôt un véhicule qui cherche à transférer à la fois des idées et des affectes. On n’a pas tout à fait un rapport de symbiose, mais l’idée du personnage c’était aussi de jouer sur les codes des méchant.es, des anti-héros.ïnes. De manière générale je pense ce qui caractérise les méchantes dans le cinéma industriel, c’est que ce sont souvent des femmes plutôt fortes, des femmes menaçantes en tout cas des femmes qui représentent un danger – pour le patriarcat évidemment ou un danger tout court – et qui d’une certaine manière sont peut-être un peu plus émancipées. Je trouve que ça génère des personnages aussi qui me semblent un peu plus “épais”, un peu plus intéressants, auxquels on s’identifie un peu moins facilement. Mais justement du fait que ces personnages cherchent souvent à plaire de prime abord, il y a souvent quelque chose de l’ordre du dégoût à surmonter qui parait, je pense, plus intéressant en termes de progression et d’appréhension du personnage pour le spectateur. 

C.B. : Je disais que MUM cherchait de manière obsessionnelle à rajeunir et ce qui est drôle c’est qu’elle aurait simplement pu se mettre de la crème sur la tronche comme le font les trois quart des femmes mais ce n’est pas son cas. MUM elle se défonce à la momie. Elle se drogue. Et encore une fois pas juste en fumant un truc qui ressemblerait à une clope ou à un bedo. Elle consomme sa momie via une pipe qui est en fait un pissoire féminin. Et comble de l’obscénité ce pissoire prend des airs de vagins avec des espèces de lèvres en silicone qui viennent faire ventouse sur le visage de MUM. Elle n’hésite pas non plus à lécher, à sucer, à se frotter contre les membres de la momie. C’est excessivement obscène.

L.G. : Je me réjouis que tu aies trouvé ça obscène, c’était un peu le but. Du côté de tout ce qui concerne les cures de ralentissement du vieillissement, s’enduire la face de crème, ect. il y a toujours quelque chose de plus ou moins profond qui participe d’une sorte de rituel où on va chercher effectivement du côté de codes plus ancestraux, de prolongation de la vie, du côté de l’alchimie ou ailleurs. Et évidemment je pense que l’obscénité fait que ça fait passer le personnage un peu plus du côté de l’abjecte, c’est hyper important et intéressant. Barbara Creed par exemple parle dans “The Monstrus feminin” de cet espèce d’archétype qui a été un peu constitué et écrit en quelque sorte par le cinéma d’horreur industriel, qui est un peu le reflet du patriarcat, qui projette en tout cas une image du corps de la femme qui est une image dégueulasse, abjecte, etc. du fait notamment qu’elle a un appareil reproductif, qu’elle a une sexualité, et que tous ces éléments vont aller mettre en danger un petit peu, tout ce qui est de l’ordre de la loi symbolique patriarcale. Et après effectivement, je développe en ce moment un projet sur la magie sexuelle et c’est une idée qui m’intéresse depuis longtemps. L’idée c’était d’appliquer ça à la sexualité féminine et surtout à la masturbation féminine qui est un sujet que je trouve passionnant et sous-traité à plein d’endroits. L’idée de la magie sexuelle trouve son origine dans le tantrisme, qui est un mot dérivé de tantra qui a été réapproprié en Occident au XIXe siècle. L’idée c’est de faire diffracter les énergies sexuelles pour faire advenir des désirs, quels qu’ils soient. Donc ça participe à une réalisation magique du désir via la sexualité, les formes codifiées, les choses comme ça. Voilà, donc le personnage de MUM proviendra pour essayer en quelque sorte de produire des phénomènes et aussi de se reproduire par autogenèse. Ce qui est aussi un autre fantasme et un autre pan de l’archétype de la femme du féminin monstrueux, qui se rattache un peu à l’image de la femme archaïque, qui s’autogénère, qui s’autoengendre. 

