CAMILLE JUTHIER

C.B. : Bonjour à toutes et tous, j’espère que vous allez bien. Avant de commencer ce deuxième épisode je voulais vous remercier mille fois. Vos retours concernant le premier épisode de PRÉSENT.E sur Marion Mounic, ont été super nombreux, super bienveillants et m’ont surtout beaucoup émue… Vraiment merci d’avoir pris le temps de m’écrire, de me faire des audios, de partager l’épisode, j’en reviens toujours pas donc merci merci merci.

Pour ce deuxième épisode on continue donc sur notre lancée. Pour celles et ceux qui nous rejoignent seulement, sachez que PRÉSENT.E est un podcast dans lequel je souhaite mettre au jour ce qui vient en amont puis en aval de l’art contemporain. Mes questions portent donc rarement sur les oeuvres en elles-même mais davantage sur toutes les réflexions et les doutes qui gravitent autour de celles-ci. Car ici je m’intéresse d’abord à la manière dont la vie de mon invité.e impacte son travail puis à l’inverse à la façon dont son travail vient impacter sa vie. Dans PRÉSENT.E j’essaie de mener les conversations comme j’ai l’habitude de le faire en tant que critique d’art dans les ateliers d’artistes ou à la terrasse des cafés. Sauf qu’ici nous sommes enregistrées et vous avez la possibilité de tout écouter. Allez c’est parti !

Pour le deuxième épisode de PRÉSENT.E je reçois Camille Juthier. Je l’ai rencontrée cet été parce qu’elle a eu la bonne idée de m’envoyer un message sur instagram pour me proposer une visite d’atelier ! Cela faisait suite au fait que j’écrivais de plus en plus sur des thèmes qu’elle-même aborde régulièrement dans son travail. Pour rien vous cacher, la première fois qu’on s’est vues je suis automatiquement devenue une énorme pipelette parce que j’étais juste ravie de voir qu’on avait beaucoup de références en commun. Du coup c’est un vrai plaisir de la recevoir aujourd’hui. Je la remercie donc sincèrement d’avoir accepté mon invitation à participer au deuxième épisode de PRÉSENT.E.

C.J. : Salut Camille !

C.B. : Comme tu le sais j’aime beaucoup ton travail. Autant parce qu’il me stimule intellectuellement, que parce qu’il me bouscule esthétiquement. Pour expliquer aux auditeurices qui te découvriraient en écoutant PRÉSENT.E tu fais essentiellement de l’installation et de la vidéo et tu travailles beaucoup avec les couleurs fluos. J’aimerais qu’on parle d’une d’entre elle en particulier. C’est la couleur bleue que tu obtiens notamment en utilisant du gel douche Axe. Gel douche que tu vas étaler sur des parois, que tu vas laisser mijoter, en tous cas avec lequel tu fais des expériences. Est-ce que tu peux m’expliquer comment l’utilisation de ce produit t’es venue ? Comment t’es arrivée à te dire que t’allais utiliser du Axe pour peindre ?

C.J. : Le Axe et aussi le Powerhead, qui sont les deux gros produits que j’utilise avec ce bleu là, sont arrivés dans mon travail parce que c’étaient des produits du quotidien que mon frère utilisait surtout au moment de l’adolescence. J’intègre ces produits dans mon travail et je commence à expérimenter à l’atelier avec l’idée d’essayer de croiser des produits chimiques – le gel douche, le powerhead, les produits d’entretien – tous bleus. J’essaie de les croiser par des gestes que j’emprunte au domaine du jardinage, comme la greffe, ou au registre de la préparation de remèdes, comme la macération, dans le but d’obtenir des sculptures. D’un autre côté, mon frère est TSA (trouble du spectre autistique) et donc les questions liées à l’autisme et à la différence psychique ont toujours été présentes dans ma vie. C’est aussi à ce moment-là que je découvre que l’autisme est aussi un trouble qui est à la fois dû à des prédispositions génétiques et à des facteurs environnementaux comme les pesticides, les perturbateurs endocriniens – qui sont contenus dans les plastiques -, les gels douche, les produits d’entretien, etc. Donc tout ça se relie. Finalement, en utilisant ce bleu, je me rends compte qu’il est aussi sur-usité dans la grande distribution. Qu’on l’utilise à la fois pour le gel douche, pour le powerhead, pour le produit d’entretien, tout ça ce sont des fonctions très différentes. Certains on les ingère, certains on les met sur notre peau, certains on les utilise pour nettoyer nos intérieurs. Il n’y a pas vraiment de référence de ce bleu, si ce n’est que ce bleu renvoie à une idée de surperformance, de surpuissance. Voilà, donc tout ça se mélange et ça m’amène sur ce truc de commencer à utiliser des couleurs fluos. J’utilise pas que ça, parce que le but c’est de les mettre en frottement avec des matières naturelles – comme l’eau, la terre, des végétaux, du verre, et aussi de voir de cette rencontre ce qui peut advenir de cette nouvelle forme, comme nouvelle matière. Comment est-ce qu’on dépasse ces dualismes avec nature d’un côté, artificiel de l’autre, sachant que dans le monde qui nous entoure, ces catégories sont déjà en train de se mélanger et de muter en fait. Ces toutes ces références là qui se sont mélangées et qui ont conduit à l’utilisation de ce bleu.

