Bonjour à toutes et à tous. J’espère que vous allez bien. Cette semaine je reçois Cecilia Granara !
L’histoire de ma rencontre avec l’œuvre de Cecilia Granara n’est pas celle d’une découverte évidente, d’un choc frontal. J’ai d’abord lu le texte qu’Henri Guette a écrit sur son travail et publié sur Jeunes Critiques d’Art puis j’ai croisé quelques-uns de ses tableaux ça et là dans diverses expositions. Peu à peu j’ai pris le temps de regarder ses toiles et de contempler les personnages qu’elle représentait. Ces personnages sont essentiellement des femmes, des corps sûrs d’eux, des personnes épanouies qui se prélassent et vaquent à des plaisirs charnels, sans crainte. La lecture de son mémoire a fini de me convaincre : je voulais absolument en apprendre plus sur son travail. Je l’ai donc contacté pour qu’elle soit mon invitée pour ce dixième épisode de PRÉSENT.E. Et je la remercie mille fois d’avoir accepté de converser avec moi aujourd’hui.
Bonjour Cecilia. Comment vas-tu ?
C.G. : Bonjour Camille ça va bien merci et toi.
C.B. : Ça va super bien, je suis ravie de te recevoir. Je pense que la première chose qui m’a touchée dans ton travail c’est la manière dont tu représentais tes personnages. Notamment parce que les femmes que tu peins ne sont plus dans des situations de souffrance comme on a l’habitude de voir dans l’histoire de l’art et de manière générale dans la culture populaire. Pareil du côté des hommes. Eux aussi ont beaucoup changé. Ils ne sont plus des dominateurs et font même preuve d’une certaine vulnérabilité. Et toutes ces personnes se prélassent sans se craindre. Même quand il y a des jeux de pouvoir, notamment dans certains moments intimes que tu figures, il semble qu’il y a une espèce de plénitude.
C.G. : Oui, c’est difficile de parler sans faire de généralités. La douleur et la souffrance sont deux grands sujets dans la tradition de la peinture masculine. Des centaines d’années de scènes de guerre, de viol, d’enlèvement et de batailles. Et nous héritons de ce bagage culturel dans la peinture comme dans la vie. Je regarde le monde, la vie autour de moi et je suis très angoissée et préoccupée par la violence qu’on continue à infliger aux femmes. Du coup, je me demande quelle est l’anecdote. Qu’est-ce que je peux offrir comme moyen de soulager quelqu’un qui va regarder une de mes peintures. J’essaie de m’accrocher à la joie et au bonheur. Ce que je veux dire par ça c’est que l’émotion que peut procréer l’acceptation est quelque chose de très fort. L’acceptation de son corps, de ses défauts. L’acceptation de la maladie, de ses émotions difficiles. J’essaie de m’accrocher à l’amour aussi, il y a une dose d’humour dans mes peintures qui aide aussi. Par exemple je vais représenter une femme qui vomit quatre coeurs, un bras, son cerveau, et je vais appeler ça “Vomita del anima”, c‘est un dicton italien qu’on utilise quand on est très malade. Donc on va vomir son âme. Sinon, je vais peindre des femmes qui sont en train d’ingurgiter des oiseaux géants et je vais intituler ça “Deep though pheonix” comme un nuendo pornographique. Là où il y a des tabous, se cachent des vérités sur ce qui met un peu mal à l’aise collectivement sur le corps de la femme. je vais creuser, je vais revisiter les mythes fondateurs. Je veux représenter des choses comme ça et ce n’est pas pour nier la souffrance, ni pour l’effacer ou pour la réduire mais c’est plutôt pour l’accompagner et pour lui répondre. Je pense que les représentations de mes personnages donnent un petit moment de répit à mes spectateurs, mais c’est pas toujours facile. Il m’est déjà arrivé que des artistes que j’admire énormément, des artistes féministes qui sont des modèles pour moi, me disent que mes peintures les énervent. C’est des artistes très doués qui m’avaient dit que dans certaines peintures, les expressions joyeux et de béatitudes de mes personnages étaient énervantes. Et je me rappelle en ces deux occasions, je vais pas dire de nom mais c’était des femmes importantes pour moi, j’étais rentrée chez moi et j’avais beaucoup réfléchi à ces retours, et je m’étais dit que je comprenais en fait. Notre répertoire d’images de la “femme” de manière symbolique, est tellement paradoxale parce qu’on a vu tellement d’images de femmes soi disant parfaites et heureuses, par exemple dans les médias et le domaine publicitaire et en même temps, plein de peintures de femmes qui souffrent et qui sont victimes. L’attitude féministe par leur militantisme de plusieurs générations d’artistes a été de montrer des femmes fortes, des corps en lutte, de montrer la résistance, de parfois aussi nier la féminité. Du coup, le fait de montrer cet aspect de douceur et de joie peut parfois un peu froisser certaines sensibilités.