C.B. : Et aussi par rapport à la question de la sexualité, y’a un double jeu dans le sens où aujourd’hui dans toute la mouvance féministe, on se rend vraiment compte que toute la part privée est hyper fondamentale et que toute la liberté qu’on réussira à prendre dans notre sexualité justement, dans le fait de se masturber par exemple, c’est aussi une prise de pouvoir qui aura un impact sur la sphère publique. 

L.G. : Je pense que l’idée c’est de présenter la masturbation féminine sous la forme d’une technologie d’empowerment, j’aime bien l’idée aussi qu’on parle de technologie. On peut considérer aussi à plein d’égards le rituel, le storytelling, les narrations en quelques sortes comme des formes de technologie culturelle. Je trouve que c’est intéressant car je pense qu’il y a dans mon travail un rapport spéculaire entre la technologie, l’ésotérisme et la magie. C’est à dire que c’est des cosmogonies qui sont un peu spécifiques mais qui vont avoir des imaginaires tout à fait différents en ce qui concerne le vivant et qui vont rechercher aussi des formes de puissances. 

C.B. : Y’a un truc qui m’avait marquée lors de notre premier rendez-vous. C’est que moi je prenais cette itw comme une rencontre hyper sérieuse durant laquelle on allait parler de féminisme, de patriarcat, de capitalisme, etc. Et je pense que cela m’avait aussi détournée d’un truc qui aujourd’hui me semble hyper important dans ton travail, c’est l’humour. C’est que toute cette obscénité elle en devient drôle quoi, et c’est ce que tu disais au début. Ton personnage fonctionne quand il te fait à nouveau marrer. 

L.G. : Ouais c’est devenu le cas depuis quelque temps, mais c’est vraiment la chose qui m’est le plus cher dans mon travail. Évidemment aussi l’humour je pense que ça rejoue d’autres liens que ceux simplement de prescription, que des liens simplement liés à l’autre à l’altérité du côté de la tendresse, de l’amitié, de l’amour, de l’empathie aussi. Je pense que l’idée de l’humour grotesque c’est que à la fois l’horreur et l’humour s’aggravent mutuellement, c’est-à-dire que les choses sont jamais aussi drôles que quand elles sont horribles, et jamais aussi horribles que quand elles sont drôles il me semble. C’est un registre aussi qui m’est cher, c’est-à-dire que ce sont des formes qui sont pas du tout des formes sublimes, que ce soit le comique, etc. Après je me suis nourri aussi de personnages qui venaient de films aussi variés que “Sérial Mum” de John Waters, ou “What Ever Happened to Baby Jane?” de Robert Aldrich où on a des personnages de femmes psychopathes, qui sont des personnages de femme au foyer dans le cas de “Sérial Mum”, mais qui sont aussi des sortes de déesses matriarcales, dangereuses, puissantes et drôles, et qui renouvèlent finalement des modèles féminins qui sont certes extrêmement potaches mais je trouve qui les renouvèlent un peu puissamment. Alors après du côté de “Whatever happened to baby Jane” on est face à deux portraits de femmes qui sont pas tout à fait antagonistes mais à la fois dangereuses, à la fois malveillantes, à la fois extrêmement drôles et extrêmement touchantes aussi. J’aime bien cette complexité. J’ai l’impression que ça ajoute un peu d’épaisseur aux personnages qui sont hélas trop souvent enfermées dans figures archétypales. 

C.B. : En fait avec l’humour tu arrives à créer une sorte d’altérité et en même temps c’est une sorte de bras d’honneur aussi. Enfin je sais pas tu m’arrêtes si je dis une ânerie hein mais j’ai l’impression que la personne qui rit est aussi douée d’une force incroyable tu vois.  

L.G. : Ouais je pense en tout cas ça me paraît être le moindre geste, pas de générosité, mais j’ai l’impression que s’il faut engager quelque chose avec la spectatrice ou le spectateur, on peut commencer par ça en tout cas, on est sur un terrain commun et à partir de ça, on peut commencer à parler de choses peut être plus épaisses, plus développées, plus complexes. En tout cas il me semble que c’est à ce moment-là qu’on peut commencer à entretenir un dialogue. 