C.B : Ton frère, lui-même produit des oeuvres, et t’as été amenée à travailler avec lui. J’imagine que c’est déjà hyper particulier de travailler avec un autre artiste et de faire une oeuvre à quatre mains. À mon avis c‘est d’autant plus particulier quand l’autre est un membre de ta famille, et là y’a une complexité supplémentaire dans votre cas puisque ton frère est TSA. Il a une appréhension du monde qui lui est absolument singulière et bien différente de la tienne, donc comment vous faites pour travailler ensemble sachant que vous percevez les choses de manière totalement différente.

C.J. : Exactement. Tout l’enjeu de ce travail là c’était de souligner les différences de perception qu’on peut avoir l’un et l’autre et de se servir du travail plastique et artistique comme d’un lieu de traduction, de rencontre et d’échange. C’est effectivement, à la fois hyper dur de travailler avec quelqu’un, quel qu’il soit, mais en même temps là c’était mon frère. Qu’en bien même il est très différent et qu’il a une vision du monde originale, c’est aussi mon frère, je vis avec lui maintenant depuis 25 ans donc y a aussi une espèce de connaissance réciproque qui facilite le travail quand même d’une certaine manière. Pour le dire rapidement, le projet a été de lui donner un espace pour créer et moi j’étais là et je le filmais la plupart du temps dans des espaces quotidiens ou quand il peignait. Après de cette matière, on revenait dessus, on re-regardait, on s’interrogeait ensemble, etc. Dans la peinture elle-même, en fait mon frère sait ni lire ni écrire, mais il utilise quand même les lettres dans ses dessins. Il va d’une certaine manière écrire, mais la plupart du temps ses mots sont inexactes ou alors ses lettres sont inversées, donc il créer d’une certaine manière son propre langage. Et là, le projet c’était aussi une traduction, pour moi en tout cas, d’essayer d’entrer dans sa pensée, dans sa manière de voir le monde, justement en reproduisant ses dessins à lui, et après ça a donné lieu à des installations, où toutes ces différentes pistes de recherche – vidéo, peinture, installation – entraient en connexion et se réinterrogeaient.

C.B. : C’est drôle que tu parles de tout ça, de sa manière de voir le monde différemment et de sa manière de créer différemment aussi, parce que ça fait échos à une conversation qu’on avait commencé à mener les dernières fois qu’on s’est vues, et que j’aimerais reprendre pour PRÉSENT.E. Tu me disais que tu trouvais que les artistes étaient plus ou moins formés à utiliser certaines couleurs plutôt que d’autres, certains formats plutôt que d’autres, et selon toi, si dans mon cas je n’aimais pas voir du bleu fluo avec du rose, du bleu, du vert et j’en passe, c’est aussi parce que mon oeil avait été éduqué, en quelque sorte, à ne pas aimer ça. Cela pouvait être intéressant d’entamer une déconstruction sur ces appétences là, notamment en remettant en question le fait que ce soit vraiment naturel de considérer ces associations comme des aberrations esthétiques. Si je devais le dire autrement, tu disais que – en grossissant le trait – notre vision du Beau et du Moche était de l’ordre de la construction sociale et que c’était notamment pour ça que t’as décidé de produire des formes un peu inédites avec des couleurs hyper POP, qu’on n’a pas forcément l’habitude de voir ensemble, pour dire les choses rapidement, mais tu vas reprendre.