C.B. : Tout cela est sans doute lié au fait que peu à peu en tant que peintresse et en tant que femme j’ai l’impression que tu t’es rendu compte qu’il y avait des images qui te choquaient dans l’Histoire de l’art. Et qu’il y avait une inadéquation entre la manière dont on décrivait certaines œuvres et ce qu’elles figuraient vraiment. Par exemple, tu parles d’un choc que tu as vécu à Rome il y a quelques années. Ce choc a eu lieu lorsque tu as découvert le “Rapt de Proserpine” de Bernini.
C.G. : J’avais vu le Rapt de Proserpine la première fois lorsque j’étais adolescente. Je me rappelle que j’étais émerveillée par le choc esthétique de cette œuvre avec des corps qui bougent, le corps de Proserpine qui est soulevé, le marbre qui imite la chair. Puis en 2017, je suis allée voir l’exposition de Bernini avec mes parents et je me suis aperçue que ma réaction était très différente. Je n’arrivais plus à voir la beauté de l’œuvre mais j’ai vraiment vu le sujet. J’avais grandi, j’avais changé. Je me rappelle que mon père était à côté de moi et remarquais comment la main s’enfonçait dans la chair de Proserpine et il était enthousiaste et émerveillé, mais c’était tout. On n’a pas parlé du tout du sujet, de la mythologie, du rapport de force, du fait que c’était une scène d’enlèvement qui allait précéder un viol, et ça m’avait beaucoup troublée. Je suis rentrée à Paris et j’ai essayé d’en parler à des amies françaises contemporaines femmes artistes. Elles m’avaient répondu en me disant “Fais attention, il ne faut pas que ton regard s’immisce, il t’empêche de jouir de la beauté de certaines œuvres ». Mais c’est très compliqué tout ça, c’est vrai. Ma question a toujours été de savoir ce que pouvait nous faire en tant que genre la vision répétée de scènes de viol sublimées, mythologisées et embellies. Quand nous sommes au musée, dans les institutions, on se confronte souvent au regard du passé et c’est compliqué parce qu’il faut faire un travail de contextualisation et il faut se dire que nous ne pouvons pas être anachroniques et appliquer des éthiques et codes aux œuvres du passé. Mais quoi faire ? Ce sont des sujets très délicats et je pense que plus la conscience féministe va prendre place dans la société plus on devra forcément se frotter à la complexité de ces questions là.
C.B. : Oui parce que du coup c’est aussi des choses qu’on a intégré en tant que femmes, le fait d’être en permanence dans des musées, face à des films, face à toute une culture. C’est ce qu’on appelle aussi la culture du viol. C’est exactement aussi des questions que je me pose aujourd’hui de comment se dépêtrer de cette culture tout en gardant à l’esprit qu’il faut réussir à regarder avec un regard contextualisé. Aujourd’hui la question de la représentation est donc une question absolument essentielle en ce qui concerne le combat contre les inégalités. Et j’ai l’impression que c’est un combat que tu as totalement embrassé. Notamment parce que cela te touche aussi directement en tant que femme. Si bien que tes toiles sont aussi des sortes d’autofiction.