C.B. : Sache que ça fiche la pression de te recevoir, parce que tu as plein de fan qui en général sont des jeunes nanas, des jeunes artistes qui ont beaucoup d’admiration pour ce que tu fais. Et je pense que c’est aussi dû à la part performative de ton travail. Ce que j’ai pas dit depuis le début c’est que ce personnage MUM, c’est toi qui l’interprète. Tu te grimes, tu te joues de cette obscénité dont on parlait et je pense que ça fait du bien aussi de voir une artiste qui plus est une femme, qu’en a rien à foutre et qui y va. Et je pense que ça ouvre en fait beaucoup de portes. 

L.G. : Je pense qu’il y a aussi quelque chose qui est liée aux pièces peut-être antérieures à MUM où le fait de travailler sur des archives qui m’appartenaient pas, qui étaient des archives scientifiques, filmiques, films de genres pour la plupart, ou des archives anonymes qu’on pouvait trouver sur internet. Tout ça faisait entrer aussi quelque chose de l’ordre de l’altérité et peut être ces montages témoignaient en quelque sorte d’un affecte collectif. C’est peut être pour ça aussi que bon voilà à un moment donné ces pièces ont parlé davantage à de jeunes artistes qu’à des artistes de ma génération, je ne sais pas. Et tant mieux si MUM réussit à gagner un peu la sympathie d’un public. Rire. Ce qui me semble c’est que le fait d’interpréter les choses soi-même, même si y’a une part de naturelle et une part de jeu aussi, parce que on n’est pas loin des jeux de l’enfance aussi, y’a quelque chose où on s’engage. Moi j’aimais pas forcément l’idée de déléguer ce rôle à une interprète, parce que je me rends compte de la complexité qu’il y a dans le travail d’interprétation et dans le travail de direction d’artistes et d’acteurs. C’est quelque chose que j’ai un petit peu pratiqué et c’est extrêmement glissant comme terrain. Il me semblait que c’était plus intéressant d’éprouver les choses avec mon propre corps. C’est mon corps qui devient un peu le véhicule de ce film. Le fait aussi que je réactive des pièces, des sculptures ou des objets qui existaient déjà dans ma pratique, ça faisait sens en tout cas, que ce soit moi qui les manipule, en tant que mère des objets. D’ailleurs le personnage s’appelle MUM, c’est une sorte d’entité comme ça qui passe à la fois par je sais pas la figure maternelle, abusive, peut-être un peu psychopathe. 

C.B. : Ce que je trouve fou dans ton travail c’est qu’il est amoral. Pas immoral hein ! Mais amoral, dans le sens où tu nous imposes aucun jugement moral. On ne sait pas si tu adoubes ce que fait MUM, si tu trouves ça ridicule ou au contraire si c’est ce que tu fais toi-même dans la “vraie vie”. Et c’est super fort parce que moi en tant que spectatrice au-delà même de ne pas avoir la sensation qu’on m’impose de penser telle ou telle chose, je suis paumée. Je ne sais pas quoi ressentir. Et là ça laisse énormément de place à la réflexion. 