C.J. : Ah mais complètement ! Il y a encore beaucoup de choses à démêler dans cette question qui nous intéresse toutes les deux. Je ne suis pas forcément spécialiste de ce que je vais avancer mais disons que c’est mon interprétation. Pour moi, la question du Beau et du Goût, est assez complexe, c’est toute la relation sociale du groupe qui fait qu’on s’identifie à certaines choses et pas à d’autres. Tu parlais des couleurs, et je trouve ça assez intéressant de partir des couleurs. Si on fait un peu de physique de base, on sait que les couleurs elles ont une longueur d’onde, ce qui correspond à une espèce de vibration. Quand notre cerveau reçoit la couleur, il y a comme une espèce de circuit électrique qui crée des connexions pour qu’on la perçoive. J’imagine que si la perception du bleu est plus douce et agréable que le jaune fluo par exemple, c’est sûrement que cette vibration dans ton cerveau est sûrement plus agréable également. Enfin, je ne sais pas, je ne suis pas neurologue, mais j’imagine. Du coup, j’imagine qu’il y’a quand même une espèce de relation à la perception et ça rejoint la question de l’autisme. C’est dur de faire des généralités avec l’autisme, parce que y’a vraiment beaucoup de façons d’être dans ce spectre. En tout cas, pour beaucoup, ils ont des perceptions de leur environnement, que ce soit au niveau des couleurs, au niveau des sons, au niveau des odeurs, au niveau des sensations de chaleur et de froid, qui peuvent être vraiment décuplées. Pour nous, un ressenti qui pourra être agréable, pour eux pourra être violent, ou l’inverse. Tout n’est pas nécessairement construit, il y a des choses qui peuvent être reçues qui peuvent être aussi même subies, et c’est aussi ça qu’il faut prendre en compte. Pour parler de ce qui pourrait être socialement construit, ça parle aussi de la question de la classe sociale et de ce à quoi on a accès et de ce à quoi on s’identifie en tant qu’individu. Moi ce qui m’a manqué au Beaux Arts par moment c’est d’avoir un retour réflexif sur ces questions, avec notamment des cours de philo qui interrogent notre manière d’être formés, notre manière de recevoir un enseignement, parce que ça peut être vécu comme étant dogmatique, et il faut pouvoir faire son chemin là-dedans. Par exemple, dans mon expérience le reproche qu’on me faisait très souvent, c’est que mes formes étaient trop chargées, qu’il y avait trop de choses, du coup que c’était difficilement lisible à la fois plastiquement et à la fois dans le discours, dans l’idée que je voulais transmettre. Ca a été une vraie problématique, et je pense que tout n’était pas à jeter. Effectivement en terme de méthode, ça m’a aidé à avancer, à progresser, à mieux analyser ce que je faisais et ce que j’avais envie de transmettre. Mais pour moi, ce genre de discours deviennent problématiques quand ils ne sont pas faits pour aider l’élève ou l’artiste à se construire et à progresser, mais plutôt en vu de lisser un peu la production artistique. C’est là où je trouve que c’est dommage et c’est là où il y a certaines formes qui sont attendues, déjà vues, ou un peu même réac’ en fait.

C.B. : Allons y ! haha

C.J. : Ouais sorry mais c’est un peu vrai. Du coup, j’ai un peu eu du mal à faire mon chemin avec ça au départ. Je pense qu’aujourd’hui, de la même manière qu’il faut prendre en considération le ressenti des autistes qui sont pas adaptés à notre monde, l’espace de l’art doit être l’espace où justement ces ressentis peuvent s’exprimer. Si déjà les personnes valides qui sont artistes ne peuvent pas être totalement livrés dans leur façon de créer, bah on a un problème.