C.G. : Se voir représenter, c’est voir les possibilités alternatives de soi. Si globalement, de plus en plus de femmes font de la peinture, peignent d’autres femmes et se peignent elles-mêmes, on contribue à créer une sorte de répertoire d’images de femmes, et puisque des femmes n’ont pas eu accès à l’éducation artistique et ont été tellement limitées dans ce qu’elles pouvaient peindre ou pas pendant si longtemps, et autrice et sujet est finalement un outils très puissant. Raconter des histoires, des story telling, est pour moi un moyen d’offrir une expérience d’un vécu aux spectateurs. Je pense qu’il est temps que l’on regarde les expériences de femmes et leurs récits, cela ne doit pas faire peur aux hommes, même si je crains que ce soit le cas. On devrait plutôt se dire qu’en incluant le regard des femmes dans le canon de ce qui est important à regarder, on élargit les discours possibles dans le champ de l’art. C’est forcément plus stimulant et plus intéressant pour tout le monde, surtout dans un domaine comme ‘l’art où on traite du sensible, des couleurs, des formes, du partage d’idées. Plus on élargit qui est artiste et qu’est-ce qu’elle ou il raconte, plus ça deviendra nuancé et reflète le monde tel qu’il est réellement. Je me rappelle qu’en 2015 j’avais lu dans le magazine Art News qu’au Centre Pompidou entre 2007 et 2014 il y avait moins de 20% de femmes qui avaient eu des expositions personnelles. Je me suis demandée ce que je devrais conclure de ce chiffre, que les représentations faites par des femmes n’intéressent pas les institutions ? ou en tout cas que celles par les hommes sont plus intéressantes ? On ne peut pas répondre en disant “oui mais il n’y a pas tant de femmes artistes” car en réalité elles sont nombreuses. Il y a beaucoup d’historiennes qui l’ont montré. Simplement les institutions n’ont pas fait leur travail pour valoriser leurs œuvres et faire circuler leur travail. Pour une raison ou pour une autre. D’ailleurs j’ai un super podcast et un super compte à suivre “The Great Woman Artist”. Si jamais on se demande pourquoi il y a peu d’artistes femmes dans les institutions, on peut aller le chercher dans des sources qui ne sont pas directement les institutions.
C.B. : Évidemment ! Je rajouterai à ça le travail de AWARE qu’on ne présente plus qui est juste formidable. En plus, justement quand tu parlais de répertoire de femmes, c’est marrant parce qu’il y a quelque chose qui revient souvent notamment lorsqu’on parle de liberté d’expression en France surtout, c’est qu’il y a de nombreuses personnes qui affirment qu’on ne peut plus rien dire comme si on nous réduisait en nous empêchant de représenter les femmes d’une certaine manière, de parler de personnes racisées, de personnes LGBTQIA+, alors que finalement et c’est ce que tu dis et ce que tu fais dans ton travail, c’est qu’en fait on élargit aujourd’hui considérablement les manières de représenter et les manières de dire. On vient aussi imaginer de nouvelles manières de faire. Donc c’est pas du tout une perte de libertés au contraire, on se dégage de l’oppression et on vient penser de nouvelles formes et plein d’autres choses. Au contraire pour moi c’est un gain de liberté ! C’est aussi se mettre le doigt dans l’oeil de dire le contraire. J’ai l’impression que tu emploies aussi beaucoup l’autofiction dans ton travail d’artiste.
C.G. : Ça me permet de raconter une histoire proche de mon expérience personnelle. Pour moi, il n’y a pratiquement rien de plus fort que de raconter une vérité, sa vérité. Il y a une sorte de force apathique qui se dégage quand on raconte une histoire. l’autofiction permet de mélanger différents temps historiques donc je vais parler de quelque chose qui m’est arrivé mais en racontant je peux aussi intégrer quelque chose de l’Egypte antique ou de l’Antiquité parce que ce jour là j’ai eu une réponse très forte à une image, ici ou là, c’est comme la peinture, ça peut absorber vraiment tout. Les écrivaines qui m’ont tellement inspirées sont Maggie Nelson et Claudia Honkin et Chris Cross Elles font vraiment ça, elles mélangent l’histoire de l’art, leurs influences, qui proviennent de tous moments historiques, à leur histoire. Du coup ce sont des conteuses un peu magiques qui vont soigner la société en racontant leurs malheurs et leurs bonheurs en injectant ce qu’elles racontent avec des références culturelles.