L.G. : Je sais pas si je l’adoube, mais en tout cas effectivement c’est un personnage qui est assez proche de ce que je suis par certains côtés. L’idée de rester dans le gris – enfin c’est pas tout à fait dans le gris mais on n’est ni tout à fait dans le blanc ni tout à fait dans le noir – on est quand même dans des zones qui sont des zones de marge et le personnage est un personnage de marge en quelque sorte. Et j’ai l’impression que c’est les endroits qui sont plus complexes et qui reflètent davantage ce lieu où on se trouve actuellement. On est pris entre différents mouvements chaotiques dans une période d’instabilité politique dégueulasse donc en quelque sorte, l’idée de ces pièces c’est pas non plus d’émettre un jugement moral parce qu’il est quand même question de projet post-humaniste qui soulève des questions d’ordre éthique, qui sont assez inextricables. D’un côté je pense que ce qui m’intéresse dans ces projets c’est que potentiellement il y a quand même quelque chose qui va essayer de renouveler- bon c’est le cas depuis l’après guerre – la pensée humaniste telle qu’on l’a héritée de la Renaissance. Y’a différentes conjonctions, que ce soit du côté du cybernétisme, y’a une relecture un peu des binarités masculin/féminin, du côté de la science, etc. Ce qui m’intéresse aussi  c’est ce projet post-humain en quelque sorte on pourrait voir des liens forts avec le projet initial du cosmisme russe, proposé au tournant du XIXe et du XXe siècle par Nikolaï Fiodorov qui était une pensée plutôt ésotérique qui a été récupérée au moment de la première révolution russe qui s’est un peu développée dans les années 20/30, et qui propose une idée que je trouve assez fascinante, à savoir qu’il faut vaincre la mort au même titre qu’il faut vaincre la maladie dans une optique de progrès social. Evidemment l’ultime but de ce progrès, d’ailleurs le projet s’intitulait “The common task était de réveiller les morts de toutes générations confondues, de les installer dans des sortes de musées à travers l’espace. C’est de là aussi qu’est venue l’idée de la conquête spatiale russe. Après évidemment, le post-humanisme oui, c’est quelque chose de très confus, c’est une sorte de nihilisme, mais ce qui est sûr c’est financé à une échelle quasiment industrielle avec une idéologie extrêmement ultra libérale – si je puis me permettre – qui sous-tend certains de ces projets. Mais je trouve que ces projets sont d’un autre côté aussi fascinants et pour avoir relu un peu en tant de confinement des bouquins de Greg Egan, qui est un auteur de science fiction dure, qui va vraiment se plonger dans les détails les plus obscènes de ce qui pourraient être les possibles développements à la fois de la superintelligence, bon pas que, mais en tout cas des projections relatifs ou post-humanistes. Il y a quelque chose d’extrêmement vertigineux, qui paraît aussi d’egon and life, et qui fait penser que si on trouvait un moyen de tordre ces idéologies, de tordre ces technologies pour les appliquer à une sorte de bien commun ou à une forme de progrès social, c’est a dire, pas du tout aux objectifs qui lui sont donnés actuellement, peut être qu’on pourrait en faire quelque chose de vraiment intéressant. Mais l’idée en tout cas de ces vidéos – pardonne moi si je m’étale là dessus – c’est de pas porter de jugement immédiat. 

C.B. : C’est ça qui est intéressant aussi, c’est que quelque soit le prisme, tes vidéos elles sont extrêmement complexes dans le sens où elles font appel à beaucoup de références, y’a pas juste un unique sujet que tu viens traiter. Par exemple moi je me suis posée plein de questions par rapport à cette immoralité, et sur ma propre vision de la femme par exemple. Au début, quand je disais que je savais pas trop ce que je ressentais pour MUM, bah c’était un peu ça, d’un côté je la trouvais ridicule parce qu’elle courrait vers sa jeunesse, et je me disais “bon ça va oui tu vas avoir des cheveux blancs, tu vas avoir des rides, bah c’est comme ça tu vois”. Et comme j’ai tendance à mépriser les nanas qui se font refaire le visage machin et tout et en fait je me suis dit mais est-ce que je suis pas moi même en train de recréer des oppressions et de leur imposer une certaine vision du corps de la femme en fait. Du coup, comme j’ai pas le droit d’interdire à une personne qui va porter le voile ou de la mépriser, au même titre que j’ai pas le droit de mépriser une personne qui veut se refaire faire le visage. Parce que je considère que la femme ne doit pas être comme ça ou comme ça. En fait, tu m’as permise de re réfléchir à tout ça et de le ré envisager aussi. De me remettre face à ma propre vision du monde. 