C.B. : C’est clair ! On a commencé à aborder la question de la construction sociale de la réalité. Pour ne pas exclure les auditeurices qui ne seraient pas familiers avec cette question, on peut dire que certaines choses que l’on considère comme des réalités immuables et naturelles, sont en fait des choses qui ont été construites historiquement et quotidiennement par les individus et la société. Par exemple, penser que les petites filles préfèrent le rose quand les petits garçons préfèrent le bleu, c’est être sous le coup d’une construction sociale. Au final, rien dans le cerveau d’une petite fille n’est fait pour qu’elle aime le rose plutôt qu’une autre couleur, y’a rien de naturel là-dedans, et cette appétence elle vient à exister c’est parce que on va matraquer à l’enfant dès la naissance, que le rose c’est la couleur qu’elle doit aimer. Cette question de construction sociale, c’est un truc qui est juste ultra présent dans ton travail – et c’est notamment pour ça que je l’aprécis d’ailleurs – que ce soit du côté de l’écoféminisme ou du côté de l’autisme, globalement si on devait trouver un point commun ce serait la déconstruction. C’est à dire, identifier toutes ces constructions sociales, pour essayer de les surpasser et de les abolir en fin de compte.

C.J. : En tout cas déjà de les questionner, parce que le problème des normes c’est que souvent on les considère généralement comme allant de soi, parce qu’elles correspondent au point de vue de la majorité, en tout cas des personnes n’ayant pas de problème à s’y conformer. Les normes sont problématiques pour les personnes minorisées. Donc déjà elles sont questionnées. Il y en a pleins qui sont compliquées à questionner et que à priori on ne questionnerait pas. Ca me fait penser par exemple à Paul B. Preciado, qui en terme de déconstruction est quand même un grand modèle, avec son texte Appartement sur Uranus, il explique que l’amour par exemple qui avait échappé à cette furie de la déconstruction, en fait ne peut pas y échapper, parce que la manière dont s’exprime l’amour dans nos sociétés hétéros-patriarcales au travers du couple correspond aussi à une manière de gérer les désirs et les manières de jouir, et de les soumettre à la question de la reproduction sociale et donc à celle aussi des inégalités sociales. Voilà. Après, bien sûr que l’amour reste le liant indispensable entre les humains, et entre les animaux, mais…

C.B : C’est dans le cadre dans lequel s’inscrit l’amour qui est questionné aussi, sans vouloir faire un débat là-dessus.

C.J. : Exactement, c’est comment ça s’exprime. Si déjà ce sentiment qui est sensé être le plus noble est à revoir et à requestionner, tout devient à revoir et à requestionner. Les abolir, je sais pas si une société peut exister sans normes, j’en sais rien, en tout cas essayer de les questionner et de dépasser celles qui sont sclérosantes, ça c’est évident et heureusement qu’il y a des penseurs comme Preciado pour nous aider à vivre dans un monde plus féministe, décoloniale et anti-validiste.

C.B. : Toutes ces questions elles ont émergé dans ta pratique parce que ton frère Simon perçoit le monde d’une manière extrêmement personnelle, donc tu as aussi été amenée aussi super naturellement à questionner ces normes là.

C.J. : Oui, complètement. Pour moi ça a pas toujours été simple de me construire à côté de mon frère même si je l’aime énormément. Par exemple quand il avait 4-5 ans et qu’il était angoissé, moi j’avais une dizaine d’année, il se déplaçait à quatre pattes et rugissait comme un lion. Il était dans le rejet du monde humain et de ses codes – marcher debout, avoir un langage articulé – pour lui il était trans espèce. La manière de se sauver de ce monde qui lui faisait trop de mal c’était d’aller vers le devenir animal qui lui correspondait plus. Pour lui, ça correspond à une souffrance énorme et en même temps à une liberté et une possibilité de connexion à des modes de vie qui sont autres, un peu comme des pouvoirs magiques, en tout cas des facultés d’entrer en connexion avec des sphères des mondes qui nous entourent mais avec lesquels la sensibilité des “gens normaux” n’est pas reliée. Mon frère par exemple, est pas très familier avec l’arrière de son corps, ou par exemple quand il va prendre sa douche il va oublier de se laver à l’arrière de son corps, ou alors lorsque l’eau coule il va avoir l’impression que son corps coule avec elle. Donc il ressent pas toujours la même césure entre lui et le monde, entre lui et ce qui l’entoure et ce qui est cause de ses perceptions. Donc c’est la notion de frontière qui est remise en jeu, la frontière entre soi et le monde. Ils sont dans un maillage plus fluide, et une empathie qui est plus mouvante. Même si c’est un ressenti qui est éminemment troublant pour eux, leur rapport au genre, leur rapport à l’espèce, est beaucoup plus fluide. C’est évident que dans un temps où on est dans une pandémie mondiale avec un virus qui est invisible, il faut plus que jamais prendre leur ressenti en compte et les écouter, parce qu’ils ont cette capacité de ressenti qu’une personne neurotypique n’aura pas forcément.