C.B. : Dans ta peinture j’ai également la sensation que tu te construis un répertoire de femmes auxquelles tu as envie de t’identifier. Ce sont des femmes que tu hisses au rang d’idole en quelques sortes — entre l’idole populaire à laquelle on a envie de ressembler et l’idole religieuse devant laquelle on se recueille.
C.G. : J’ai beaucoup beaucoup aimé cette lecture que tu viens de faire, je la trouve très juste. Je ne m’étais pas entièrement rendue compte que c’est ce que j’étais en train de faire. Quand j’étais élève à la Saint Martins school j’ai un peu abandonné la peinture et me suis mise à faire des performances en utilisant mon corps comme le premier outils pour faire face à ces questions du corps de la femme. Après j’ai compris en fait que les images et la peinture étaient tellement importantes pour moi que peut-être je n’avais pas vu assez d’images de femmes qui montraient leurs problèmes. On m’avait toujours appris et montré des images de femmes présentables, agréables, belles et souriantes. Les sentiments comme la maladie, la colère ou encore la tristesse c’était des choses du domaine privée. On avait honte des règles, de se faire pipi dessus ou de vomir. Or ce sont des états corporels et émotifs que je sens très souvent. Je me suis dit qu’il faudrait les ajouter au répertoire d’images peintes. Par exemple, ????une femme enceinte mais toujours habillée avec un sein dénudé pour allaiter Jésus ou pour représenter allégoriquement la Charité. Mais quel homme peint des scènes iconiques et connues d’une femme en train de faire naitre un enfant ? C’est une vraie question si quelqu’un a la réponse. Je m’étais dit que peut-être dans 150 ans, les scènes de naissance dans la peinture deviendraient un genre avec une haine capitalisée. La scène de naissance comme le genre de la peinture d’histoire, ou le nu ou la nature morte. Je voulais ajouter une dernière chose par rapport à cette idée de créer des idoles. Les femmes belles et séduisantes peintes par des hommes ne sont pas du tout des objets à détester et je suis vraiment émerveillée face à la Vénus de Velasquez ou d’autres, parce que les femmes sont sublimes et sont très belles. Mais elles sont aussi moches, elles se sentent parfois mal, elles puent, elles ont des poils, elles vomissent, elles saignent, elles donnent naissance, elles ont des sexes caverneux. Ce sont des êtres vivants biologiques qui se métamorphosent. Elles sont aussi intéressantes à peindre quand elles sont vieilles et en train de saigner que quand elles sont jeunes, belles et nues et basta ! En ce moment la question du genre est beaucoup remise en question, on en parle tout le temps, mais vraiment je me dis que cette question évolue tellement que ça va sûrement élargir notre idée de ce qui est féminin ou non.
C.B. : On pourra aussi se sentir fières quand on aura nos règles, des bourrelets et des poils ! Mais en fait mine de rien c’est aussi grâce à ces représentations là que derrière socialement ça impactera notre manière de nous mouvoir dans nos vies et dans l’espace public. Tes tableaux me semblent aussi être des sortes de déclarations d’amour pour toutes ces personnes que tu figures. Plus encore, j’ai même envie de dire que peindre ces femmes est une manière pour toi de rentrer en communion avec elles. D’apprendre à mieux les connaître en quelque sorte. Je pense notamment à ta rencontre avec Sheela par exemple.