L.G. : Oui je pense qu’il y a en tout cas quelque chose qui est, plus que de l’ordre du ridicule, de l’ordre du grotesque et de la bouffonnerie, et ça aussi ce sont des éléments qui ont un potentiel de contestation. Après la question du féminisme intersectionnel… évidemment moi c’est le féminisme qui m’intéresse et je trouve que évidemment il y a des diktats extrêmement pesants qui sont imposés à la gente féminine, il y a différents types de réponses qui sont apportés, mais j’essaie aussi de m’extraire de ces endroit de jugement potentiel pour voir ça aussi dans une sorte de phénomène qui m’englobe mais d’essayer de prendre un petit peu de distance vis a vis de ça, et d’essayer justement moi-même de ne pas être dans le jugement. Parce que d’une certaine manière, tout ça est assez passionnant, on n’a pas besoin en plus d’ajouter un appareil moral je pense pour se faire une idée de ce que c’est. Encore une fois je pense qu’on est toujours situé à un endroit qui fait qu’on a qu’une connaissance extrêmement partiel de ce que ressent l’autre, des problématiques face auxquelles ils sont confrontés. 

C.B. :Cette question de la moralité dans ton travail elle arrive forcément parce que tu t’amuses à entrecroiser à la fois des récits dystopiques liés au transhumanisme, tu fais aussi beaucoup appel à la Science fiction et à un cinéma plus expérimental notamment en empruntant beaucoup au giallo aussi, qui est un sous genre du cinéma italien qui mêle le thriller, l’érotisme, l’épouvante, etc. Tout ce que je viens d’énumérer on peut le placer du côté de la fiction. Et pourtant ! Tu emploies toute cette esthétique pour parler de thématiques très concrètes qui sont pas si futuristes que ça à savoir la course vers la jeunesse éternelle, mais aussi les Zombie drugs qui existent très concrètement aussi. Enfin il y a un jeu hyper troublant entre le réel et l’imaginaire. Et du coup on ose plus trop se moquer de tes personnages parce que finalement c’est peut-être un peu ce qu’on est devenu. 

L.G. : J’ai oublié de le dire, mais effectivement, c’est des vidéos très courtes, c’est des micro-fictions, elles font chacune 5 minutes, il y en a trois. Il y a effectivement des éléments dans la voix off, mais qui sont quand même relativement discrets, et puis y’a l’image de départ de la première vidéo qui nous montre une pétition qui nous proposait d’extraire du jus de momie pour en faire une boisson carbonatée, la consommer et mourir enfin. Donc cette image existe vraiment, j’aime bien utiliser des images d’archives. Pendant longtemps, j’ai piller des œuvres de giallo, enfin des œuvres de Lucio Fulci  qui est un énorme formaliste, une espèce de virtuose de la mise en image. C’est des films d’exploitation donc effectivement, le scénario, le story telling, c’est quelque chose qui est vraiment rencardé, derrière je pense une mise en image et un langage formel qui est extrêmement expérimental. Ce qui m’intéressait aussi particulièrement dans le cinéma de Fulci c’est qu’il y a à son insu qui se dégage et qui témoigne un peu du contexte idéologique des années de plomb. Je fais plus souvent de footage, j’en faisais y’a deux trois ans, mais ce qui m’intéresse aussi dans ces oeuvres cinématographiques, c’est qu’il y a forcément une part de réel qui s’immisce à l’intérieur et on sait à quel point le réel et la fiction s’aggravent l’un et l’autre. C’est a dire qu’on peut trouver quelque chose de beaucoup plus vertigineux dans le réel et la fiction peut nous paraître beaucoup plus familière que le réel ne peut l’être parfois. Il me semble encore une fois que dans le principe du found footage, ce qui m’intéressait c’était qu’on perd un petit peu l’origine, la destination des œuvres dont on se sert, sans pour autant perdre le contexte idéologique et c’est un  petit peu le plus. Qu’est-ce qui est laissé dans ces images qui n’est pas là à dessin, qu’est-ce qui trahit les productions quand c’est le cas dans le cinéma industriel parce que ça devient un document en plus d’être une œuvre de fiction. Ensuite je trouve que y’a non seulement des sortes de raccourcis qui se créent, en tout cas une porosité entre les seuils de fiction, les seuils de réel, enfin quelque chose qui va s’épancher dans l’un ou dans l’autre. Et aussi cette question de la science fiction notamment, y’a cette notion de futurité, d’une forme de futur qui va s’attarder dans le présent, qui est palpable dans un certain cinéma de science fiction et qu’on peut retrouver aussi un petit peu dans l’idéologie, qui est encore sous-jacente dans certains documentaires scientifiques. J’essaie de créer des zig zag au sein de la temporalité des différentes pièces que je montais à l’époque. Des zig zag et des sortes de raccourcis qui vont mettre à jour quelque chose qui est plus de l’ordre d’archétypes ou de mythes techniques ou de fantasmes, qui se cachent un petit peu derrière toute la question de la technologie et des sciences. Encore une fois moi ce qui m’intéresse c’est le rapport spéculaire de l’ésotérisme, de l’occultisme et de la chose scientifique ou technologique. Voilà. 