C.B. : Merci de nous livrer ça, j’en savais rien du tout, merci. Personnellement, j’ai l’impression de lire tellement mieux dans ton travail quand tu me dis tout ça. Tu vois quand je suis venue à ton atelier, tu m’as montré des pierres, en m’expliquant leur pouvoir et je trouvais ça génial tout ce que tu me racontais, mais effectivement ça prend un tout autre sens maintenant que j’ai ces informations. Donc merci encore de nous dire tout ça… et c’est dur de reprendre une question derrière… Je pense qu’on va parler de ce que tu as fait avant d’être aux Beaux Arts de Nantes. Finalement, ça s’entend dans le podcast, tu es allée à la fac pour étudier la philosophie et tu t’appuies beaucoup dans ton travail sur ce savoir là. On sent que même tes ressentis personnels, tu les as énormément analysés, et ça se sent dans ton travail avec beaucoup de références. Je vais me faire un peu l’avocat du diable, et c’est pas cool cette question qui arrive après ce que tu viens de dire, actuellement je me sens assez idiote, j’entends de plus en plus souvent cette critique faite aux artistes contemporains de délaisser la dimension plastique de leur travail au profit de la culture, de l’érudition et des connaissances. Te concernant t’es carrément à la recherche d’une esthétique DIW (Do it Yourself), j’ai envie de dire un peu bricolée, et même tu montres parfois des oeuvres sans qu’elles aient une esthétique finie comme on a l’habitude de le voir et on en a déjà parlé, t’as pas peur de te faire rattraper par la “patrouille de l’art contemporain” et qu’elle te dise : “Camille écris un bouquin, écris un article, mais arrête la création plastique !”

C.J. : Non mais tu fais bien de le pointer parce que c’est effectivement des choses qui s’entendent, mais qui sont aberrantes, qui devraient pas exister, on parlait de réac tout à l’heure, bah voilà. Après je pense que s’il y a des personnes qui pensent ce genre de choses, il y a aussi de l’art qui se fait qui leur correspond, qu’ils s’y tiennent, mais qu’ils n’empêchent pas les autres de faire ce qu’ils ont envie de faire et d’inventer des nouvelles formes. Je pense aujourd’hui que l’artiste peut tout autant faire de la peinture à l’huile qu’être doctorant. Voilà y’a pleins de manières d’être artiste, y’a pas de règle et c’est ça qui est bien. Ca me fait penser l’autre jour, je lisais un article de Emanuele Coccia qui a écrit “Les arbres disent nous” où il explique qu’aujourd’hui, l’espace d’exposition et l’objet exposition, est plus à même de créer du savoir que l’université et la faculté. Bon je le dis rapidement mais son article est plus étayé que ça. Bon il parle pas que de ça, mais aussi évidemment de notre rapport aux arbres dans la ville et qui est très intéressant. Donc oui, j’ai fait de la philo avant, j’ai appris des choses et c’est chouette parce que ça te donne une espèce d’ouverture et de culture. Mais en vérité, pendant trois ans, je me suis surtout ennuyée parce que c’était un savoir académique qu’on te donne de manière hiérarchisante, c’est-à-dire que c’est une parole qu’on reçoit d’en haut, après que toi tu ingères et t’as même pas le temps de l’ingérer que tu dois la recracher. Je trouve le système de la fac hyper violent, donc je vois pas ce qu’il produit d’intéressant en tout cas en licence, après en recherche c’est différent. C’est surtout aux Beaux Arts que j’ai eu l’impression de développer une pensée personnelle, et clairement moins savante, moins étayée, mais en tout cas qui m’étais plus propre, donc je me suis moins ennuyée.