C.G. : Quand j’ai découvert Sheela Na Gig j’ai été foudroyée. Pour les écouteur.ice.s et liseur.se.s de ce podcast, c’est une sculpture qu’on attribue au XIIe siècle et qu’on trouve dans le Nord de l’Angleterre et en Irlande. C’est uen femme accroupie dans une position pas très gracieuse et elle a un sexe gigantesque qui est une sorte de trou interspatial, on sait pas où ça mène, si c’est une autre dimension ou pas. Elle ouvre son sexe et elle nous le montre en souriant. On ne sait pas trop l’interpréter mais elle n’a pas honte. Dans l’iconographie catholique et de la peinture occidentale en général on a réellement très peu d’exemples de femmes montrant leur corps avec si peu de pudeur et qui invite presque le spectateur à entrer à l’intérieur ou à se pencher pour mieux regarder. C’est une image exceptionnelle et mystérieuse. Quand j’ai envie de mieux connaître quelque chose j’essaie de le représenter en dessinant, c’est vrai qu’on peut interpréter beaucoup de mes peintures comme des déclarations d’amour. Ça me fait sourire parce que mon prof de dessin aux Beaux Arts disait toujours qu’on ne savait pas ce que l’on voyait tant que l’on ne l’avait pas dessiné. Du coup, quand je suis attirée par quelque chose j’ai très envie de le dessiner et c’est aussi un acte d’amour. J’ai aussi envie d’ajouter que les gens qui s’aiment m’inspirent beaucoup parce que je trouve que c’est difficile de se surpasser et de surpasser son ego en tant qu’être humain dans le quotidien, c’est difficile de s’oublier et parfois jouir du bonheur des autres, vu qu’on est souvent concentré sur ce qu’on voudrait des autres, quand je vois des êtres qui se donnent de l’amour, qui font des gestes, juste pour voir que l’autre heureux.se je trouve ça très inspirant. Pareil avec les sujets qui me font sourire ou les choses qui me font rire. C’est des déclarations d’amour de mes peintures.
C.B. : C’est bien qu’on parle de déclarations et de dialogues parce que cela me permet d’aborder un autre point avec toi Cecilia : Sache que je suis super contente parce que depuis le début de PRÉSENT.E mes invitées ont régulièrement de jolis accents. C’est encore une fois le cas aujourd’hui avec toi Cecilia. Et ce n’est pas anecdotique, le fait que le français ne soit pas l’unique langue que tu parles est même quelque chose qui semble très important pour toi.
C.G. : Oui absolument, ce n’est pas anecdotique mais j’ai une très bonne anecdote pour toi ! Quand j’avais 4 ans, on a déménagé de Rome au Mexique à Mexico City et mes parents ont fait le choix très original de me mettre dans une école mexicaine. Ils ont décidé que je n’irai pas dans une école anglaise, américaine ou internationale, mais bien dans une école mexicaine. Je me rappelle mon premier jour, je parlais anglais et italien mais j’avais jamais parlé un seul mot d’espagnol dans ma vie et du coup je me suis retrouvée dans la cour et je me rappelle la maîtresse, qui probablement demandait à tout le monde de faire une ligne, et moi je posais des questions en italien aux petites filles autour de moi et tout le monde me regardait comme si j’étais folle, personne ne me comprenait et j’ai eu très peur parce que j’ai pensé que j’étais devenue invisible et que c’est pour ça que personne ne me comprenait. je me suis mise à fondre en larme en criant autour de moi “Est-ce que quelqu’un me comprend ? Est-ce que quelqu’un me comprend ?” Après je n’ai plus trop de souvenir mais j’ai fini la journée en copiant et imitant le reste de la classe sans trop comprendre ce que je faisais. J’ai un souvenir assez clair de cette histoire, ça a été assez traumatique mais aussi une très bonne expérience parce qu’il faut toujours se rappeler que ce que nous on y avec nos normes, ailleurs dans d’autres pays, ces normes sont entièrement différentes. Après le Mexique, j’ai vécu aux Etats-Unis, j’ai fait une école française, donc encore une fois mes parents ont décidé de me mettre dans une école d’une langue que je ne parlais pas. On parlait beaucoup anglais mais il y avait des cours quand même importants en français. Une dernière fois j’ai déménagé à Rome et j’ai continué à apprendre le français donc c’était toujours inculqué dans mon éducation que parler d’autres langues étaient important, qu’il n’y avait pas une langue ou une culture supérieure à l’autre, mais au contraire qu’il était enrichissant d’accompagner l’étude de la culture du pays et son histoire à la culture de la langue. Et ça je le dois à mes parents qui sont diplomates et qui m’ont transmis ces valeurs.
C.B. : Du coup tu as l’italien, l’espagnol, l’anglais et le français. C’est génial ! Tu as grandi loin de la France, c’est pourtant à Paris que tu as décidé de faire ta carrière. Mais pourquoi as-tu fait ce choix ?