C.B. : Effectivement il y a beaucoup de références dans ton travail, de toute manière je mettrai les liens en description sur les différentes plateformes. J’ai regardé parce que je connaissais pas du tout les gialli, et Lucio Fulci, et c’était incroyable ! Je vous invite à aller voir ce qu’il en est ! Bon et maintenant ma dernière question Laura ! Comme d’habitude ! Est-ce que tu réussis à vivre de ton travail ? 

L.G. : EH bien j’en vis mal, comme pas mal d’artistes et la situation est que ce qui est terrible en ce moment c’est qu’on risque d’assister, pas au plongeons, mais à la re précarisation de tout un milieu, et ça c’est absolument désolant. On est déjà assez précaires… Je souhaite ardemment que les choses changent, mais je pense qu’il va falloir procéder à des changements politiques radicaux pour que ce soit le cas. En tout cas, oui moi j’ai la chance d’avoir une galerie donc d’un certain côté j’ai parfois des ventes, des acquisitions, parfois des bourses, je viens d’obtenir une bourse de production donc je suis très heureuse mais ça soulève la question du financement des oeuvres et c’est encore autre chose. Après j’ai aussi un poste d’enseignement en école d’art donc tout ça ça fait que l’un dans l’autre y’a des années où ça tient, des années où ça tient moins. Il se trouve que pendant longtemps j’ai fait du found footage, parce que c’était aussi une économie quasi nulle c’est a dire que j’avais pas de collaborateur, de collaboratrice à rémunérer, mais effectivement c’est toujours des systèmes à trouver et une économie plus ou moins précaire. La question du financement des œuvres ouais c’est finalement extrêmement complexe. 

C.B. : Oui finalement on te voir opérer presque un double drame dans le sens où il y a déjà la vie de l’artiste qui est parfois mise de côté parce que t’arrives pas à vivre de ton travail donc t’es obligé de trouver un autre taff à côté, et en plus de ça ça impacte également le travail de l’artiste en lui-même, dans le sens où tu vas peut être envisager ton travail différemment parce que tu as pas les moyens de le financer. 

L.G. : Oui mais il y a aussi un peu ce mouvement inverse, à savoir que je pense que c’est compliqué aussi d’être lié pieds et poings liés à un groupe de collectionneurs, ou à devoir vraiment produire quelque chose qui attend d’être produit sous telle et telle forme, donc aussi je pense qu’il y a une forme d’émancipation. Bon c’est pas forcément mon cas, mais chez certains artistes de pas être liés étroitement à un réseau de vente, enfin de pas être étroitement liés au marché. C’est très complexe, mais j’ai l’impression que c’est toujours des rapports à géométrie variable qu’il faut réinventer constamment. Mais oui c’est compliqué. 

C.B. : Gardons ce dernier mot : réinventer ! C’était le neuvième épisode de PRÉSENT.E. Merci de l’avoir écouté et merci Laura d’avoir accepté d’y participer. Un grand merci à David Walters pour le générique. Pour le prochain épisode de PRÉSENT.E j’accueillerai Cécilia Granara avec qui on discutera de représentation des femmes dans l’art et d’auto-fiction & d’empouvoirement. Mais d’ici là prenez soin de vous et je vous embrasse.

REMERCIEMENTS : Un immense merci à Cosima Dellac d’avoir retranscrit cet épisode de PRÉSENT.E

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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