C.B. : On va passer à la deuxième et dernière partie de ce podcast que je consacre aux problématiques qui entourent la carrière d’artistes. Etant donné que tu essaies de ne pas te soumettre à un art que je qualifierait ici de “conventionnel” – allez soyons fous – et que tu cherches davantage à bousculer les normes capitalistes, à savoir que si on peint sur une toile c’est aussi selon toi d’autant plus facile pour un collectionneur ou une collectionneuse d’investir dans ce format, plutôt que d’investir dans une installation, une performance ou même une vidéo. Etant donné que tu cherches à inventer de nouvelles formes, de nouvelles associations, etc. comment tu fais pour envisager ta carrière étant donné que ton travail est difficilement vendable et que cela peut sembler difficile pour une galerie de le représenter ?

C.J. : Bonne question, ça va être compliqué pour moi d’y répondre parce que je me la pose aussi de manière très ouverte. À la fois ça me tient assez à coeur que la société reconnaisse qu’être artiste c’est un vrai métier, et en même temps ce truc de carrière, honnêtement je me rendais pas du tout compte que mon travail pouvait ne pas coller avec une certaine attente marchande. Je suis arrivée aux Beaux Arts et j’avais envie d’expérimenter au maximum, donc je faisais des trucs un peu périssables et qui avaient pas trop d’intérêt décoratifs. Et puis certaines formes peuvent aussi s’y conformer. Mais quand j’essaie par exemple de faire une peinture ou une sculpture qui va être “vendable” généralement c’est un échec, donc je pense que j’ai essayé plusieurs fois d’orienter ma manière de travailler, mais c’est pas trop concluant. Le mieux que je puisse faire c’est d’aller vers les endroits qui me ressemblent, effectivement pas nécessairement les galeries, enfin en tout cas pour l’instant, mais plus les espaces de résidences ou en tout cas qui acceptent les artistes comme ils sont. Je sais pas c’est un peu naïf ce que je suis en train de dire, mais ça reprend l’idée qu’il y a plein de manières d’être artiste et heureusement, il faut qu’il continue d’y avoir des peintres évidemment, mais il faut qu’il y ait de la place pour les gens qui font des formes un peu différentes. La question de la rémunération aussi est importante.

C.B. : Ne me vole pas ma question d’après ! Parce que tu sais que je la poserai systématiquement à chacun de mes invité.e.s. Est-ce qu’aujourd’hui, tu réussis à vivre de ton travail d’artiste, et sinon comment tu fais pour t’en sortir ?

C.J. : Voilà bah pour rebondir sur la question d’avant, oui aujourd’hui j’arrive à vivre de ça parce que j’ai la chance d’être en résidence aux Ateliers Médicis, et c’est trop trop cool. Mais c’est limité dans le temps, donc après je vais reprendre ma vie – enfin “reprendre” c’est pas comme si je l’avais arrêtée parce que je suis là-bas – en tout cas reprendre mon activité habituelle. À savoir, je suis au RSA et j’ai des compléments d’activité grâce à des honoraires d’expos, que souvent je peux produire avec de la prod que j’ai pour certaines expos ou résidences. Voilà. C’est du bricolage, du bricolage financier. Pour l’instant c’est comme ça. C’est pas impossible, c’est difficile mais pas impossible.

C.B. : Absolument, je comprends. C’était le deuxième épisode de PRÉSENT.E. merci de l’avoir écouté et merci Camille d’avoir accepté d’y participer. Merci d’avoir pris le temps de tout expliquer et de te livrer autant, c’est hyper précieux. Merci mille fois. Merci aussi à David Walters d’avoir accepté de me prêter sa musique pour le générique. Je suis toujours friande de vos retours donc n’hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce podcast. C’est Camille Bardin sur tous les réseaux, je mettrai un maximum d’infos, sur les différentes plateformes sur lesquelles ce podcast est diffusé : Soundcloud, Apple Podcast, Spotify et YouTube. Pour le prochaine épisode de PRÉSENT.E. j’accueillerai Charlotte Heninger. Je pense que je vais lui poser des questions sur une résidence totalement ouf qu’elle a mené dans le désert d’Atacama au Chili puis dans la jungle au Panama. D’ici là, prenez soin de vous et je vous embrasse !

REMERCIEMENTS : Un immense merci à Cosima Dellac d’avoir retranscrit cet épisode de PRÉSENT.E

Publié par Camille Bardin

Critique d'art indépendante, membre de Jeunes Critiques d'Art.

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