C.G. : C’est une question intéressante. C’est pas définitif mais je me souviens au lycée on m’avait répété que toutes les meilleures écoles d’art étaient en Angleterre en me rabâchant les oreilles avec la Saint Martins school. J’ai fini par faire un dossier et être accepté là bas. A l’époque en 2010 quand j’ai commencé mes études là bas, je peux t’assurer que la peinture figurative était un peu mal vue. Les profs que j’avaient étaient plutôt “support/surface”, plutôt héritiers d’un rapport à l’abstraction, qui regardait “Art For Sake” tout en le questionnant mais pour eux la figuration c’était quelque chose d’hyper dangereux et ça pouvait vite devenir ringard. D’ailleurs c’est toujours le cas, je dois toujours justifier que oui la peinture c’est aussi valide que les autres médias, que ça peut être aussi conceptuel que n’importe quelle sculpture. Du coup pendant ces années à la Saint Martens, j’étais assez angoissée, j’avais arrêté de faire de la peinture pour explorer d’autres vocabulaires dans le répertoire visuel, je commençais à faire de la performance… mais il y avait une bourse Erasmus que j’ai perçu comme une petite fenêtre d’espoir. J’avais entendu parler du fait qu’aux Beaux Arts de Paris, il y avait beaucoup d’ateliers de peinture autant figurative qu’abstraite. J’ai fait un dossier et j’ai été prise. J’ai passé 5 mois très heureux là bas en 2011 où j’ai appris que le peinture pouvait côtoyer toutes les autres pratiques artistiques. J’ai rencontré Nathanaëlle Herbelin et Yohan Noé et beaucoup de peintres qui sont formidables et qui faisaient de la figuration. Je les trouvais intelligents et sains et contemporains comme n’importe quel autre artiste étudiant à la Saint Martins. Donc quand je suis retournée en Angleterre, j’ai fini mon diplôme et dès que je l’ai eu fini je suis revenue à Paris en me disant que c’était là que je voulais continuer ma carrière. Je veux ajouter que c’est très personnel donc si quelqu’un a fait le choix opposé, c’est aussi un très beau parcours !
C.B. : Il y a une tradition dans PRÉSENT.E. En fait je conclue chacune de mes interviews en demandant à mon invité s’iel réussit à vivre de son travail.
C.G. : Je suis très contente que tu poses cette question parce que surtout avec Instagram, on a l’impression que les artistes ont tellement de succès parce qu’on montre souvent leurs œuvres en se disant que tel ou tel artiste est dans une grande expo et fait beaucoup de choses, il doit énormément vendre, etc. Mais à partir du 2 juin 2020, je n’arrive toujours pas à vivre de mon art. J’ai un job à côté où je travaille dans un centre IME où je donne des cours d’art plastique à des adultes et adolescents touchés par l’autisme. J’ai également une pension alimentaire que mes parents continuent de m’envoyer parce que Paris c’est cher. Après oui je commence à vendre un petit peu mais j’espère que ça viendra bientôt.
C.B. : C’est notamment pour ça que je pose cette question parce que sur Instagram on vit tous notre meilleure vie, on est tous des stars. Mais si seulement je pouvais avoir autant de followers sur mon compte en banque que sur Instagram ce serait extraordinaire ! Rire. En tout cas merci d’avoir eu l’honnêteté de parler de ça et merci Cecilia d’avoir accepté mon invitation après seulement un petit coup de fil au téléphone pour organiser les grandes lignes de l’interview, mais c’était la première fois qu’on allait dans le fond des choses. Pour celles et ceux qui sont à Paris ce mois de juin, vous pourrez découvrir le travail de Cecilia lors de l’exposition So Close à la galerie Guido Romero Pierini et également dans l’exposition Friends & Neighbourhs à la galerie High art. C’était le dixième épisode de PRÉSENT.E. Merci de l’avoir écouté et merci Cecilia d’avoir accepté d’y participer. Un grand merci à David Walters pour le générique. Pour le prochain épisode de PRÉSENT.E j’accueillerai Lionel Sabattée avec qui on discutera de médium, de rejet et de réappropriation. Mais d’ici là prenez soin de vous et je vous embrasse.
REMERCIEMENTS : Un immense merci à Cosima Dellac d’avoir retranscrit cet épisode de PRÉSENT.E